Je me promène par les rues de ma ville. Je n’observe pas les bâtiments; qu’ils soient vieux ou nouveaux, ils n’attirent plus mon regard. Même si, quelquefois, je constate encore l’état lamentable de certains édifices délabrés et dégradés semblant appeler au secours! On pourrait leur donner un nouvel habit, sinon au moins leur redorer un peu la façade. Pourtant quelques-uns sont récemment rajeunis, et cette jeunesse leur apporte aussi un regain de hardiesse. Mais ces édifices ne sont pas le sujet de mes observations et méditations. Les habitants sont ceux qui peuplent ma ville et mes pensées. Jeunes, moins jeunes, plus оu moins vieux. Ils se hâtent tous quelque part. Où vont-ils? Et pourquoi tant de précipitation alors que le manque d’emploi règne? Ils se dépêchent, ils ne marchent pas, ils courent. Je vois des visages tendus, renfrognés, creusés de rides mêmes parmi les jeunes. Des gens préoccupés. Angoissés pour soi et pour leurs proches. L’angoisse se transforme souvent en colère. Mais, pour l’instant, je ne sens chez la plupart d’eux que de l’inquiétude. Et de la peur. De quoi demain sera fait, cela ne les concerne pas, c’est du futur! Ils ne sont concernés que par le présent. Je dirais même, le vrai présent, celui de l’indicatif. Non pas le relatif ou le modal. Quelle est la cause de cette inquiétude? Qui a permis à la peur de s’installer dans ces regards? Les plus coléreux crient: LE GOUVERNEMENT! On pourrait ressentir une certaine empathie avec ce cri. On pourrait adresser des reproches à chaque gouvernement pour tout ce qui va mal dans la société. En fait, d’année en année, en Serbie les choses vont de plus en plus mal, et ce dans toutes les sphères de la société. Bien sûr, le gouvernement actuel accuse celui qui les a précédés, leurs prédécesseurs ont fait de même et on se retrouve ainsi dans une histoire plus ou moins lointaine, pouvant aller jusqu’à Miloš Obrenović et Karađorđe Petrović, et parfois même jusqu’à Stefan Nemanja. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. À part quelque courtes périodes, le peuple serbe s’est trouvé sous une occupation ou une autre durant presque toute son histoire. Même lorsqu’il jouissait d’une certaine liberté, il se trouvait sous le joug de la volonté de vassaux, qu’ils soient turcs, autrichiens ou anglais. Ces vassaux devaient, eux aussi, qu’ils le veuillent ou non, obéir à leurs supérieurs, leurs souverains. Aujourd’hui aussi, la Serbie se trouve en partie sous l’occupation. Il s’agit d’une occupation informelle, bien sûr, par des étrangers. Cette fois, le souverain vient de Bruxelles, ou plus précisément de Washington. C’est ce SOUVERAIN qui désire diviser la Serbie en région, le plus vite possible. Il s’agit donc là d’un processus complètement rétrograde! Il faut réduire ce pays, petit déjà, en régions, c’est-à-dire en féodalités. On ne s’attaque pas seulement à la Serbie. Il faut s’en prendre à d’autres, des pays beaucoup plus grands et plus puissants pour les abaisser au rang de féodalités. 0n s’efforce à abolir un par un les gouvernements des États nationaux, dans l’attente qu’un jour, et ce jour s’approche, ils soient tous supprimés. Quel besoin avons-nous de tels gouvernements dans le monde d’aujourd’hui? Quand les États nationaux auront disparu, ou plutôt quand le SOUVERAIN les aura supprimés, à quoi bon serviront leurs gouvernements? Le SOUVERAIN se fera appelé GOUVERNEMENT MONDIAL. Il n’est pas encore visible, LUI, du moins pour nous, simples mortels. Vous avez sans doute pensé à l’Amérique. Mais non, le souverain, ce n’est pas elle! Car même dans les villes américaines on peut voir les gens angoissés se dépêchant! Des personnes anxieuses et pressées vivent aussi dans les villes de France, d’Espagne, d’Italie. Elles ne savent plus marcher, elles courent. Les visages tendus, renfrognés, ridés, on les voit là-bas, tout comme dans ma ville. Est-ce que là-bas on vit mieux? Peut-être, si vous prenez comme paramètre le salaire mensuel. On gagne plus, mais cet argent, on le dépense dans les grands hypermarchés appartenant au SOUVERAIN. C’est lui le propriétaire des hypermarchés, des banques, des usines, des médias, des armées. C’est un SOUVERAIN de nouveau genre, contrairement aux souverains d’autrefois qui construisaient leur autorité en s’attaquant physiquement à tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin, en les supprimant, les tuant, ce NOUVEAU SOUVERAIN appuie son autorité sur le gouvernement de la vie : il contrôle et gouverne la vie! Celui qui ose lui résister est accusé d’être un agresseur, nationaliste, nazi, fasciste, et est rapidement poussé en marge et éliminé de la société. Le SOUVERAIN est un „démocrate“. Il fait tout dans l’intérêt des citoyens, des citoyens du monde entier. Il réfléchit à leur place. À l’aide de sa „bombe informatique“, il leur propose des émissions éducatives et culturelles tel le BIG BROTHER, des jeux de luttes avec de nouveaux gladiateurs, de nouvelles arènes, des dessins animés avec des personnages agressifs mais „très beaux“, des films pornographiques avec des mineurs, des pédophiles. N’oublions pas de mentionner l’humour que nous offre le NOUVEAU SOUVERAIN. Un humour où l’on se moque des valeurs traditionnelles: religion, famille, droiture … Toute cette noblesse et cette beauté nous est offerte par cet INVISIBLE SOUVERAIN. Et aux hommes anxieux de se presser! Aucun sourire nulle part! Cette forme de communication non-verbale peut encore probablement se voir sur le visage d’un sans-logis, personne qui a choisi de rejeter toute norme imposée, libre de toute préoccupation pour sa personne et celle de ses proches. Mais ce sourire est ironique, provocateur. Ou bien nous le trouverons sur le visage d’un enfant. Insouciant encore. La tendre enfance au moins y échappe. Et plus grands sont aussi contrôlés par le SOUVERAIN. Les parents ne sont pas d’assez bons experts, dit-il, pour élever leurs enfants. Il peut bientôt arriver que le mot SOURIRE s’ajoute à longue liste des mots archaïques.
Heureusement, tout n’est pas comme il paraît au premier abord. Certaines personnes, des jeunes plus particulièrement, ont pris la décision de retrouver le sourire! De le faire revenir dans les villes du monde entier. Ces jeunes personnes n’ont pas peur du SOUVERAIN. Pourquoi? Parce qu’ils connaissent SON IDENTITÉ et savent comment lutter contre LUI. En se regroupant et en réveillant ceux qui se sont assoupis depuis longtemps, dès 1968 peut-être, ils somnolent tout en se pressant, ils marchent toujours en courant. Ces jeunes personnes savent que le SOUVERAIN ne peut les éliminer tous. Ce n’est pas sa méthode. Elles savent qu’il est temps de retrouver les idées des grands hommes d’états du XXème siècle. Elles savent qu’elles ne doivent pas permettre aux États nationaux de disparaître, parce qu’en même temps disparaîtra tout à fait le peu de liberté et de démocratie qui nous reste. Le sourire disparaîtra. J’ai donc foi en ces jeunes personnes. Ces personnes peuvent rendre le sourire à ma ville.
Article paru dans le journal Danas (Aujourd’hui), du 5 mars 2015.
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