Un parfum de nostalgie se répand sur le pays. Jusqu’à présent avec régularité la gauche revenait aux affaires, pratiquait une coûteuse politique à contre-courant pendant quelques années, y renonçait lorsque les résultats calamiteux apparaissaient aux yeux de tous, comme en 1984, ou abandonnait le pouvoir lorsque la conjoncture internationale qui avait rendu l’expérience possible changeait et dissipait les illusions comme en 1993 ou en 2002. Mais les gouvernements socialistes, malgré leur idéologie archaïque, avaient bénéficié de la solidité des institutions de la Véme République. Ils avaient tenu face à une opposition globalement stable elle-aussi. La « droite » de retour, à l’exception très courte de 1986, ne remettait pas en cause les réformes idéologiques et reconnues mondialement comme stupides de la gauche. Elle contournait l’obstacle sans s’opposer frontalement aux tabous socialistes sur le temps de travail ou la fonction publique. La défiscalisation des heures supplémentaires, abrogée dès le retour de la gauche, plutôt que la dénonciation des 35 heures en est un bon exemple. La conséquence de cette fausse alternance entre une gauche folle et une « droite » honteuse, c’est l’accumulation de résultats qui font de notre pays le mauvais élève européen qui accumule les déficits de nos comptes publics publics et des échanges, une dette vertigineuse, un chômage record, une désindustrialisation catastrophique, une dépense publique qui fait de la France l’un des pays les plus socialistes du monde, humilié en permanence dans la comparaison avec l’Allemagne sur le plan économique, et maintenant dépassé aussi dans des domaines où nous pensions être les meilleurs, comme l’éducation. Avec ou sans la construction européenne, avec ou sans l’euro, qui n’arrange rien, la conclusion est claire : la France est mal gouvernée, et depuis longtemps.
“S’ils ne votent pas le plan de stabilité, le gouvernement ne tombera pas, mais sera évidemment affaibli y compris au plan international. Peu importe, c’est la gauche mythique, leur gauche qui compte et la France peut périr.”
À ce tableau, il manquait toutefois la dernière touche. Encore un effort, et l’on y ajoutera l’instabilité politique : enfin, on en aura fini avec cette République. Après deux ans d’une politique qui s’est complu à défaire les rares bonnes mesures de la majorité précédente, qui a découragé l’effort et l’investissement par un matraquage fiscal inouï, et qui n’a pas procédé à une diminution sérieuse de la dépense publique, le pouvoir a d’abord changé de cap en admettant que la compétitivité et le coût du travail étaient des priorités, puis il est revenu tout penaud de Bruxelles en clamant que les efforts n’étaient plus pour demain ou après-demain, mais pour aujourd’hui : 50 milliards d’économies ou l’on doit avouer que la France n’est plus un pays auquel on puisse faire confiance. Le coup du plan de relance de 2008 et son discours dynamique sur l’investissement qui justifie le déficit et la dette, ça ne prend plus. L’affichage de la croissance face à l’austérité, ça ne marche pas davantage. Il faut être sérieux comme les scandinaves, sinon nous devrons être austères comme les Espagnols. Cette réalité dure à avaler, une partie des députés socialistes s’y refuse. L’idéologie est chez eux plus forte que le réel. Ils n’ont pas été élus pour ça, qu’ils disent. Sans doute pensent-ils avoir été élus pour maintenir la retraite à 60 ans quelque soit l’espérance de vie, le financement de la protection sociale quelque soit le nombre des chômeurs, pour augmenter la fonction publique quelque soit la richesse du pays ? S’ils ne votent pas le plan de stabilité, le gouvernement ne tombera pas, mais sera évidemment affaibli y compris au plan international. Peu importe, c’est la gauche mythique, leur gauche qui compte et la France peut périr.
“Selon l’UDI, ce n’est pas 50 mais 80 milliards qu’il faut économiser. Elle a raison, et le pouvoir ne l’écoutera pas.”
Dans un bel élan rétrospectif, l’opposition intervient alors pour compléter la reconstitution historique. Quelques députés UMP qui ont envie de se faire remarquer se rappellent le bon vieux temps sarkozyste de l’ouverture à gauche, et sont prêts à voler au secours des 50 milliards. L’UDI, cette résurrection de la momie radicale se souvient, elle, avec délectation des Républiques précédentes, avec leurs majorités fragiles et éphémères qui donnaient tant de poids à chaque élu qui, en temps normal, n’en a guère. Elle évoque la possibilité d’un soutien ou d’une abstention bienveillante. Apparemment, cette proposition est assortie de conditions sérieuses, que le gouvernement pourra difficilement accepter comme le passage du temps de travail des fonctionnaires à 39 heures. Selon l’UDI, ce n’est pas 50 mais 80 milliards qu’il faut économiser. Elle a raison, et le pouvoir ne l’écoutera pas. Mais il aura entendu la petite musique de l’opposition constructive, qui pourrait devenir l’appoint d’une majorité de rechange, avec le Premier ministre de gauche le plus à droite et des élus du centre avant tout opportunistes. La logique de la Ve République et celle de l’UMP, en particulier, seraient alors remises en cause. Mais n’est-ce pas l’exemple donné par plusieurs de nos voisins ? Un vaste centre social-libéral et européiste laisserait l’UMP, où certains font entendre un souverainisme enfin libéré, orpheline. Un nouveau paysage politique se dessinerait sur la France… celui de la troisième force chère à la IV e République. Nous n’en sommes pas là, mais l’ambiance est de retour : le Premier ministre négocie avec sa majorité, achetant avec une mesure clientéliste en faveur des fonctionnaires, ou un geste pour les petits, une fois encore décourageant pour les autres, la voix de tel ou tel parlementaire qui sera ravi d’apporter ce trophée dans sa circonscription en échange de sa voix dans l’hémicycle. Demain, les reportages seront couleur sépia…
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