Un lecteur nous adresse ce texte:
On a coutume de dire qu’il existe un fossé entre les médias et l’opinion publique. Le duel entre François Fillon et Jean-François Copé a pour mérite de confirmer la viabilité de cet aphorisme.
La passion que l’appareil médiatique éprouve envers ce combat pour la présidence de l’UMP semble en effet quelque peu excessive, puisque l’on nous en rebat les oreilles du matin au soir depuis plus d’une semaine. Au demeurant il est à rappeler que l’UMP regroupe un peu plus de 300 000 adhérents, ce qui n’a rien d’extraordinaire dans un pays de près de 65 millions d’habitants, il est donc étonnant de constater à quel point la chose empiète dans l’information.
Idéologiquement parlant, il n’y a pourtant aucun enjeu. L’un et l’autre sont de droite, conservateurs sur le plan des mœurs, partisans d’un libéralisme à la française (très étatisé donc), favorables à Maastricht, au traité de Lisbonne, ainsi qu’au Pacte budgétaire qui sont les textes fondamentaux de la politique menée par la France.
Mais avant l’élection François Fillon possédait un avantage ontologique : il inspirait davantage la confiance. Il a, pour l’opinion cette faculté à apaiser que l’on aime à retrouver chez un homme d’État ; une qualité dont Jean-François Copé ne peut se prévaloir, lui qui n’a jamais été populaire au-delà de la barrière des militants.
Dès lors, pour ne pas faire de l’élection un affrontement entre jumeaux politiques où seule la personnalité ressortirait, Jean-François Copé a fait évoluer son usuel discours de centre-droit en discours de droite, tout simplement. La « droitisation », ou encore « la ligne Buisson », deux termes à haute valeur péjorative dans le paysage politico-médiatique, sont des concepts fictifs dont on use pour qualifier un discours RPR affranchi de son filtre centriste hérité de sa fusion avec l’UDF.
Mais ce retour aux fondamentaux n’est qu’un miroir aux alouettes ; en témoigne l’affaire du pain au chocolat qui, derrière sa logique de clivage, soulève ce problème de fond qu’est l’étiolement de l’État dans sa faculté à souder les individus autour d’une communauté nationale. Une saillie médiatique grand-guignolesque qui a repoussé au loin le débat de fond pour emprunter aux associations anti-racistes leur logique rhétorique, en jouant notamment sur le racisme anti-blanc.
Quoiqu’il advienne de l’UMP dans un proche avenir, le pari de Jean-François Copé peut cependant être considéré comme gagnant, puisqu’au départ on le donnait battu d’avance. Par extension, il prouve que la ligne « décomplexée » suivie par Nicolas Sarkozy dans la seconde partie de sa campagne était la bonne, le problème n’étant dès lors pas ce qu’il disait, mais la conviction des électeurs qu’il se tiendrait à ses paroles. On ne gomme pas cinq années d’exercice du pouvoir en quelques mois de campagne.
“La crise de l’UMP est un don du ciel pour tous ceux qui possèdent cet art si délicat de parler sans ne jamais rien dire.”
Jean-François Copé, quant à lui, pousse le mimétisme un peu loin. Certes, il brise les tabous dans le discours, mais les choix politiques sont les seuls critères de jugement impartiaux ; or, aucun de ceux qu’il a effectués jusque-là ne permet de croire en la sincérité d’une nouvelle orientation diaphane derrière laquelle on perçoit sans mal l’opportunisme latent. En ce sens, seuls les électeurs désireux de se laisser duper peuvent lui octroyer un satisfecit.
Mais cette séparation contextuelle des lignes politiques entre les deux candidats, toute artificielle qu’elle soit, est du nanan pour la presse. Elle permet d’ancrer deux personnes distinctes dans deux projets différents. Il devient alors possible de raconter une histoire, celle de l’affrontement entre deux hommes qui se détestent et qui incarnent chacun un courant de l’UMP. Et de ce postulat biaisé on disserte sur ce qui les sépare sans jamais rappeler ce qui les lie ; on philosophe sur le tournant dans lequel se trouve la droite française. La crise de l’UMP est un don du ciel pour tous ceux qui possèdent cet art si délicat de parler sans ne jamais rien dire.
Quoiqu’il en soit, les choses sont allées trop loin. Jean-François Copé ne semble pas vouloir renoncer à une place dont il estime qu’elle lui revient de droit ; quant à François Fillon, il s’est trop engagé pour s’en aller tout penaud et ainsi perdre la face. Car c’est uniquement cela qui est en jeu. Les deux individus en lice cherchent à se désarçonner pour l’appareil du parti et pour la gloire médiatique, par détestation de l’autre également. À ce titre, si la haine qu’éprouvent entre eux les politiques de toute tendance pouvait être canalisée et mise au service de la France, nous vivrions dans un pays merveilleux.
La seule question qui compte désormais est la suivante : l’UMP va-t-elle éclater ? Je ne me risquerai à aucun pronostic sur ce sujet, et d’ailleurs, aucun observateur n’est habilité à en fournir un, eu égard à la confusion régnante dans les rangs de l’opposition.
Tout au plus, je puis dire qu’il serait souhaitable que la chose advienne, car la réunion de deux familles politiques distinctes au sein d’une seule ne peut être effective qu’en occultant le dogme de l’une d’elle. En l’occurrence, le dogme gaulliste-bonapartiste du RPR a cédé au fédéralisme européen de l’UDF, entretenant ainsi un électorat de droite trompé par des discours en inadéquation avec la pratique politique de ses cadres.
Mais à défaut d’avoir un combat d’idées pour la présidence de l’UMP, ses acteurs nous fournissent une querelle d’ego qui fait les choux gras de la presse. Cette dernière passera bientôt à autre chose, lorsqu’elle aura réalisé que pour des millions de Français cette guerre a l’envergure d’un duel d’acariens.
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