La semaine passée, panique et bière tiède, un krach boursier a eu lieu, une devise s’est effondrée pour remonter très vite à son niveau précédent : le 18 août, le bitcoin a subitement plongé de 35%, en passant de 470 à 309 dollars en quelques secondes. Et le monde n’a même pas haussé les épaules.
C’est normal, du reste. D’une part, le cours du bitcoin s’est très rapidement repris pour retrouver le niveau des 500$ autour duquel il tourne depuis maintenant plusieurs mois. Et d’autre part, même si ce mouvement rapide et violent a entraîné la débâcle sur des douzaines de monnaies virtuelles attachées de près ou de loin au Bitcoin, son empreinte dans l’économie mondiale est encore suffisamment faible pour que ce genre de péripéties passe à peu près inaperçu.
Comme d’habitude, la presse française, peut-être encore en vacance mais toujours aussi finement informée, aura profité de ce rebondissement dans l’aventure Bitcoin pour rappeler lourdement que cette monnaie cryptographique, qui a le goût forcément douteux d’échapper à tout contrôle étatique, est fort volatile, très prisée par les (méchants) spéculateurs et qu’au contraire de vrais indices et de vraies devises qui ont du coffre, de la répartie et l’onction étatique, sa cotation n’était pas entourée des mille et une protections dont s’entoure par exemple le Dow Jones pour, justement, éviter ce genre de « flash crash ».
Cependant, force est de constater que le dézingage habituel auquel se livrent les rédactions sur la monnaie cryptographique a été, depuis quelques temps, mis en sourdine. Il faut dire que, comme je le soulignais il y a deux mois, la monnaie virtuelle s’installe, doucement, dans les esprits. Et pas seulement dans les esprits puisque chaque mois, chaque semaine qui passe apporte son lot de nouveaux commerçants qui se déclarent en faveur de la cryptomonnaie, ou qui laissent à leurs clients le choix de l’utiliser pour acheter leurs produits.
C’est le cas, dernièrement, d’eBay, le géant de la vente sur internet, qui serait en pourparlers avec différents services de gestion de Bitcoin (comme Coinbase), afin de proposer cette monnaie dans son système d’unités de paiement, Paypal Braintree. Cette nouvelle, au départ rapportée par le Wall Street Journal, n’est absolument pas anodine puisque derrière cette structure de gestion de paiement, on trouve d’autres grands noms actuels de l’internet. En effet, si eBay trouve son intérêt et parvient à un accord pour utiliser Bitcoin dans Braintree, outre ses clients, ceux de Airbnb, OpenTable ou Über pourraient alors disposer de la même possibilité. Ces nouveaux venus viendraient rejoindre des revendeurs comme Dell ou Expedia qui ont déjà adopté la cryptomonnaie.
Parallèlement, on observe aussi une tendance certes timide mais bien réelle à rendre Bitcoin aussi palpable que possible pour le grand public. L’installation récente d’une demi-douzaine de distributeurs automatiques de bitcoins et de dollars canadiens montre ce désir de rendre plus simple et plus abordable techniquement cette nouvelle technologie d’échange monétaire. Et quand ce n’est pas au Canada, c’est à New-York qu’on installe des distributeurs automatiques de bitcoins, dont l’usage est finalement si simple qu’il en devient presqu’ennuyeux, … comme un distributeur automatique de monnaie traditionnelle.
Peut-être est-ce cette prise timide mais progressive dans le monde réel qui a poussé les sénateurs français à se pencher sur la question générale du Bitcoin et de son impact possible dans la vie de tous les jours, ses opportunités et ses menaces. De la part d’une institution qui, en matière de nouvelles technologies en général et d’internet en particulier, s’est assez régulièrement illustrée par ses saillies consternantes, le simple fait d’avoir lancé une étude est, en soi, remarquable. Ses conclusions le sont encore plus puisque, pour une fois, l’innovation majeure que constitue l’arrivée des cryptomonnaies n’est pas décriée et que le résultat des travaux sénatoriaux n’est pas qu’une longue liste de menaces et de dangers ; même pour nos sénateurs, le Bitcoin pourrait offrir de sérieuses opportunités.
