Opinion
Le nouveau film de Cheyenne-Marie Carron n’est diffusé que dans une seule salle de cinéma, à Paris. Malgré ces obstacles, la réalisatrice de L’Apôtre, film sur la conversion d’un musulman au christianisme, a porté avec énergie ce nouveau projet dans tous les milieux.
(spoilers)
Patries, contrairement à ce qui en est présenté, n’est pas un film sur le racisme anti-blanc. Ou si peu.
Le film est construit en deux parties : la première suit les pas de Sébastien, un jeune Français blanc qui s’installe en banlieue avec ses parents, et qui a du mal à s’intégrer dans un groupe de Noirs de la Cité. La deuxième s’attache à Pierre, jeune Camerounais vivant en banlieue française depuis l’âge de 5 ans, qui a offert son amitié à Sébastien mais qui ressent le désir de s’implanter au Cameroun.
Une fois la première partie terminée sur un plan sur Sébastien tabassé, on ne revoit plus le personnage de Sébastien que pour les scènes finales. A partir de là, un autre film commence : celui de la quête de Pierre et de son rapport avec le pays de ses origines.
On voit clairement que Sébastien est rejeté car le seul Blanc de la bande. Montrer cette réalité est déjà très courageux dans un monde politiquement correct. Mais le thème n’est pas plus développé, les personnages n’entament pas de réflexion sur le sujet, sur le sentiment d’être rejeté dans son propre pays. Tout le contraire du traitement du personnage de Pierre, dont le cheminement est amené en détails (environ 2/3 du temps lui est consacré contre 1/3 pour Sébastien). Là, on reconnait la patte Cheyenne-Marie Carron si distinctive : des dialogues nés de l’improvisation, des personnages qui entament des réflexions sur l’identité africaine, pour un rendu des situations qui « fait vrai ». La seconde partie s’étire en longueur à certains moments, elle a le mérite de rendre naturelle une idée (la remigration de Pierre) assez improbable sur le papier.
La manière d’envisager l’identité africaine a des aspects novateurs. La façon dont la foi catholique irrigue la famille noire est particulièrement mise en valeur. On parle peu de la dimension chrétienne de beaucoup de Noirs d’origine immigrée, alors qu’elle distingue radicalement leur expérience identitaire des « issus de l’immigration » musulmans. Une bonne partie du film ressemble à ces productions US au casting exclusivement afro-américain, car c’est les personnages d’origine africaine qui sont au centre du propos (de la même manière que le film L’Apôtre mettait en avant le milieu maghrébin-musulman du protagoniste principal).
La présentation de la famille blanche est beaucoup plus courte. Le propos juste aurait été plus difficile à trouver mais aussi plus inédit. On analyse peu le point de vue des « petits blancs » français, le livre éponyme d’Aymeric Patricot en 2013 étant le premier travail sur ce thème. On regrettera aussi la légèreté de la conclusion du film : Sébastien parvient à se faire accepter du méchant de la bande car il n’a pas baissé les yeux. Une scène tirée d’une improvisation des acteurs réussie, mais qui du coup relativise la gravité du racisme dont Sébastien a fait l’objet. Même si l’on comprend l’idée chez la réalisatrice de l’optimisme final, le même que celui de la fin de l’Apôtre.
Le sujet du racisme antiblanc et ses implications serait trop dur à porter seul à l’écran car trop neuf au cinéma ? Peut-être, cela expliquerait pourquoi Cheyenne-Marie Carron a préféré aborder plus largement le thème de l’identité, surtout franco-africaine. Un angle de vue assez déroutant par rapport à ce qui était donné de voir du film.
En résumé : film avec de nombreux mérites et d’une réalisatrice talentueuse, mais le film bascule très vite sur un sujet annexe à celui présenté dans la bande-annonce.
Louis M.
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