par Frédéric Blanc
L’État va prochainement céder ses parts au sein du groupe Aéroports de Paris (ADP). Une privatisation de plus hurlent certains, d’autres dénonçant la perte de contrôle de l’État sur une infrastructure au rôle essentiel dans le contrôle des frontières. Qu’en est-il réellement ? Décryptage.
Au moment où le ministre de l’Économie Bruno Le Maire vient de réaffirmer l’intention de l’exécutif de céder tout ou partie de ses participations dans Aéroports de Paris, certaines voix s’inquiètent pour le contrôle et la sécurité de cette infrastructure stratégique. « Porte d’entrée de la France », les aéroports parisiens sont en effet des sites sensibles en matière de gestion des frontières et de lutte contre la criminalité et le terrorisme.
Mais la sécurité et la sûreté de ces installations aéroportuaires seraient-elles moins garanties si le groupe ADP était dirigé par un acteur privé ? Rien ne permet de l’affirmer, d’abord parce que le groupe ADP, quel que soit son actionnaire, est soumis dans ce domaine à des réglementations très strictes, et ensuite parce que les missions de sécurité et de sûreté sont et resteront assurées (pour l’essentiel) et contrôlées (dans tous les cas) par les services de L’État.
L’État conservera tous les outils de la régulation
L’activité aérienne et aéroportuaire est en effet l’un des secteurs d’activités les plus réglementés dans le monde. La sécurité aérienne, destinée à éviter les accidents aéronautiques, est soumise notamment aux normes très rigoureuses de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Quant à la sûreté aéroportuaire, qui vise à empêcher tout acte malveillance dans l’aéroport ou à bord d’un avion, elle obéit également à des règles internationales, européennes et nationales, de plus en plus exigeantes depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la montée du risque terroriste au cours des dernières années.
Même si ADP n’est plus détenu par l’État, les autorités publiques en charge de la sûreté de ces infrastructures stratégiques garderont leurs prérogatives. La Direction générale de l’aviation civile (DGAC) dirigée par Patrick Gandil et le préfet continueront à exercer leur rôle de coordination et de planification dans ce domaine. Les policiers de la PAF (Police aux frontières), les militaires de la Gendarmerie des transports aériens (GTA) et les douaniers poursuivront également leurs missions. Et les nombreuses mesures de contrôle pour filtrer les passagers, les bagages (de soute et de cabine) et le fret perdureront, tout comme les différentes mesures de surveillance des pistes et des zones privées d’une part, de l’aérogare et des zones publiques d’autre part.
Outre la maîtrise de la sécurité et des frontières, l’État a également l’intention de conserver la propriété des 6 600 hectares de terrains stratégiques détenus par ADP à Roissy et à Orly, auxquels s’ajoutent 412 ha de réserves foncières. Il devrait ainsi accorder au nouvel actionnaire majoritaire une concession pour exploiter ces terrains. Cette durée devrait être comprise entre 70 et 90 ans, compte tenu des investissements très importants que le nouvel opérateur devra réaliser.
L’État gardera également un contrôle « économique » sur cette activité stratégique à travers le contrat de régulation économique (CRE) qu’il signe tous les cinq ans avec ADP. La signature de ce contrat-cadre avec l’État engage en effet l’entreprise sur un programme d’investissements à réaliser sur la période du contrat, avec une possibilité de sanction financière si ce programme n’est pas tenu. Il donne également aux compagnies aériennes clientes d’ADP de la visibilité sur le développement des infrastructures aéroportuaires et sur l’évolution des tarifs sur une période de cinq ans. Enfin, l’entreprise doit aussi s’engager sur sa qualité de service, mesurée par des indicateurs de performance annexés au CRE avec, là encore, une possibilité de pénalisation financière si les engagements de performances ne sont pas tenus. Quant aux inquiétudes exprimées au sujet des emplois de l’entreprise une fois qu’elle sera dirigée par un acteur privé, le gouvernement devrait, là aussi, apporter des garanties.
De l’argent public pour investir sur l’avenir
Au-delà de toutes ces garanties réglementaires permettant de garder le contrôle sur un actif effectivement stratégique, l’Etat ne manque pas non plus d’arguments sur le sujet de l’utilisation des deniers publics. A chaque cession de participations de l’État, l’accusation de « brader les bijoux de famille » revient pourtant en boucle. Mais ce procès d’intention récurrent semble ici reposer sur la force de l’habitude, plus que sur un raisonnement étayé.
Car il ne s’agit pas ici de vendre des actifs de l’État à bas prix ou dans une conjoncture boursière défavorable. Pour l’APE (Agence des participations de l’État) de Martin Vial, il est question au contraire de céder ces actions quand elles sont au plus haut, afin de réaliser aussi – une fois n’est pas coutume pour l’État actionnaire – une belle opération financière. Il ne s’agit pas non plus d’utiliser ensuite les huit à neuf milliards d’euros issus de cette vente pour boucher les déficits publics, financer des dépenses de fonctionnement ou « boucler les fins de mois de l’État », mais au contraire d’investir sur l’avenir et sur l’innovation, afin d’améliorer la compétitivité de la France sur la scène internationale. Et ce, sans augmenter les impôts ni creuser la dette.
Plutôt que d’immobiliser cette somme dans une activité dont au moins certains aspects (gérer des boutiques et des hôtels) n’entrent clairement pas dans les attributions de l’État, et dont il est possible de garder le contrôle par la régulation, l’exécutif va utiliser ce capital pour financer les technologies du futur. Un « Fonds pour l’innovation de rupture » a ainsi été constitué au sein de Bpifrance en début d’année et doté de dix milliards d’euros. Ce fonds devrait générer des revenus d’environ 260 millions d’euros par an, qui seront destinés à « soutenir le développement d’innovations de rupture et leur industrialisation en France ». Avec l’objectif que les technologies de demain puissent aussi s’inventer et se développer en France et plus seulement aux États-Unis.
Enfin, l’exécutif fait aussi le pari qu’un opérateur privé spécialisé pourra se montrer plus efficace dans la gestion opérationnelle de l’entreprise et améliorer notamment la qualité de service des aéroports parisiens. Un point sur lequel ADP peut à l’évidence mieux faire au regard des meilleurs standards internationaux dans ce domaine. Là aussi, c’est une partie de l’image et de l’attractivité de la France qui se joue.