« PARIS (AFP) – Le tribunal correctionnel de Paris a condamné mardi quatre jeunes, interpellés dimanche à l’issue de la manifestation anti-Hollande à Paris, à des peines de deux mois avec sursis pour des violences contre les forces de l’ordre. »
Anne-Laure Blanc, présidente de Solidarité pour Tous, invite tous ceux qui pensent que la suite de ce texte est objective (voir sa reprise par Le Nouvel Observateur) – et les autres -, de lire le compte-rendu de ces audiences, auxquelles elle a assisté ce mardi 28 janvier.
Arrivée vers 16 h au Palais de Justice, j’ai dû attendre deux heures pour entrer, vers 18 heures, dans la salle où se déroulaient les audiences de la 23e chambre, 2e section. La salle était comble et la presse très présente. Trois photographes et cameramen attendaient patiemment la sortie des quatre jeunes interpellés dimanche dernier à l’issue de la manifestation de Jour de Colère. En effet, quel scoop !
J’ai mieux compris la situation quand j’ai enfin pu trouver place dans la salle. Dans le box, chacun devant le gendarme affecté à sa surveillance, trois jeunes garçons et une jeune fille. Réquisitoires, plaidoiries, conclusions : vous en trouverez le détail dans la presse de ce mercredi matin. Avec ce que je considère comme un scandale injustifiable : aucun journaliste n’a jugé bon de changer les noms et prénoms des prévenus ! L’AFP vous dit tout d’eux, nom, prénom, études… Du Parisien au Nouvel Observateur et à Europe 1, chacun répètera la même vulgate. Peut-on, à ce point, faire fi de cette habitude de discrétion systématiquement utilisée quand il s’agit de ne pas « stigmatiser » certaines populations ?
Ce que j’ai vu ? Une jeune fille très BCBG, Sybille, puisque nous connaissons son prénom, toute menue dans le box, blottie dans un manteau au col de fourrure synthétique. 18 ans, lycéenne, une « crevette qui terrifie les policiers avec sa cannette vide » a ironisé son avocat, Me Grégoire Etrillard. Car c’est bien pour cela que cette jeune fille a passé plus de vingt heures en garde à vue : elle aurait été vue en train de jeter une cannette vide ! Arme fatale…
Dimanche soir, en fin de manifestation, les forces de l’ordre ont bouclé la place Vauban. Les rafales de vent couchent la pluie à l’horizontale, quelques fumigènes de couleur brouillent la vue. La foule, compacte, a du mal à trouver la sortie : il s’agit de faire passer plus de 15 000 personnes dans le chas d’une aiguille ! Moi-même, dès 18 h 10, je me suis faufilée entre deux rangées de CRS pour emprunter le trottoir de l’avenue de Tourville, saturé de piétons trempés et frigorifiés. Bien sûr, quelques jeunes ont osé sauter dans les fossés des Invalides, mais avec des ballerines aux pieds, pour Sybille, c’était l’entorse assurée… Elle et sa sœur se sont trouvées prises au piège de la place Vauban, incapables, comme bon nombre de manifestants, d’accéder rapidement à l’une des rares issues ouvertes dans le dispositif policier.
Quand le juge annonce l’annulation de la procédure pour irrégularité, au vu des « imprécisions sur les circonstances de son interpellation », on ne sait trop si la jeune fille rit ou pleure. Son épuisement physique et nerveux est palpable. Ses parents, derrière moi, poussent un grand « ouf » de soulagement. « Nous la soutenons dans son engagement en faveur de la liberté d’expression et d’éducation, la liberté de la vie, et contre les attaques envers le catholicisme », confiera son père quelques minutes plus tard au Parisien. Avant de retrouver sa fille et de reprendre le train pour la ville de province où vit cette belle famille nombreuse. La jeune sœur de Sybille, 16 ans a, elle aussi, été interpellée dimanche, mais pas mise en garde à vue. Elle aura néanmoins été importunée, sur les bancs même d’un commissariat, par deux Russes pas très frais, sous le regard ironique et les propos déplacés d’une policière.
Et les trois garçons ? « Aymeric Barthelemy de Saizieu, 20 ans, étudiant en BTS transport et logistique, Louis Marie Meurin, 18 ans, étudiant en deuxième année de médecine, et Loïc Rey, 18 ans, détenteur d’un bac pro de mécanique moto, ont été reconnus coupables d’avoir projeté une barrière de chantier en direction d’un cordon de gendarmes mobiles, sans l’atteindre » dit la dépêche AFP reprise par Le Nouvel Observateur, donnant noms et prénoms. Le Parisien se suffira des prénoms. En bon français, cela s’appelle de la dénonciation, de la délation, du mouchardage. C’est infect.
Notez le jeune âge et le parcours prometteur de ces trois-là. Ils n’ont pas perdu leur temps à sécher l’école ni à traîner dans les rues ! A voir leur aspect physique, leur dangerosité semble un pur fantasme. Des gabarits « ordinaires », pas des freluquets, non, mais pas non plus des athlètes. Dans le box, ils ont faim, ils se sentent crasseux, ils ont sommeil et se demandent quand finira ce cauchemar.
C’est la première fois qu’ils se retrouvent devant la justice, mais quelle justice va leur être faite ? Ils sont, je cite encore l’AFP, « reconnus coupables d’avoir projeté une barrière de chantier en direction d’un cordon de gendarmes mobiles, sans l’atteindre ».
