Alstom, SFR-Numericable, ou même les taxis : les champs dans lesquels l’intervention de l’Etat semble s’intensifier se multiplient. Et ravivent les questionnements de philosophie politique sur la liberté et les entreprises.
La liberté et les entreprises à l’épreuve de l’actualité et du droit
« L’Etat a forcément son mot à dire ». Ces mots ont été prononcés par François Hollande à propos de la volonté d’Alstom de céder sa branche énergie. Et pourtant, il y a bien longtemps que l’Etat n’est plus actionnaire de l’entreprise. Mais pour le président de la République, cet interventionnisme est légitime : il doit veiller à la protection de ce secteur sensible et à la « création d’activité et d’emploi en France ». Ce qui justifierait la prise de position d’Arnaud Montebourg pour l’offre de Siemens, et ses critiques envers l’américain General Electric, qui a pourtant les faveurs du conseil d’administration. Arnaud Montebourg avait d’ailleurs déjà fait entendre sa voix dans l’affaire de la revente de SFR, soutenant fermement l’offre de Bouygues. C’est finalement Numericable qui a remporté la mise, non sans avoir écopé d’un avertissement du ministre : « nous allons continuer notre amicale pression »…
Pour certains, cette immersion de l’Etat dans la vie des entreprises, qui constitue pourtant une limitation à leur liberté d’entreprendre, est nécessaire. Il jouerait là son rôle de protecteur de l’économie et des citoyens. D’aucuns considèrent même, à droite comme à gauche, qu’il faudrait aller plus loin, en procédant par exemple à des renationalisations temporaires (comme l’a souhaité Jean-Luc Mélenchon pour Alstom), ou définitives (comme le préconise Nicolas Dupont-Aignan pour EDF par exemple).
La rigidité du droit français du travail – l’un des moins souples d’Europe – constitue également un frein objectif à la liberté des entreprises. Et n’est pas lui aussi sans poser débat : est-il le garant de la protection et de la liberté des salariés, ou une entrave à l’entrepreneuriat – certains diraient à la croissance ? Beaucoup de nos voisins européens ont choisi la voie de l’assouplissement pour faire face à la crise. En France, ce n’est pas vraiment le cas.
Un mal français ?
Ce contrôle sur les entreprises, qui est en France presque « culturellement » ancré, serait pourtant, pour certains, une aberration. Car il impose un carcan là où l’entreprise doit pouvoir être réactive, souple et innovante ; et parce qu’il induit des dérives condamnables. C’est l’opinion d’Yves Laisné, un ancien universitaire devenu entrepreneur aujoud’hui à la tête d’un cabinet de conseil spécialisé dans le sauvetage d’entreprises en difficulté, qui affirme que « les freins à l’entreprise en France reposent avant tout sur cet état d’esprit, qui a depuis dégénéré en un système. Ce système est très simple : on vous dit « liberté d’entreprise », mais l’entreprise est « soutenue » (…) L’Etat n’accepte pas que l’entreprise existe par elle-même, c’est pour cela qu’il la soutient ». Il remarque ainsi que presque toutes les activités sont réglementées, ou font l’objet d’agréments ou de cooptations. « Nous sommes à la limite de pratiques mafieuses dans beaucoup de fédérations professionnelles ou d’organisations syndicales et patronales », déplore Yves Laisné, qui milite pour une plus grande liberté d’entreprendre.
Nicolas Doze, journaliste économique, considère quant à lui que plus de liberté donnée aux entreprises permettra de lutter contre le chômage, quand le niveau de croissance ne permet pas de le faire. Pour lui, il faut lancer « les réformes structurelles que l’on a jamais menées : code du travail, formation, assurance chômage, numerus clausus, baisser l’impôt sur les sociétés… ». Bref, il faut redéfinir le domaine d’intervention de l’Etat.
Le débat entre libéraux et keynésiens toujours d’actualité
Finalement, la querelle idéologique entre keynésiens et libéraux sur la question de savoir s’il faut « plus ou moins d’Etat dans l’économie » est toujours au cœur des réflexions. D’un côté, il y a toujours ceux qui croient que le marché ne se régule pas de lui-même, et que l’Etat doit intervenir. C’est le cas de l’économiste Joseph Stiglitz, qui affirme qu’ « en réalité la main invisible censée réguler le marché est invisible… parce qu’elle n’existe pas ». Mais croire au rôle de l’Etat dans l’économie n’empêche pas de s’interroger sur les dérives éthiques actuellement à l’œuvre : même les néo-keynésiens, à l’instar de Galbraith, désapprouvent les dérives de technocraties tentaculaires aux mains des lobbies et des intérêts privés court-termistes.
A l’inverse, les penseurs libéraux restent convaincus que l’Etat doit se désengager de la vie économique. Charles Gave, de l’Institut des libertés, clame ainsi que « penser que l’économie ne peut pas fonctionner sans l’Etat est une idée farfelue ». Il déplore l’interventionnisme d’un gouvernement qui se préoccupe du nombre d’opérateurs de télécommunications ou de la nomination de certains dirigeants de sociétés, ce qui selon lui n’existe dans aucun autre pays démocratique. Pour Yves Laisné, l’Etat prend effectivement trop de pouvoir dans la vie économique, et doit limiter son rôle à la préservation d’un cadre institutionnel garant des libertés: « l’Etat doit assurer le respect des règles du jeu […], être là pour éviter les manœuvres de concurrence déloyale, les ententes cartellisées, la mise en place de pratiques anti-concurrentielles. Mais l’Etat n’est pas là pour entreprendre, pour protéger telle ou telle entreprise ou pour favoriser telle ou telle entente, groupement ou corporation ». Un message qui semble faire écho dans l’opinion publique au regard de l’actualité récente : un récent sondage IPSOS / CGI (1) a révélé que 59% des Français étaient favorables à une limitation du rôle de l’Etat dans l’économie. Le débat, à la croisée de problématiques économiques, juridiques, philosophiques, sociales et culturelles, reste ouvert… et éternellement passionné.
1. http://bourse.lesechos.fr/infos-conseils-boursiers/actus-des-marches/infos-marches/les-francais-pour-limiter-le-role-de-l-etat-dans-l-economie-936056.php
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