Ballotté d’une grève à un mouvement social, de la grogne des uns aux revendications des autres, d’une situation internationale tendue à des événements nationaux effervescents, le gouvernement n’est pas toujours dans une situation agréable. Heureusement, pour lui donner du tonus et amuser la galerie, il peut compter sur Bruno Le Maire qui, de semaine en semaine, n’en loupe pas une.
Même lorsque les insultes envers le Président de la République fusent, de plus en plus violentes, Bruno ne se laisse pas démonter : prenant son courage à deux mains, il n’hésitera pas à prendre sur lui pour nous offrir un sketch truculent plein de rebondissements en plusieurs actes qui donnent tout son sel à la performance comique du ministre de ce qui reste d’économie dans ce pauvre pays.
C’est ainsi que notre homme n’a pas hésité à participer à un palpitant entretien le 20 janvier dernier dans la matinale de LCI, alors qu’allait s’ouvrir un sommet économique organisé à Versailles dans lequel le président Macron entendait vanter devant un parterre de patrons internationaux les délices d’un investissement en France.
Dans cet entretien, le brave Bruno déplore que les Français ne parviennent pas à se rendre compte du « succès économique » que traverse le pays (les guillemets sont obligatoires, ici). Apparemment, plutôt que de mordre à pleines dents dans les fruits économiques dodus que ce succès engendre, ces Français ont bêtement choisi de faire des grèves, de bloquer des parties de l’activité économique et sociale du pays, éventuellement de casser des trucs et des machins, d’épuiser les forces de l’ordre.
Au passage, on ne peut que se féliciter que le « succès économique » traverse le pays malgré ces différents mouvements sociaux, arrêts de travail, incidents divers et variés et cela indique que, sans ces derniers, le pays péterait la forme comme probablement jamais auparavant dans son histoire. D’ailleurs, c’est bien simple, comme le dit Bruno, avant son intervention et celle du gouvernement impulsé par ce brave Emmanuel Macron, le pays était en « pleine débâcle industrielle » alors qu’il remonterait la pente actuellement, bénéficiant du Brexit selon les dires du ministre, ce qui lui permettrait, zip zoup tour de passe-passe et prestidigitation de folie, de devenir « pays le plus attractif pour les investissements industriels ».
Autant d’éléments qui annoncent une véritable « reconquête industrielle » fanfaronnée par le ministre qui n’hésitera pas plus, lors du même entretien, à prédire des investissements de ces chefs d’entreprises étrangers à hauteur de 8 milliards d’euros. Youpi !
Un gag est bon lorsqu’il y a une bonne chute. Cependant, prétendre que la France redeviendrait super-attractive pour les investisseurs étrangers n’est pas à proprement parler une bonne chute : c’est un trait d’humour connu et on peut quasiment entendre les rires enregistrés dès qu’on la sort.
En revanche, la réaction naturelle des investisseurs présents à Davos, la même semaine que d’autres à Versailles, permet de donner un peu plus de substance à ce qui devient maintenant un running gag : lorsqu’il ne s’agit plus de parler mais de mettre l’argent sur la table, les choses deviennent plus compliquées et ceux qui pourraient venir en France y réfléchissent à deux fois.
« Il y a trop de grèves, et ce n’est pas aussi stable que d’autres pays pour le business. (…) les taxes sont trop élevées. (…) il y a beaucoup de troubles en France comme on l’a vu avec les émeutes (…) il y a toujours beaucoup de résistance en France pour atteindre la productivité nécessaire. Tout ça n’aide pas à y investir à nouveau. »
Mais puisque Bruno vous dit que la débâcle industrielle est finie et que ça va roxxer, enfin ! Revenez, vous allez voir, ça va pulser comme jamais !
D’ailleurs, les articles consacrés à la question ne manquent absolument pas d’insister sur le fait qu’en 2018, la France a attiré 31% d’investisseurs étrangers de plus que l’année précédente, ce qui est mieux que l’Allemagne, cocorico et tout ça, n’est-ce pas… On se bouscule même dans la presse pour relayer les informations habilement distillées par les cellules de communication de l’Elysée ou de Matignon pour bien insister sur le paradoxe français : malgré les manifs, malgré les grèves, les investisseurs étrangers se bousculent au portillon. Si si !
Bon évidemment, lorsqu’on va un peu plus loin que les communiqués de presse officiels, lorsqu’on épluche un peu les chiffres et qu’on va regarder les statistiques officielles, le bilan est… plus contrasté pour le dire pudiquement : malgré cette attractivité pour les investisseurs étrangers, les français, eux, fuient notre pays, à hauteur de 102 milliards d’euros de flux sortants en 2018, plus du double de 2017. Nous sommes même le deuxième pays au monde pour l’hémorragie des capitaux après le Japon.
La Banque de France (dont Bruno Le Maire a dû occasionnellement entendre parler, je présume) confirme ce mauvais bilan 2018 en calculant 51 milliards d’excédents de flux sortants (102 sortants contre 51 entrants).
Mais Bruno ne s’en laissera pas compter. D’autant que sa mission de clown ne peut se permettre le moindre relâchement : s’il n’enchaîne pas, la morosité progressera, l’abattement gagnera et la tristesse remplira les coeurs et ça, Bruno ne peut se le permettre.
C’est probablement pour cela qu’il n’a pas hésité à remonter au créneau en cours de semaine pour essayer d’arrêter la progression du sentiment de défaite ou de reculade qui a accompagné l’annonce d’une suspension de la taxe GAFA, qu’il avait lui-même réclamé à grands cris.
Pour rappel, Bruno Le Maire – accompagné d’une solide brochette d’incultes en économie – ont régulièrement réclamé la mise en place d’une taxe spécifique pour les géants du numériques afin (croient-ils) de faire payer des impôts à ces entreprises. Quelques minutes de réflexion auraient suffi pour leur rappeler que les taxes, peu importe leur nom ou leur nature, sont finalement toujours payées par le consommateur (les Français, en l’occurrence) et qu’elles n’auraient à peu près rien changé dans la domination numérique de ces entreprises ciblées. La jalousie et l’avidité, principaux moteurs derrière cette taxe, sont de bien mauvaises conseillères mais nos clowns habituels ont compris tout l’intérêt strictement électoral de s’en remettre à elles.
Néanmoins, les entreprise visées étant essentiellement américaines, l’administration Trump n’entendait pas se laisser ainsi marcher dessus. De façon assez peu surprenante, le président américain a rapidement menacé de mettre en place des mesures de rétorsion douanières sur les produits français, ce qui a nettement calmé les ardeurs macronesques.
Rassurez-vous cependant : Bruno n’entend pas laisser tomber l’affaire aussi rapidement et a donc clairement fait savoir que non, scrogneugneu, « nous ne cèderons rien » : il faut absolument que ces méchantes entreprises payent 25% d’impôts et non 3%, car tout le monde sait qu’un monde où l’entreprise est tabassée d’impôts et de taxes est un monde plus juste et plus fonctionnel.
D’ailleurs, regardez ce qui se passe en France : plus on augmente les taxes, les impôts et les ponctions, plus les citoyens sont heureux, les mouvements sociaux disparaissent, les grèves se raréfient et la croissance augmente !
Ah, sacré Bruno ! Non, décidément, il n’en loupe pas une !
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