Magie (calculée ?) de l’actualité : alors que la France découvrait, effarée, qu’on se bat encore dans certaines régions pour se procurer des ressources vitales comme du Nutella à prix discount, le gouvernement dévoilait les grandes lignes de sa nouvelle Loi Alimentation que tout le monde attendait avec une impatience difficilement canalisable.
Oui, vous l’avez bien lu : de nos jours, en France, on se bat pour des pots de pâte à tartiner en promotion. Ce n’est pas rien : ce genre d’événements permet en effet à deux phénomènes de s’exprimer librement dans les médias.
D’une part, ces bousculades nutellisées nous offrent une avalanche d’analyses extrêmement pointues sur la pauvreté en France qui pousserait certaines populations à se ruer pour posséder un produit subitement devenu « de luxe » à la faveur de l’événement. Quand ce n’est pas cette extraordinaire exégèse, c’est celle qui veut que la société ultracapitaliste turbolibérale favorise ces empoignades grotesques. Ou alors, on a droit aux réflexions emphatiques sur l’évidente malbouffe qui envahit nos habitudes et nos placards à force de promotions scandaleusement alléchantes.
Autrement dit, une promo sur le Nutella qui dégénère, et tout ce que le pays compte d’intellectuels se met à pondre des analyses pour occuper le temps de cerveau de ceux qui ont refusé de s’en procurer.
D’autre part et c’est encore plus fameux, cela permet très commodément de pousser l’actuel agenda gouvernemental en matière de lutte contre les méchantes dérives commerciales sur les produits alimentaires. Pour une coïncidence, c’est une coïncidence mais c’est comme les promos Nutella, il serait fort dommage de ne pas en profiter.
C’est donc ainsi que le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a dévoilé les premiers éléments de sa loi Alimentation, qui sera officiellement présentée le 31 janvier en conseil des ministres.
Comme trop souvent en République du Bisounoursland, tout part d’une problème idiot analysé de travers et dont la résolution sera catastrophiquement à côté de la plaque. Cette nouvelle tentative de plonger les filières alimentaires du pays dans le désarroi sera, n’en doutons pas, couronnée de succès : rappelons en effet que les précédentes occurrences avaient par exemple permis à Guillaume Garrot, alors ministre délégué chargé de l’agro-alimentaire, d’exprimer toute l’ampleur de son intelligence en réclamant (je n’invente pas) qu’on puisse enfin payer les yaourts à l’unité (c’est déjà le cas, mais peu importe), qu’on transforme les promotions « Deux achetés, trois vendus » en « Deux achetés, le troisième vendu bien plus tard » ce qui ruine totalement l’idée promotionnelle basée sur un écoulement rapide du stock, ou encore qu’on retire bien avant leurs dates limites les produits en rayon pour redistribuer sous forme d’aide et de dons alimentaires, fusillant ainsi tout l’intérêt de ces dates et détruisant consciencieusement le travail de douzaines d’associations caritatives sur le terrain depuis des années.
Évidemment, à part la production d’enquiquinements administratifs supplémentaires et quelques amusants billets de blog, ces initiatives consternantes n’avaient apporté absolument aucune améliorations palpables des filières concernés, au contraire.
Il était donc relativement inévitable qu’on étale une nouvelle couche d’intervention étatique dans le domaine alimentaire : l’ultralibéralisme de Macron et de son gouvernement frappent donc à nouveau avec ces propositions dont le détail permet de donner une nouvelle dimension au foutage de gueule en technicolor que les Français subissent actuellement.
Eh oui : fini, les promotions excessives. Un acheté, un gratuit, ce ne sera plus possible ! On va limiter la promo à 34% de la valeur, et puis c’est tout !
Et c’est tant mieux : pensez-donc, à ce rythme là, bientôt, les gens auront des placards pleins et des portefeuilles épargnés alors que tout le monde sait qu’il vaut largement mieux des portefeuilles et des placards parfaitement synchrones, c’est-à-dire vides. Réjouissez-vous donc : l’actuel ministre de l’Agriculture Stéphane Travert se bat activement pour empêcher une hausse scandaleuse de votre pouvoir d’achat !
Et qui, mieux que le gouvernement, pour décider à votre place ce que vous devez faire de votre argent, les promotions qui vous sont bonnes et celles qui sont excessives ?
Ce n’est pas tout ! Il faut mettre fin à ces pratiques scandaleuses de ventes à perte qui permettent à trop de Français de faire de bonnes affaires. Sur certaines catégories de produits de grandes marques (comme, coïncidence, le Nutella ou le Coca-Cola), les marges des enseignes sont bien trop petites et la nouvelle loi va enfin les obliger à les augmenter. Autrement dit, c’est ♪ vrément ♫ supayr ♩, notre ministre se bat activement pour que les prix augmentent !
Sans surprise, de la même façon que Garot avait décidé de nous faire rire avec ses idées ridicules en matière de gestion des cantines, Travert propose de nous amuser avec ses propositions sur ces mêmes cantines : d’ici 2022, la moitié des aliments qui y seront servis seront bios (à hauteur de 20%) et locaux (pour les 30% restants). L’augmentation du coût des repas servis sera compensée par de généreuses portions de poudre de licorne dispensée au petit déjeuner ainsi que des chamallows grillés dans un arc-en-ciel.
Enfin, et dans une continuité – qui frise la perfection – des actions du précédent gouvernement socialiste, le ministre entend imposer des audits et des diagnostics des pratiques d’achats des entreprises de restaurations collectives parce qu’il semble évident que ces entreprises n’ont rien à carrer du gaspillage et qu’elles gèrent manifestement leurs achats d’une façon sous-optimale que seul un agent de l’État, son administration, ses procédures et ses petits cerfas en triplicatas serrés sauront redresser.
On le comprend : non seulement, il s’agit d’une nouvelle resucée des précédentes lubies de Garot dont le succès flamboyant permet déjà de se faire une bonne idée de ce qui va nous arriver, mais encore faut-il appuyer sur l’emploi de méthodes toujours aussi stupéfiantes d’innovation et de finesse politique, qui mêlent à la fois une compréhension intime des mécanismes de l’économie de marché et l’analyse en profondeur des problèmes soulevés pour faire une véritable symphonie d’âneries invraisemblables.
Tout ceci est formidable : grâce à l’énergie considérable que vous fournissez à ces histrions de l’emmerdement maximum par le truchement de vos impôts prélevés de plus en plus souvent et de plus en plus profondément, nous arrivons dans cette situation délicieuse où ceux qui sont normalement vos commis font absolument tout pour vous sucrer le peu de pouvoir d’achat qui vous restait une fois leur razzia terminée.
Et mieux que ça : l’abrutissante stupidité des propositions débitées par le ministre, si minutieusement contre-productives, ne semble défriser aucun journaliste, aucun économiste en vue dans les médias, aucun éditorialiste pourtant si prompte à sauter sur les émeutes nutellaires comme la vérole sur le bas clergé. Le peuple, anesthésié par ses intraveineuses de promotions scandaleuses, semble ne plus réagir.
Ce pays est foutu.
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