Le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia vient d’écrire au Ministre de la Justice pour lui demander que Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi soit jugé. Le 19 décembre, la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Paris avait conclu à l’irresponsabilité de celui-ci. Les puristes du droit, comme Philippe Bilger, soulignent évidemment l’inconvenance de la démarche de part en part. Le Ministre, Mme Belloubet, ne peut intervenir dans une procédure judiciaire qui est actuellement devant la Cour de Cassation, laquelle a été saisie par les parties civiles. Quant au Grand Rabbin qui feint d’ignorer cet obstacle, il le contourne en effet au nom d’un communautarisme aussi politique que religieux qui peut susciter d’autant plus de réserves qu’il ne serait pas admis en faveur d’une victime chrétienne ou musulmane, ainsi que le suggère le célèbre magistrat honoraire qui s’était déjà ému de l’intervention de Benjamin Netanyahou sur le sujet lors de sa venue à Paris.
Pourtant, on doit ici donner raison au Grand Rabbin qui a le courage d’appeler à la justice quand le droit l’empêche d’être rendue, et que tous ceux qui tournent en rond dans le cercle mondain de l’Etat de droit trouvent cela normal. Il faut parfois briser les tabous de caste, et qu’un religieux se le permette est assez réjouissant. L’un des signes de la décadence consiste en ce que la forme prenne le pas sur le contenu, le moyen sur la fin. Lorsque les juristes préfèrent le droit à la justice et qu’ils oublient que la finalité de celle-ci n’est pas l’Etat de droit, qui n’en est que le moyen, mais la cohésion de la société, ils participent à cette décadence. La cohésion de la société ne peut subsister que si la blessure infligée à la conscience collective par le crime reçoit une réponse à la hauteur de sa douleur. En émettant cette idée, Durkheim faisait passer au second plan le formalisme judiciaire, la priorité accordée désormais à certains criminels en tant que victimes sociales, et les émois de ceux qui pensent l’humanité sauvée si l’auteur d’un acte monstrueux n’était pas pleinement humain au moment de le commettre. Quand un crime particulièrement odieux révulse l’opinion publique, on ne mesure pas suffisamment combien la lenteur ou la faiblesse de la Justice sont de puissants dissolvants du lien social. Comme le disait encore notre grand sociologue : « le châtiment est surtout destiné à agir sur les honnêtes gens ». Dans un récent et remarquable ouvrage sur la peine de mort, Jean-Louis Harouel analyse avec une grande pertinence cette dérive de la Justice qui oublie la victime, laquelle a le tort d’être morte, pour ne plus s’intéresser qu’à l’assassin et à sa réhabilitation, sans souci de ceux qui continuent à souffrir de la perte subie ni des futures cibles du coupable, si un jour ou l’autre il retrouve la liberté. Faut-il rappeler que l’humaniste Georges Pompidou n’avait pas gracié Buffet et Bontems parce que c’est en prison qu’ils avaient commis deux assassinats sur les personnes d’une infirmière et d’un gardien ? Beaucoup de grands esprits, de Sénèque à Spinoza, considéraient en effet qu’à un certain degré de perversité, c’est rendre un service au criminel que de le libérer de lui-même. Mais, aujourd’hui lorsqu’un individu est qualifié de « personnalité pathologique antisociale », laissé d’ailleurs en liberté, qu’il a un casier judiciaire chargé de 22 mentions, et qu’il est lui-même « chargé » de 10 à 15 joints de cannabis par jour, six experts sur sept, concluent à l’abolition de sa responsabilité durant des « bouffées délirantes aiguës », celles durant lesquelles il s’est acharné sur Sarah Halimi, avant de la passer par la fenêtre, criant Allahou Akbar et la traitant de « cheitan », c’est-à-dire de diable. On remarquera que la Cour d’Appel a retenu l’antisémitisme, et on observera qu’il a lui-même crié au suicide à propos de la mort de Mme Halimi… Ainsi le meurtrier inconscient était consciemment antisémite et suffisamment lucide pour tenter de masquer son crime ? De même, on pourra s’étonner de ce que la prise de drogue ou d’alcool accentue la culpabilité d’un automobiliste, mais exonère le meurtrier. Il paraît qu’il ne connaissait pas les risques de l’usage de ce stupéfiant ! Alors bien sûr que tout automobiliste, dès le troisième verre se sent un assassin en puissance…
Chacun sait que les Juifs de France sont aujourd’hui la cible d’un antisémitisme très différent de celui de l’affaire Dreyfus ou des crimes de la collaboration. Comme l’avaient montré, entre autres, la tuerie commise dans une école juive de Toulouse par Mohammed Merah ou celle d’Amedy Coulibaly à l’Hyper Casher, l’islamisme salafiste a retrouvé la vieille haine des musulmans fanatiques pour les juifs, entretenue politiquement, par les problèmes du Proche-Orient. Le communautarisme ne devrait pas avoir sa place en France, mais il faut être aveugle pour ne pas voir qu’il est en partie la conséquence d’une politique irresponsable d’immigration. Que les Juifs soient soutenus par le Grand Rabbin, et même par Israël, qui au lendemain de la seconde guerre mondiale est devenu l’Etat qui a juré qu’il ferait tout pour que la Shoah ne se répète pas, est légitime parce que cela répond malheureusement à un manque : si la sécurité des citoyens et des habitants de notre pays était assurée avec vigueur, les uns ou les autres n’auraient pas à se tourner vers d’autres protections. La décision de la Cour d’Appel n’a fait que renforcer ce mouvement trop naturel. C’est à un jury populaire de décider de la culpabilité de Traoré. Les spécialistes pourront le contester en raison de son « indignation ignorante », mais celle-ci est plus nécessaire à la société qu’un savoir nombriliste qui a perdu sa finalité.
(L’illustration représente Georges Pompidou, avec une certaine nostalgie de ce qu’était la France lorsqu’il était président !)
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