Jean-Louis Borloo est un homme de chiffres. Avec beaucoup de zéros derrière, certes, mais un homme de chiffres tout de même : une nouvelle fois, le voilà solidement positionné sur un grand projet de dépenses gouvernementales plantureuses. L’idée de base est, comme d’habitude, aussi consternante que dispendieuse : et si on claquait une montagne d’argent public pour faire semblant de résoudre un problème ?
Et afin de rendre plus crédible le monceau d’argent qu’il s’agira de cramer en pure perte, on trouvera un sujet d’importance et d’ampleur au moins nationale. Jean-Louis s’est donc empressé de produire un magnifique rapport : le « plan Borloo pour les Banlieues » est né. Comme pour les plans précédents qui se succèdent depuis le premier, en 1977 (ce qui ne nous rajeunit pas), il s’agira de casser les ghettos, de favoriser l’égalité des chances ou de redonner des moyens (les fameux moyens dont il manque toujours plusieurs brouettées, où qu’on aille et où qu’on se trouve) à ces quartiers si défavorisés mais pourtant si présents dans l’actualité.
L’analyse un minimum lucide des éléments de langage et des petites propositions peu originales de Jean-Louis et son équipe ne laisseront évidemment aucun doute : clientélisme politique, planisme bureaucratique digne des heures les plus « Plan Quinquennal » de notre Histoire et, in fine, échec programmé sont au détail d’une facture finale frisant les 48 milliards d’euros aux petits fers (sachons vivre).
Mise à part celle d’une disparition prématurée de 48 milliards d’euros de la poche des contribuables, il n’y a qu’un autre certitude à attendre de ce plan : outre l’évidente esbroufe de cet effet d’annonce, on sait que la situation de ces quartiers « oubliés de la République » ne changera pas d’un iota, ce qui, à 48 milliards d’euros, fait cher l’immobilisme.
Pourtant, il semble bien que, malgré l’injection massive et répétée de fonds publics, l’ambiance dans ces quartiers n’a jamais été aussi peu festive ni citoyenne.
Ici, je pourrais assez peu subtilement revenir sur les petites péripéties rigolotes de certains quartiers de Marseille qui sont en proie à des petits débordements miliciens d’autochtones armés. Il me suffirait de replacer ce petit billet qui narrait les péripéties de Manuel Valls dans la cité phocéenne, où il s’était rendu avec la ferme intention de parler des chiffres de la délinquance ; le politicien s’était retrouvé à pérorer sur les performances de la police et de la justice alors qu’à quelques centaines de mètres de là, la faune locale d’une cité pudiquement dite « sensible » se trémoussait au son des kalachnikovs. Le patron de la sécurité publique, Pierre-Marie Bourniquel, s’était même retrouvé sous les rafales alors qu’il se rendait sur place. Moyennement cocasse, mais totalement illustratif du niveau assez phénoménale de branquignolitude de nos gouvernants.
Notons au passage que, depuis et conformément à ce que j’écrivais plus haut, la situation n’a pas évolué d’un pouce : les fusillades se suivent et se ressemblent, aboutissant parfois à quelques procès médiatiques dont on sait qu’ils ne mettront au frais qu’une poignée de spécimens pendant que le reste continuera, à qui mieux-mieux, de régler ses comptes en place publique.
Je pourrais de même et sans me forcer rappeler quelques autres billets ou je revenais sur le beau respect de nos lois républicaines qui interdisent scrupuleusement le port d’arme dans ce beau pays calme et sans lequel, il y aurait plusieurs fusillades par semaine comme aux Zétazunis où tout le monde sait que ce sont tous des cow-boys fous, là-bas, m’ame Michu.
Ou je pourrais encore m’attarder sur la récente flambée de festivités de Bagnolet qui finit par faire parler d’elle. Il faut dire qu’après trois semaines de voitures brûlées, de blessés par balles sur fond d’émeutes dans une zone devenue impénétrable aux services de l’ordre, il devenait difficile de cacher que deux des quartiers de cette ville de Seine-Saint-Denis étaient en proie à une petite guerre de gangs.
