Gaspard Glanz, fusible cassé de la liberté de presse

Catastrophe et panique en République du Bisounoursland : les forces de police sont tombées à bras raccourcis sur un journaliste et l’ont incarcéré ! Horreur, stupéfaction, abomination : la liberté de la presse française est en danger ! C’est atroce !

Malgré une stupeur si puissante qu’elle en fait trembler les doigts au point d’avoir du mal à écrire ces quelques lignes, un peu de recul est indispensable pour mesurer ce qui vient de se passer en France, entre deux ou trois incendies d’églises et deux ou trois déclarations consternantes d’un minustre ou d’un élu quelconque.

D’une part, ce n’est pas comme si le pays, baignant de façon décontractée dans une liberté d’expression de basse intensité, venait de découvrir subitement que ses journalistes n’avaient pas tous l’occasion de s’exprimer librement. Le classement Reporters Sans Frontière, plaçant la France à une peu glorieuse 32ème place, donne d’ailleurs une assez bonne idée de l’état des lieux.

D’autre part, les petits couinements tristes entendus ici ou donnent une petite idée de ce qui s’est réellement passé, un peu loin d’un tableau de David Le Journaliste se défendant contre le Goliath des forces de l’ordre pour y réaliser sa mission quasi-divine d’information du public assoiffé de connaissances et de vérité.

En pratique, les faits sont relativement simples : le journaliste indépendant Gaspard Glanz se trouvait samedi dernier place de la République à Paris, caméra à la main, pour y filmer les événements en lien avec l’énième manifestation de Gilets Jaunes. Alors que les forces de police présentes sur place entament différentes manœuvres pour disperser les manifestants, Glanz, expliquant avoir été visé par une grenade, décide de faire un doigt d’honneur aux policiers devant lui, qui l’arrêtent et le placent en garde à vue de 48 heures, d’une part pour l’outrage, et d’autre part pour une participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations.

La justice ne retiendra pas le second motif et ne conservera que le premier, l’outrage, pour lequel notre impétueux journaliste devra répondre lors d’un prochain procès. Il n’en fallait cependant pas plus pour qu’une bonne partie de l’intelligentsia journalistique prenne la plume afin de ne pas laisser impunie cette atteinte à la liberté de la presse.

Si certains prennent des précautions en se gardant bien de faire preuve de tout corporatisme, tous s’accordent quand même à dire que cette garde à vue était véritablement injustifiée, que le second motif, parfaitement bidon, n’aurait été utilisé que pour empêcher Glanz de reprendre le cours de ses activités professionnelles et – pire encore – que l’interdiction de la présence de Gaspard Glanz dans les prochaines manifestations parisiennes revient à une interdiction d’exercer son métier, c’est-à-dire une nouvelle atteinte à cette liberté d’informer si prégnante dans nos principes républicains tsoin-tsoin.

L’affaire est entendue et ne peut en rester là. Des poursuites doivent être engagées, c’est certain. Des policiers doivent être poursuivis, c’est sûr. Castaner doit démissionner, c’est un minimum. Macron doit au moins faire une contrition publique et remettre l’ISF, forcément.

Pourtant, un peu de pondération doit être réintroduite ici.

Tout d’abord, on ne peut s’empêcher de trouver de plus en plus fine la limite entre le journalisme et le pur militantisme. S’il est parfaitement admissible d’avoir des journalistes « engagés » (tant qu’ils se déclarent tels officiellement, au contraire de tant de courageux scribouillards dans ces rédactions subventionnées qui n’oseront jamais l’admettre), il semble délicat d’approuver le militantisme actif en surcroît du journalisme en ce que le second devient vite l’excuse systématique et le passe-droit générique du premier. On a bien du mal à ne pas voir que cette affaire illustre justement assez bien le corporatisme de la profession, maintenant activement occupée à savoir comment faire pour empêcher que ce genre de gardes à vue ne se reproduise.

Pourtant, un principe qu’il serait bon de rappeler est celui d’isonomie, c’est-à-dire de stricte égalité devant la loi. Dans ce cadre, le journaliste engagé / militant voire perturbateur de manifestation ne devrait pas échapper à la règle générale et sa carte de presse ne peut pas être un joker pour le droit commun ou, au contraire, une cible privilégiée.

En fait, tous les fiers éditorialistes analysent la scène en tenant compte de la profession de Gaspard Glanz, alors même que, dans un vrai pays de droit, cela ne devrait même pas faire l’objet d’un débat : soit on considère qu’on ne peut pas mettre en garde à vue des gens sous le prétexte qu’ils sont en réunion, qu’ils pourraient éventuellement intenter des actes violents ou des dégradations, et dans ce cas Glanz n’avait pas à y être placé, nonobstant sa qualité de journaliste. Ou bien on considère qu’on peut effectivement mettre en garde à vue des individus sous ce prétexte, et dans ce cas, Glanz n’avait pas à y échapper au prétexte qu’il est journaliste. Toute autre position consiste à dire que le militant, s’il n’a pas une carte de journaliste, peut se voir embastiller arbitrairement, là où le journaliste doit échapper à ce traitement grâce à sa profession.

Ici, on aura noté toute l’importance de la notion d’isonomie et de celle, encore plus importante, d’état de droit pour lequel on n’aura guère de mal à argumenter que la France ne s’en rapproche plus trop. Pourtant, c’est bien cela que la presse devrait mettre en avant. C’est bien ce combat, celui d’un état de droit, d’une isonomie réelle et mesurable partout, que la presse devrait porter à chaque occasion possible.

Or, tout le problème est là : les journalistes et éditorialistes sont prompts à s’embraser pour ce qui s’apparenterait à une coercition trop méchante sur leur caste, en oubliant qu’elle devrait s’exercer avec la même force sur eux que sur le reste du peuple (ou, disons, que la Loi devrait appliquer la même clémence au peuple que sur leur caste), par stricte application de cette isonomie qui n’existe plus depuis un moment dans le pays et dont, très manifestement, ces journalistes s’accommodaient fort bien.

Autrement dit, plutôt que dénoncer une atteinte à la liberté de la presse, nos éditorialistes de combat devraient plutôt profiter de l’occasion pour rappeler la nécessité d’une vraie isonomie, c’est-à-dire une vraie égalité des citoyens, de tous les citoyens, devant la Loi.

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