La seule chose qui devient prévisible, c’est l’incapacité des sondeurs et des « médiacrates » à prévoir l’avenir. Enfermés dans le présent de leur microcosme, ils ne comprennent rien aux traditions, ignorent les racines et se contentent de scruter les images qu’ils fabriquent et qui leur cachent le réel. Interrogeant Jérôme Chartier, Ruth Elkrief opposait au projet de François Fillon de réécrire la loi Taubira sur le mariage unisexe, sa perception d’un débat apaisé et qu’il serait dangereux de réveiller. Il n’en est bien sûr rien, car les millions de Français qui, à juste titre, en font une question anthropologique majeure, continuent de vouloir restaurer une conception traditionnelle de la famille. Beaucoup ont sans doute voté pour l’ancien Premier Ministre de Nicolas Sarkozy pour cette raison. De même, la radicalité des propositions économiques du vainqueur du premier tour des primaires paraît aux yeux de beaucoup de commentateurs en contradiction avec son succès. Comment un libéral-conservateur pourrait-il s’imposer en France ? Manifestement, Fillon est une faute d’inattention qui risque à leurs yeux d’empêcher le candidat « légitime » du microcosme, Alain Juppé, de l’emporter.
François Fillon n’a rien d’un Donald Trump. Il pourrait difficilement être qualifié de populiste. C’est un libéral-conservateur qui ose proposer les réformes nécessaires pour redonner à la France les moyens d’être au niveau que lui permettent des atouts que ses dirigeants gaspillent depuis des décennies. Il retrouve une vision gaulliste de la politique étrangère fondée sur l’indépendance et le respect des souverainetés. Il défend les valeurs qui sont l’ossature morale de la Nation. Ces positions vues à travers le prisme déformant du microcosme, ça donne : Fillon, c’est Thatcher, Poutine et la « Manif pour tous » réunis, angles d’attaque de Juppé qui prouvent bien par là que ce dernier est le candidat de la deuxième gauche, celle qu’on appelle la droite. L’ancien Premier Ministre de Chirac, le co-auteur de la catastrophique dissolution de 1997, donneur de leçon impénitent, se veut rassembleur. C’est sans doute pour cela qu’il se présente comme le candidat des modernistes contre les traditionalistes, plus proche du Pape François que de la Manif pour Tous, mais peut-être a-t-il confondu le Saint-Père avec le recteur de l’Université Al-azhar du Caire. Ses chances sont évidemment amplifiées par l’arrivée de Copé fort de son score de 0,3%. Le talent de ce dernier dans l’organisation des scrutins est sans rival. Ses arguments sont imparables : il a choisi Juppé parce que celui-ci veut gouverner par ordonnances et sans référendum. Sa ligne a le mérite de la clarté : « la démocratie est une chose trop sérieuse pour la confier au peuple. Cachez ce peuple que je ne saurais voir ». Il faudra rappeler ces bonnes dispositions aux électeurs de Meaux. Enfin, NKM, qui allie le charme provoquant de la haute bourgeoisie à un parfum légèrement enivrant de gauche décomplexée, vient (en métro) à ses côtés parfaire sa silhouette de candidate pour la prochaine fois.
Les silhouettes qui commencent à se dessiner dans l’allée du futur pouvoir sont pour le microcosme médiatique le risque d’une grande déception. La personnalité et parfois les idées des concurrents recréent une distance et une hauteur nécessaires à l’exercice de l’autorité. Si Juppé est idéologiquement compatible, sa froideur de technocrate dresse un mur. Fillon a glacé Pujadas et Salamé lorsqu’ils ont glissé un sketch à la fin de l’émission qui lui était consacrée. Quant à Marine Le Pen, le fossé idéologique semble infranchissable. Lors du dernier débat de la primaire de la droite, plusieurs candidats n’ont pas hésité à rabrouer les journalistes. Cette évolution est salutaire. L’étalage de vie privée, son mélange avec les affaires publiques, la primauté de la communication sur l’action liée à une proximité trop grande avec la presse, constituaient un levier important pour celle-ci, mais un obstacle évident à l’efficacité du pouvoir. Les deux derniers présidents en ont été les victimes plus que consentantes. Alors, le microcosme a voulu fabriquer son propre produit politique : un candidat neuf, beau et lisse, brillant jeune homme plein d’idées nouvelles, qui fait don de sa personne à la politique, quand il pourrait faire plein d’autres choses. Il n’est ni de droite, ni de gauche. Il a à peine été socialiste mais c’est surtout un libéral « soft », pas comme l’hyper-libéral Fillon, qui en plus est conservateur ! Progressiste sur le plan sociétal, social-libéral en économie, un vrai démocrate américain : Emmanuel Macron est le bonheur du microcosme, sa bouée de secours, son nouvel horizon !
Ce pur produit de l’oligarchie est donc présenté comme celui qui bousculera un système auquel il appartient totalement. La farce est énorme. Fils de la bonne bourgeoisie, il passe par Sciences Po, puis l’Ena, pour aboutir à l’Inspection des Finances. Cette voie très habituelle vers le pouvoir le conduit à la Commission Attali. C’est ce dernier qui le fait rentrer à la banque Rothschild en 2008. En 2012, il la quitte, fortune faite, pour devenir Secrétaire Général Adjoint de l’Elysée. Auparavant, il s’était inscrit au PS , avait participé à plusieurs groupes de réflexion de gauche et a pu utiliser les nombreux contacts pris comme Jean-Pierre Jouyet. On remarquera en citant Attali et Jouyet qu’il a ainsi bénéficié de la stupide propension de la prétendue droite à s’entourer de cerveaux de gauche, comme si elle en manquait. En 2014, après un bref intermède à la sortie de L’Elysée, il devient Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du numérique. Cet apparatchik de haut vol, ou plutôt en France, ce haut-fonctionnaire, n’est évidemment pas venu de la société civile. Il a simplement fait un séjour rémunérateur dans une banque dont ses relations lui ont ouvert les portes. Tout son parcours a été facilité par une grande consanguinité de formation et de tendance idéologique. Il n’est pas anti-système. Il est la caricature du système, simplement destiné à rénover une gauche de pouvoir enlisée dans ses contradictions et qu’il doit d’urgence adapter à l’évolution du système. Rien de moins nouveau que Macron.
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