Rassurez-vous cependant : les mauvaises habitudes d’obsédés du contrôle ne s’abandonnent pas facilement, et si, bien sûr, nos élus conviennent qu’il y a bien matière à ne pas classer Bitcoin dans la catégories des lubies à la mode destinées à disparaître un jour, et s’ils ont su éviter l’écueil évident du classement dans les abominations de guerre qu’une convention internationale interdirait bien vite s’il n’y avait qu’eux pour en décider, ils n’en réclament pas moins une bonne grosse régulation des familles, alpha et oméga de toute politique en France où rien, par principe, ne peut s’épanouir harmonieusement sans une bonne grosse louchée de lois, de contraintes et d’obligations velues. Concrètement, il s’agira ici d’empêcher les abominables dérives qu’une monnaie décentralisée et sans possibilité de tripatouillage politicien pourrait permettre, comme (exemples non limitatifs) :
– vendre de la drogue
– vendre des armes
– favoriser la prostitution
– échapper à l’impôt
– tuer des chatons en toute impunité
… par opposition, sans doute, à la monnaie étatique, qui empêche (comme chacun le sait) de vendre de la drogue, des armes, du sexe, de s’évader fiscalement et qui punit les impudents qui enquiquinent du chaton à leurs heures perdues.
On peut les comprendre. S’ils ont lu, par exemple, que des plateformes de trading pouvaient ainsi apparaître sans le moindre contrôle, sans le moindre dépôt de dossier aux autorités de régulation des marchés financiers (régulation sans laquelle apparaîtraient à coup sûr des ponzis comme les retraites par répartition ou des bricolages financiers douteux comme les subprimes, ou encore des manipulations de marché massives sur le LIBOR et … oh, wait !), nos sénateurs n’ont pu que conclure dans cette nécessaire marche en avant législative sans laquelle l’Humanité ne saurait progresser dignement avec ces mouvements harmonieux de brasse coulée au milieu de tsunamis déchaînés de lois, règlements et décrets pondus par milliers.
Ils ont d’ailleurs été rejoints bien vite par les fins analystes de Tracfin qui, eux aussi dans un rapport sur la monnaie numérique, concluent dans la nécessite de ne pas étouffer la belle innovation dans des contraintes trop rigides, … MAIS qu’il ne faudrait pas laisser non plus tout ça en friche juridique, parce que bon, vous comprenez ma petite dame, on commence comme ça et bientôt, les gens achètent et vendent sans tenir compte des recommandations officielles de MiniFin.
Moyennant quoi, muni de ce rapport, le ministre de ce qui reste de Finances à la France s’est décidé à agir sur la question du Bitcoin (notez que c’est d’autant plus facile que ça ne concerne qu’un nombre très restreint de personnes, pas comme n’importe quel autre sujet économique ou financier — comme la dette, les déficits ou la dépense publique, au hasard — qui sont pourtant de sa compétence mais tripotent grave des millions de personnes au niveau du vécu). Les opportunités étant dûment notées, ce sont les menaces qui ont mobilisé son attention. Et qu’y a-t-il de pire que l’anonymat pour l’État et ses sbires ? Qu’y a-t-il de plus insupportable que l’idée que cette monnaie permettrait, finalement, de s’affranchir de leurs sévices ?
C’est tellement vrai que l’anonymat est très concrètement combattu pour les autres monnaies, euro en tête, bien palpables celles-là. On ne s’étonnera pas de constater, chaque jour qui passe, que ceux qui prétendent nous protéger (surtout contre nous mêmes, semble-t-il) sont décidés à le réduire autant que possible… Par exemple en interdisant progressivement l’utilisation de l’argent liquide au-delà de 300€. Pour le moment, il s’agit bien sûr de lutter contre le blanchiment d’argent, en abaissant le plafond journalier aux guichets des trésoreries, mais on voit mal ce qui empêchera, concrètement, d’aller plus loin dans les prochains mois et d’étendre la mesure en largeur (au-delà des seuls guichets de trésoreries) et en profondeur (en limitant encore le plafond).
Pas de doute en tout cas : en quelques années d’existence, Bitcoin est passé du stade d’innovation embryonnaire à celui d’une technologie suffisamment disruptive pour que différents services étatiques se penchent sérieusement sur la question de savoir comment le contrôler, le réguler et en empêcher un développement hors des limites étroites qu’ils lui accorderont. Et le fait même qu’ils identifient des menaces, toutes tournées (comme par hasard) sur l’absence de contrôle de l’État montre qu’ils commencent à prendre la mesure du changement qui s’opère.
Si l’avenir de Bitcoin est incertain, les cryptomonnaies semblent en tout cas promises à une place importante dans le paysage financier futur. À cette aune, les agitations des agents étatiques pour tenter de les contrôler apparaissent réellement comme un hommage du vice à la vertu.
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