Étonnamment, interrogés par l’une ou l’autre équipe de courageux journalistes tentant un safari sauvage en banlieue parisienne, les habitants de ces quartiers parviennent à la même conclusion que tant d’autres, avant eux et autour d’eux :
« Ça fait des années qu’on attend la sécurité et ça ne bouge pas »
Sapristi ! On nous avait pourtant dit qu’il y avait eu moult Plans Banlieue qui, tous, contenaient d’épais volets sur la sécurité ! Que n’ont-ils été appliqués ? Nous aurait-on raconté des carabistouilles ? Et si oui, où sont passés les milliards ?
Le constat est amer : cela fait des décennies (et quelques uns de mes billets plus anciens l’attestent facilement) que ce problème n’est absolument pas géré. Oui, vous avez bien lu : il ne s’agit pas de dire que les plans précédents ont échoué, ni que les moyens n’ont pas été mis ni même que les politiques menées ne furent pas les bonnes, mal ciblées ou mal exécutées. Il s’agit plutôt d’expliquer que ces quartiers n’ont jamais été l’objet du moindre égard aux préoccupations réelles des habitants.
Oh, certes, il y a bel et bien eu des tomberaux de pognon public qui ont été déversés dans des brochettes d’associations lucratives sans but chargées de redistribuer les emplois inutiles, des subventions dodues et des palanquées d’équipements divers et variés. Combien de salles multimédias, de bibliothèques interactives, de terrains de foot ou de baskets furent construits, rénovés, re-construits, re-rénovés, repeints, re-repeints et re-re-rénovés avec ces dizaines de milliards ? Combien d’emplois idiots au contenu vide, à l’impact nul et aux débouchés inexistants ont été distribués ainsi ? Même la Cour des comptes sera bien incapable d’en connaître le nombre précis, mais il doit être assez croquignolet.
La réalité est que ces monceaux d’argent ont été dépensés pour une unique raison : acheter une relative tranquillité sociale, un calme politiquement vendable et l’éventuelle orientation des suffrages une fois de temps en temps. Toute sécurité ou même vague efficacité des politiques n’ont jamais été l’objet de ces épandages massifs.
Et d’épandage massif en aspersion vigoureuse, on a créé au fil des générations de véritables enclaves que certains, Jean-Louis en tête, semblent découvrir les yeux exorbités devant l’ampleur des dégâts : zones de non-droit où l’ambiance autorise le jet d’objets divers sur les impudentes forces de l’ordre en goguette, les habitants y vivent de façon quasi-autarcique en se reposant sur l’économie toxique du trafic de drogue et d’armes.
Et pendant que tout le monde regarde, effaré, la situation se dégrader à grande vitesse dans ces banlieues « abandonnées de la République », on constate le même délitement, à grande échelle, sur tout le reste du pays. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le pays s’enfonce à présent lui aussi dans les délices de l’épandage subventionné et la distribution de cathéter pour l’injection directe d’argent public en intraveineuse.
Son ambiance globale est largement détériorée par des années de ponctions sans bride, la reproduction vigoureuse de plans Vigipirate tabassant essentiellement du conducteur de Doblo à 92km/h sur une départementale bien droite, la multiplication d’acquis sociaux indéboulonnables et pernicieux ou la disparition progressive de toute responsabilité personnelle au profit d’un collectif de plus en plus étouffant, tout ceci favorisant les expressions les plus agressives de l’égocentrisme le plus crasse.
Il n’y a aucun doute à avoir : le plan Borloo est une nouvelle fumisterie jetée en pâture pour occuper la presse. Nos banlieues et leurs habitants continueront de souffrir et tout indique que la cause des maux dont ils souffrent sera consciencieusement reproduite à l’échelle du pays tout entier.
Dès lors, ce pays est foutu.
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