L’« Homme de l’année » aura été sans conteste le Président russe Vladimir Poutine. Non seulement il incarne le retour au premier plan de la Russie sur la scène internationale, mais encore il offre aujourd’hui l’image d’un dirigeant différent de la plupart des acteurs de la vie politique actuelle. J’ai participé hier à une émission de Radio Courtoisie qui lui était en partie consacrée. J’y ai retrouvé Ivan Blot, l’auteur de « La Russie de Poutine » et rencontré Denys Pluvinage qui a écrit « Le siècle Russie », un ouvrage qu’il faut lire pour se libérer des clichés et de la désinformation sur ce pays. Participait aussi à cette émission un Conseiller National suisse, c’est-à-dire un député, Claude Béglé (démocrate-chrétien) , tandis que son collègue Oskar Freysinger (UDC) intervenait au téléphone. L’un des autres sujets abordés était la démocratie directe, dont la Suisse et ses « votations » sont le meilleur exemple. Ivan Blot et moi avons toujours milité pour son introduction en France. A priori, tout oppose le système helvétique et celui qui prévaut en Russie. Le premier est fondé sur l’équilibre entre le consensus politique des quatre partis principaux qui siègent tous au gouvernement et la démocratie directe. La présidence est tournante et son titulaire n’a guère le temps ni les moyens de peser à l’international. Au contraire, la Russie actuelle est dotée d’un régime présidentiel et son Président a utilisé habilement la constitution pour jouir d’une durée et donc d’une expérience qui lui assurent une place exceptionnelle dans le monde. Cette opposition conforte apparemment les thèses classiques sur le lien entre les conditions géographiques d’un Etat et la forme de son gouvernement. Un petit Etat peut être démocratique. Celui de grande étendue réclame une monarchie. Mais en fait, c’est l’Histoire qui explique surtout la réalité politique d’une nation et la genèse de ses institutions. Comme le souligne Ivan Blot, la Russie est une démocratie. Elle l’est peut-être davantage que la France où le pouvoir est accaparé par un microcosme et où les élus ne jouissent pas en fait de la confiance de ceux qui les ont élus. Vladimir Poutine incarne la Russie aux yeux d’une large majorité des Russes. Reconduit à la Présidence en Mars 2012 avec 63% des voix dès le premier tour, il bénéficie de sondages favorables que lui envient la plupart des autres Chefs d’Etat, le nôtre, en particulier. La Russie a non seulement besoin d’un chef qui la conduise. Il faut qu’il suscite le respect du monde et légitime la fierté nationale.
Peut-on être gaulliste, avoir admiré Reagan et Thatcher au début des années 1980, et de la même manière être séduit par Poutine aujourd’hui ? Ma réponse est évidemment positive. Ces fortes personnalités politiques et historiques sont apparemment très différentes. Il y a peu de similitude entre le libéralisme anglo-saxon farouchement opposé au socialisme, l’affirmation du rôle éminent de l’Etat par le Général de Gaulle, et le patriotisme d’un ancien officier du KGB, qui intègre sans problème dans l’Histoire russe le passé tzariste et la victoire stalinienne sur le nazisme. En fait, il y a entre ces personnages un point commun bien plus important que ce qui les oppose. Ils incarnent le redressement de leur pays. Après le désastre vietnamien, le lamentable mandat de Carter qui voit les USA reculer partout devant la poussée communiste à la quelle s’ajoute l’arrivée des Ayatollahs à Téhéran, il y a Reagan et le retour de l’Amérique. Après la faillite du Welfare State des travaillistes britanniques, le décrochage économique et financier du Royaume-Uni, il y a la Dame de Fer, et sa révolution conservatrice qui va inspirer un renversement des politiques dans de nombreux pays, y compris le nôtre, trop modestement et trop tardivement. Après la déroute de 1940 et le pourrissement mortel de la IVe République, il y a de Gaulle et le rétablissement d’une France indépendante et forte. Après l’effondrement de l’URSS, le démantèlement de l’empire, le chaos de l’ère Eltsine, il y a Vladimir Poutine qui assure la renaissance d’une Russie à nouveau parmi les grandes puissances du monde.
Le Président russe partage avec le fondateur de la Ve République quelques valeurs essentielles. L’axe principal de leur politique est le patriotisme. L’intérêt national transcende les idéologies. De Gaulle disait à Peyrefitte que la Russie boirait le communisme comme le buvard boit l’encre. Poutine en est la démonstration. Le communisme est mort. La Russie est toujours vivante, et elle ne renie pas sa période soviétique en raison de la puissance que celle-ci lui a apportée. « Celui qui ne regrette pas la chute de l’URSS n’a pas de coeur. Celui qui veut la ressusciter n’a pas de cerveau » : cette phrase condense la pensée du Président russe. En somme, pour paraphraser le Général, la Russie sans la grandeur n’est pas la Russie. Elle ne peut aujourd’hui la retrouver que par d’autres moyens. Le pragmatisme doit l’emporter sur l’idéologie. La Nation est un tout, son histoire une continuité. L’idéologie fracture l’histoire et oppose les citoyens entre eux. Pour de Gaulle, la France ne datait pas de 1789. Pour Poutine, la Russie ne naît ni en 1917, ni en 1991. Ce pragmatisme au service de l’intérêt national conduit également à des postions politiques communes. La première est l’exigence de souveraineté nationale sans laquelle il n’est pas possible de poursuivre le bien commun du pays, et qui est une condition nécessaire de toute démocratie, que beaucoup paraissent oublier. La seconde est la conception conservatrice de la société. Pour qu’un peuple soit maître de son destin, il faut d’abord qu’il existe en maintenant son identité. Cela signifie clairement en Russie, son identité religieuse, orthodoxe. La laïcité à la française s’avère sur ce plan un obstacle plus qu’un levier. Il faut aussi qu’il se perpétue et la solidité des structures familiales soutenues par une politique volontariste s’impose comme une exigence démographique. C’est le choix de Poutine. C’était celui de de Gaulle, stupidement abandonné et trahi par les politiciens que nous subissons. Enfin, le réalisme doit éclairer l’action politique. La propriété, l’initiative privée, la souplesse administrative et fiscale sont plus efficaces qu’une dépense excessive opérée par un Etat obèse. Celui-ci doit se consacrer à ses missions essentielles et doit affronter la réalité avec lucidité. Cela signifie notamment ne pas reculer devant l’usage de la force. C’est ce qu’a fait Vladimir Poutine en Syrie et sans doute en Ukraine. Non seulement cela a bloqué la poursuite de la politique d’isolement de la Russie par les Etats-Unis, mais cela les a même amenés à donner plus d’efficacité à leur lutte contre l’Etat islamique.
C’est avec nostalgie mais non sans espoir que les Français doivent regarder Vladimir Poutine. C’est un homme de cette trempe qu’il faudrait à notre pays pour qu’à nouveau, il se redresse. En attendant, la France devrait modifier son attitude envers la Russie. La complémentarité de l’Eurasie russe avec l’Europe occidentale est évidente. La Russie et la France ont à la fois une culture, chrétienne, commune et des intérêts convergents. Il serait temps de s’en apercevoir.
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