Depuis plusieurs années, ces quelques billets sont l’occasion de suivre les cheminements souvent malaisés de la législation française et européenne en matière de droit d’auteur, droits voisins et droits relatifs : copieusement tabassée par des parlementaires généralement peu au fait des nouvelles technologies et généreusement cornaqués par des lobbys industriels et autres sociétés d’ayant-droits qui comprennent bien l’intérêt de verrouiller leurs marchés dans des lois toujours plus contraignantes, cette législation n’a pas arrêté d’empiler des textes inopérants voire contre-productifs.
Ainsi, malgré le travail remarquable de certains eurodéputés comme Julia Reda que j’évoquais dans un précédent billet, les lois se suivent et se ressemblent toutes dans leur aspect décalé avec la réalité opérationnelle.
Les derniers exemples en date ont largement prouvé l’invraisemblable inadéquation entre les technologies modernes et les législateurs, nerveusement auto-investi d’une mission de régulation de marchés qui se régulaient très bien sans eux. Le RGPD a ainsi illustré de façon éclatante l’imbécillité de cette législorrhée compulsive qui s’est emparée des députés français et européens : exactement comme prévu et malgré les avertissements de l’ensemble des acteurs concernés et technologiquement au fait, le règlement a été voté, appliqué, et son résultat est à peu près nul voire négatif puisque non seulement, l’Européen moyen n’est pas du tout mieux protégé au sujet de ses données personnelles, mais sa situation est même globalement moins bonne puisque, maintenant bombardé de fenêtres encombrantes demandant son accord explicite pour piller ses données, ce dernier s’empresse de les valider sans y porter plus attention, donnant ainsi un blanc-seing automatique à tous les sites web de France, de Navarre et du reste du monde.
J’ai aussi relaté les dérives, pourtant évidentes dès les discussions parlementaires, des articles 11 et 13 de la directive européenne sur les droits d’auteurs et droits voisins : outre les complications parfaitement inutiles que ces articles entraînent dans la mise en place des sites web et des technologies de l’information, la façon dont la directive fut produite puis prestement (très prestement) traduite en droit français ne pouvait entraîner qu’une seule réaction des concernés.
La directive entendait trouver un moyen d’obliger les grandes firmes internet (lisez « Google ») à payer pour l’utilisation de courts extraits de la presse, ou à rémunérer la mise en place de liens HTML. Ce qui devait arriver arriva : Google, appliquant à la lettre la loi votée, proposa de supprimer tout lien, tout extrait vers les articles de presse, sauf accord explicite de reprise gratuite par les organes concernés.
Devant cette réaction de la firme américaine, et se rendant probablement compte de leur propre imbécillité avec leur loi toute pourrie, inopérante et à rebours de leurs propres intérêts, les autorités politiques s’étaient immédiatement adaptées à la nouvelle donne en faisant amende honorable et… Bien sûr que non : l’attitude parfaitement prévisible autant que légale de Google est parfaitement insupportable pour toute l’habituelle coterie d’idiots inutiles en charge de ces législations, de la culture ou des sociétés de presse ou d’ayant-droits. Pour Franck Riester, cinquième roue du carrosse républicain de la Culture et vaguement en charge d’émettre des petits couinements lorsque les choses ne se passent pas comme nos élites l’ont prévu (souvent, donc), tout ceci est intolérable et Google viole l’esprit de la loi (mais bien sûr !).
En substance, tout se déroule comme prévu (c’est-à-dire mal) pour les organes de presse : une grosse partie d’entre eux voyaient la mise en place de cette loi comme un moyen de « faire payer Google » pour qu’enfin la présence de leurs beaux articles finement ouvragés dans le kiosque de Google News leur rapporte financièrement. Las : le service de Google étant gratuit, la firme américaine a donc proposé d’y mettre fin, sauf à souscrire à ses conditions (i.e. l’absence de rémunération).
C’était parfaitement logique, attendu, et cela a évidemment déclenché une violente crise de rage chez tous ceux qui, jusque là douillettement protégés par des monopoles franco-français illusoires, ont refusé mordicus de s’adapter enfin à l’ère numérique. Crise qui s’est évidemment exprimée dans une tribune parfaitement pathétique, mélange de pleurnichements grotesques sur ce qui aurait dû être et de cris d’orfraie sur la méchanceté de la réalité qui refuse de se plier à leurs rêves idiots, un groupe de journalistes, photographes, vidéastes et autres petits soldats de l’arrière-garde d’un vingtième siècle analogique qui n’en finit pas d’agoniser en soubresauts comiques.
On attend avec gourmandise la réaction des autorités politiques qui ne manqueront pas d’ajouter leurs âneries comme une cerise sur ce gâteau pitoyable, alors même que, pendant ce temps, plusieurs dizaines de sites et d’organes de presse ont d’ores et déjà accepté le marché proposé par Google : son portail d’information continuera donc d’afficher les informations de ces sites exactement comme avant, et il n’y aura ni rémunération de Google vers ces sites, ni l’inverse.
Pour les pétitionnaires et les rageux, c’est déjà un échec.
Du reste, si le bon sens semble avoir déserté depuis longtemps le cerveau de certains organes de presse, et de certains journalistes, il en reste heureusement qui, les pieds sur terre, ont bien compris l’apport considérable que Google et les moteurs d’indexation ont fourni, gratuitement, à leur cœur de métier et se réjouissent de continuer leur collaboration comme elle se déroulait jusqu’à présent.
L’échec de la presse ne sera pas le seul. Les mêmes maux, les mêmes idées idiotes provoquant les mêmes effets, les mêmes comportements imbéciles se retrouvent dans des domaines connexes : la Tribune de l’Art nous relate ainsi, logiquement dépitée, le combat complètement rétrograde de la CGT Culture pour s’opposer vertement à toute ouverture publique des fonds d’images du patrimoine national, quand bien même cette pratique est déjà monnaie courante pour un nombre grandissant d’institutions et de musées dans le monde entier.
Là encore, on retrouve – comme pour les lobbyistes de la presse – la même incompréhension des dynamiques de marché, des intérêts en jeu et cette idéologie anticapitaliste sous-jacente à toutes les réflexions françaises. Et comme pour le cas précédent, on sait déjà que ces combats d’arrière-garde, parfaitement contre-productifs (puisque contre le public lui-même) seront amplement perdus.
Si ces péripéties doivent nous apprendre quelque chose – outre le décalage des politiciens et des législateurs avec la réalité, qu’on retrouve maintenant dans toutes les lois qu’ils nous pondent – c’est l’incroyable vanité de ces individus qui croient pouvoir décider pour les autres ce qui est mieux pour eux. Et leurs excitations irréfléchies, leurs appels hystériques à la loi, la régulation, l’interdiction montrent surtout leur peur panique de perdre avec la montée des outils numériques leur parcelle de pouvoir qu’ils avaient sur l’accès à l’information ou l’accès à la culture : les petits gardiens de la vraie information garantie authentique, les contrôleurs de la culture officielle adoubée par l’intelligentsia ne peuvent supporter qu’on se passe d’eux.
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