Revenons sur les faits : contrairement à tous les accords passés avec les organisateurs de la manifestation, dès 18 h 15 et avant toute sommation, les premières lacrymogènes inondent la place. Les forces de l’ordre chargent, les policiers en civil entrent en jeu, les coups de matraque pleuvent. Des manifestants sont traînés dans la boue, frappés, puis interpellés. Que montreront les rares prises de vue ? Une cinquantaine de jeunes garçons attrapent des barrières de chantier et s’en font un bouclier. Une sorte de baroud d’honneur. Aucune image ne montre que ces barrières auraient été jetées en avant. Encore moins qu’elles auraient atteint une cible quelconque. Quatre garçons sont néanmoins interpellés, puis placés en garde à vue. Le plus jeune, encore mineur, jugé en comparution immédiate mardi matin à Créteil, écopera d’un simple rappel à la loi. Les trois autres sont donc devant nous, dans le box des accusés.
Me Antoine Vey, avocat de Loïc Rey, rappelle quelques détails curieux : le procès verbal de saisine et d’interpellation de son client et de ses co-prévenus est daté du 26 janvier à 18 h 55, alors que leur interpellation elle-même a eu lieu à 19 heures. Aucune date de clôture ne figure sur ce PV. Quant au PV de la garde à vue, c’est un « PV d’ambiance », dont on se demande à juste titre quelle est la valeur juridique. Du côté des forces de l’ordre, pas d’ITT, pas de préjudice réel. Juste un certificat médical pour… des égratignures sur les mains.
« On a le sentiment d’une instrumentalisation de la procédure judiciaire à des fins politiques » déclare Me Vey, tandis que sa consoeur, avocate du jeune Louis-Marie, insiste sur l’arbitraire de cette « pêche à la ligne » : pourquoi y a-t-il eu autant d’interpellations et si peu d’éléments à charge – voire aucun ? Et Me Paul Yon, qui défend Aymeric avec sa fougue habituelle, de se demander si les forces de l’ordre ont fait leur travail qui est, justement, le « maintien de l’ordre ». Quand les « gendarmes mobiles sont chargés d’encercler les manifestants pour les disperser », on peut en douter.
Malgré les demandes unanimes de relaxe, après rejet de la nullité, les trois garçons écopent de deux mois de prison avec sursis, sans inscription au casier judiciaire. Mais ça, la presse aux ordres se charge de le faire : elle dénonce leurs noms et prénoms le soir même sur Internet et dans leurs éditions du lendemain matin. Ce 28 janvier, la presse a inventé le « casier » perpétuel, le casier sur internet. Qui effacera ces données des moteurs de recherche ?
Il se fait tard. D’autres affaires vont être jugées. Nous en profitons pour faire une pause au café d’en face. Retour au TGI vers 21 heures. Les journalistes sont partis depuis longtemps. La salle d’audience est quasiment vide.
Entre deux « chances-pour-la-France », un jeune homme aux cheveux longs, l’air assez fataliste. Il est poursuivi, et condamné, pour avoir lancé des pétards en direction des gendarmes. Deux mois avec sursis également. Même punition, même motif : l’AFP donnera aussi son prénom et son nom.
Passe alors en comparution immédiate, pour vol de téléphone portable, un Tunisien clandestin, assisté d’un interprète. Connu sous plusieurs identités de fantaisie, squatteur, camé à l’occasion, récidiviste, gagnant ici ou là 40 € au black sur des marchés, Abdelkader se déclare « marin pécheur », un job dont on ne peut décemment vivre à Paris. Il écope de trois mois avec mandat de dépôt. Fin de l’intermède.
Décidément, les interpellés de ce Jour de Colère ne se ressemblent pas. Arrive dans le box un jeune homme accusé de coups contre les forces de l’ordre, en l’occurrence, nous confiera-t-il à sa sortie, un policier en civil qui l’avait plaqué au sol. Mais il se fait tard… Le garçon, un étudiant dont est évoquée la « fragilité de son cheminement identitaire » (cela ne s’invente pas !), en est quitte pour un report avec mise sous contrôle judiciaire.
22 heures. Le dernier prévenu est dans le box depuis une bonne heure, droit comme un « I » malgré la fatigue. Il est poursuivi pour violences volontaires sur les forces de l’ordre, pour avoir lancé une grenade lacrymogène, jet qui n’a entraîné aucune ITT. Le tribunal ne souhaite pas étudier le dossier à une heure aussi avancée. Après les conclusions de l’enquête sociale et un bug informatique, il est décidé de reporter l’audience au mois de mars, avec mise sous contrôle judiciaire. Me Frédéric Pichon « s’associe avec joie aux conclusions du ministère public ».
Les deux prévenus sortent par la petite porte du quai de l’Horloge. Il n’est pas loin de 23 h 30. L’heure pour la petite bande venue en soutien d’aller fêter cela au bistrot du coin – au grand dam d’une jeune mariée très émue ! L’heure pour moi de sauter dans un taxi – non sans une pensée pour ceux dont le combat ne s’arrête pas, en particulier pour Béatrice Bourges qui jeûne et campe quelque part dans Paris.
Grâce à votre soutien, Solidarité Pour Tous peut aider tous ces jeunes gens à payer les avocats qui les ont brillamment défendus. Aidez-nous à les aider !
Vous pouvez adresser vos dons soit via Paypal sur notre site internet, soit par chèque envoyé à Solidarité Pour Tous au 54 rue Saint Lambert 75015 Paris.
Lire aussi :
> Premières condamnations suite au « Jour de Colère » : Le Monde, Le Point, Le Figaro, etc. publient les prénoms et les noms des jeunes
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