Quel enseignement principal tirer des élections sénatoriales d’hier ?
Il y a d’abord une continuité logique avec les élections municipales de cette année. Le corps électoral sénatorial étant renouvelé, on ne pouvait que s’attendre à une poussée de la droite, voire du FN. On notera une certaine proportion entre le nombre de mairies conquises et celui de sièges sénatoriaux. L’UMP avait pris un grand nombre de mairies : en toute logique, elle obtient des gains significatifs. De même, le FN emporte peu de mairies pour se retrouver finalement avec deux sénateurs. L’inverse eût été étonnant, même s’il faut constater que quelquefois la gauche résiste. Au-delà du mode de scrutin, quand il y a rejet, il y a rejet ! La victoire est nette pour la droite parlementaire : elle dispose désormais d’une majorité de 32 sièges, ce qui permet d’oublier la défaite à quelques sièges de 2011.
Le FN a attiré l’attention sur lui avec ses deux élus… Y a-t-il une poussée ?
Cette poussée, qui reste minime, mais fructueuse dans deux départements (Bouches-du-Rhône et Var), manifeste un début d’enracinement, dû en partie à l’existence de municipalités, mais pas seulement. Il n’est pas étonnant de voir le FN obtenir des élus dans des départements où une partie de l’électorat lui est acquis, alors même que l’élection est indirecte. Que cela signifie-t-il ? Que les grands électeurs qui sont souvent des élus locaux sont sensibles aux thèmes développés par le FN : immigration, disparition des services publics locaux, etc. Ainsi, le FN a obtenu sur le territoire national 3 929 votes, alors qu’il ne disposait, au mieux, que d’un millier de grands électeurs (on ne votait pas dans toutes les communes, car le Sénat a été renouvelé par moitié). En revanche, dans les autres départements (notamment ceux situés dans le nord du pays), le FN progresse, mais ne parvient pas à défier le PS, l’UMP et l’UDI. Peut-être l’absence d’implantation locale y a-t-elle été pour quelque chose (ainsi, dans l’Aisne, elle se limite à une seule commune, celle de Villers-Cotterêts). On peut aussi l’expliquer par l’absence de zone électorale contigüe et permanente ; là où le FN obtient des sénateurs, la poussée du FN se vérifie à toutes les élections, qu’elles soient locales ou nationales, alors qu’ailleurs, elle n’est confirmée qu’à certaines élections (élections européennes). Enfin, indépendamment de ces situations, on doit admettre une porosité non seulement des électorats FN et UMP, mais aussi des élus locaux FN et UMP. Les élus locaux réagissent encore comme les simples citoyens et sont moins sensibles aux consignes des appareils. N’étant pas toujours des professionnels de la politique, l’élection sénatoriale présente un caractère moins « existentiel ». Jusqu’où ira cette porosité des électorats ? Cela dépendra des évolutions du FN et de l’UMP, mais il semble qu’il existe déjà, de manière implicite, un système non seulement de désistement, mais d’attraction.
Et le phénomène des dissidences ?
Une élection sénatoriale reste une élection particulière en ce sens qu’elle révèle un enjeu de microcosmes, où les questions idéologiques sont souvent peu présentes. Néanmoins, on remarquera, notamment à droite, le poids de l’étiquette. Sauf rares exceptions, les dissidents élus à droite ont été des sénateurs sortants. Dans les autres cas, le dissident est une figure connue (cas de Jean-Pierre Grand dans l’Hérault). Les dissidences ont donc peu « fonctionné » à droite. En revanche, elles ont été un peu plus « payantes » à gauche. La liste dissidente de Jean-Noël Guerini obtient trois sièges à Marseille, alors que Samia Ghali, candidate PS officielle, parvient juste à sauver son siège… Pour autant, il faut se souvenir également qu’en 2011, lors de la fin du quinquennat sarkozyen, on avait enregistré un nombre important de dissidences à droite. Le phénomène de dissidence révèle toujours une majorité affaiblie et usée. En 2014, comme en 2011. La seule différence est que l’usure de la majorité apparaît aujourd’hui au bout de deux ans et non lors de la quatrième année, comme ce fut le cas en 2011. La majorité ne fait pas que subir les effets de la vague bleue de mars 2014 : elle révèle sa propre fragilité. Cet échec sera-t-il médité par François Hollande ? Est-ce le prélude à une dissolution, solution risquée, mais logique ?
Justement, concernant la gauche, que peut-on dire sur ces élections ?
À gauche, on a évidemment senti un phénomène d’usure. On constate évidemment un rattrapage sur le nouveau corps électoral consécutif aux municipales de mars 2014, mais aussi une moindre discipline de la part des grands électeurs. Certaines figures sénatoriales sont éliminées, comme Jean-Pierre Michel, défenseur du « mariage pour tous », en Haute-Saône. On notera aussi l’élimination de certains élus du Parti radical de gauche (PRG), comme celle de Jean-Michel Baylet, président du conseil général du Tarn-et-Garonne. Peut-être faut-il y voir des règlements de compte de la part du PS, peu enthousiaste à supporter un PRG frondeur… Mais la défaite a aussi une valeur symbolique, comme on le voit dans le passage de certains départements de gauche à droite. Ainsi, la gauche est battue en Corrèze, fief du Président Hollande.
Et sur l’équilibre des institutions, que représente cette victoire de la droite ?
Quelle que soit la figure sénatoriale retenue pour la présidence du Sénat (Gérard Larcher ou Jean-Pierre Raffarin), cette assemblée continuera à préserver sa spécificité. Le Sénat entend s’opposer au Gouvernement, mais, en interne, au sein de la droite, les sénateurs n’ont nullement envie d’être les courroies de transmission de l’UMP. Ils l’ont clairement affirmé. Le Sénat entend donc faire contrepoids. Mais rappelons que même sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le Sénat avait marqué sa différence. Il n’est pas certain que le favori de l’élection à la Présidence de l’UMP ait gardé du Sénat une si bonne image…
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