L’un des mots interdits en France par la novlangue de l’idéologie dominante est « conservateur ». Comme le nuage de Tchernobyl, le mot s’est arrêté à la frontière. Il y en a partout sauf chez nous. Chez nous, il faut à tout prix avancer. On fonce dans le mur, mais on avance. Le réactionnaire qui ferait marche arrière ou le conservateur qui voudrait stopper la descente sont évidemment d’extrême-droite, autant dire d’abominables fascistes plus ou moins camouflés, qu’il s’agit d’empêcher d’exister politiquement. On ne les tolère que s’ils font amende honorable, dénoncent les hérétiques, renoncent à leurs dérives et rentrent dans un front pour défendre une république laïque et obligatoire, née en 1789, baptisée en 93, communiante en 1830 et 1848, confirmée par la séparation avec l’Eglise et mariée avec le socialisme en 1936. Tout ça, ça fait d’excellents Français qui viennent de partout sauf d’un royaume catholique interdit de mémoire. Leur laïcité n’exclut pas le sens du péché, celui que les heures sombres de leur Histoire font peser sur leurs consciences. En battant leur coulpe, ils se doivent donc d’accueillir toute la misère du monde et ne peuvent avoir l’indécence d’imposer des règles de conduite qui nient la diversité et la liberté de ceux qui, pleins de mansuétude, viennent vivre chez eux. Les Droits de l’Homme sont une obligation pour les Français et des droits pour les autres. L’avenir des Français est ailleurs, dans une Europe aux contours incertains, délivrée des valeurs chrétiennes, constituée d’individus ouverts à la pensée universelle et obéissant à des technocrates géniaux.
Mais, dans le monde, il y a beaucoup de conservateurs. Au Royaume-Uni, ils sont même plus souvent au pouvoir que leurs concurrents et ont modelé l’identité nationale tout autant que la gauche en France. La comparaison ne nous est d’ailleurs guère favorable. Le hasard veut qu’ils viennent de perdre les élections au Canada et de les gagner en Pologne. Le Canada revient au vieux duel, assez répandu dans le monde avant l’arrivée des socialistes, entre les Conservateurs et les Libéraux. Un chouïa de ralentissement économique et à 10 ans de réussite conservatrice, succède l’arrivée des Libéraux, plus que jamais attachés aux « accommodements raisonnables » qui soulignent le respect des Canadiens pour les moeurs étrangères. C’est ainsi qu’ils sont favorables au port du niqab lors de la prestation de serment des nouveaux canadiens. Citoyens d’un immense pays d’immigration, protégés par les Océans, ignorant la ségrégation et la violence du voisin américain, les Canadiens ont été séduits par un jeune démagogue, fils de son père, qui va augmenter la dépense publique et les impôts pour les riches et réduire les dépenses militaires en cessant notamment la participation de son pays à la lutte contre l’Etat islamique : un libéral avec un zeste de social-démocrate.
En revanche, les conservateurs polonais du PiS remplacent les libéraux de PO. En Pologne, l’opposition est franche. Les conservateurs menés par Beata Szydlo et Jaroslaw Kaczynski sont les gardiens vigilants de l’identité nationale. Fervents catholiques, ils s’opposeront aux modes qui règnent dans l’oligarchie bruxelloise à propos de sexualité ou du respect de la vie, et favoriseront la politique familiale. Patriotes, ils mettront de la distance entre leur pays et ses deux envahissants voisins allemand et russe. Ils ne suivront pas les premiers pour l’accueil des migrants et montreront de la défiance envers les seconds, sans doute en accentuant l’atlantisme polonais. Sur le plan économique, leurs promesses quelque peu démagogiques sur l’avancée du départ à la retraite notamment pour les femmes ou sur l’augmentation de la dépense publique, ne sont pas libérales. La baisse de la fiscalité pour les ménages modestes et la taxation de la grande distribution ne le sont pas davantage. Le souverainisme et l’Euroscepticisme vont marquer les questions migratoires, monétaires et climatiques et rapprocher la Pologne de la Hongrie. Dans ces deux pays, la gauche victime de son passé a pratiquement disparu. Presque un demi-siècle d’identité et d’indépendance occultées par les Soviétiques suscite une faim légitime. On ne quitte pas une dictature lourde pour une technocratie contraignante qui gomme tout aussi bien l’image des pays. La Hongrie de Viktor Orban, contre toutes les prédictions bruxelloises est sortie du déficit excessif, a réduit sa dette et son chômage. Elle a connu une croissance-record en 2013, avec 3,6% de progression du PIB, tout en refusant l’aide du FMI : une leçon pour la Grèce, pour l’Euro et pour l’Europe. La politique hongroise est conservatrice : le protestant Viktor Orban affiche sa foi et défend l’Europe chrétienne. En économie, elle distille un libéralisme sélectif avec un taux d’imposition unique à 15% et une TVA à 27% qui taxe davantage les dépenses que les revenus, qui allège les prélèvements sur la production mais défavorise les entreprises de service étrangères. Elle entretient de bons rapports avec la Russie de Poutine qui n’a plus rien à voir avec l’URSS.
La France n’est ni libérale, ni conservatrice. Elle est libertaire pour les valeurs et socialiste pour l’économie avec ses 57% de dépense publique. Si on la compare au Royaume-Uni souverainiste et individualiste, à la Pologne et à la Hongrie, la première passée du libéralisme au conservatisme, malgré le succès économique du premier, la seconde conservatrice, l’opposition est évidente : c’est celle du succès et de l’échec. La France a un besoin impératif de conservatisme moral pour échapper à sa décadence actuelle. Elle a besoin d’un libéralisme souverainiste pour échapper à son déclin. En un mot, notre pays doit réintégrer « conservateur » dans son dictionnaire politique.
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