Lors du rituel mondain qu’on nomme Conseil européen, ceux qui « dirigent » les États de l’Union avec le talent, la compétence et le sens de la prévision qu’on leur connaît ont une fois de plus démontré l’utilité et l’importance de ces rencontres. Ils devaient consacrer ce « sommet » de routine à l’économie numérique. On pouvait penser qu’ils se pencheraient plutôt sur les problèmes de l’immigration et de l’asile dont la tragédie de Lampedusa a révélé la gravité. L’affaire plus récemment mise en exergue des écoutes de la NSA a, en fait, occupé le devant de la scène avec le double intérêt de montrer que les dirigeants du vieux continent savaient remonter les bretelles de l’Oncle Sam et que Van Rompuy servait à quelque chose : il a lu la déclaration des 28 demandant aux États-Unis un accord avant la fin de l’année : non mais ! Par ailleurs, comme à l’issue de toute mêlée, même aussi pacifique, on a botté en touche. L’immigration ? Pas avant juin 2014. La protection des données personnelles ? Reportée en 2015. La question fiscale ? Confiée à l’OCDE. L’Europe dort, mais sans rêver. C’est un fédéraliste convaincu, François Heisbourg, qui, dans La fin du rêve européen, juge la fin de l’euro inéluctable. Plombée par sa monnaie et l’irresponsabilité d’une majorité de ses dirigeants, l’Europe stagne économiquement dans un monde qui se développe. Elle n’a presque aucune politique étrangère commune et cohérente, sauf de savoir si elle peut se délivrer de cette préoccupation sous le bouclier illusoire et bourré de micros des Américains ou si elle doit en plus leur servir de chien d’attaque. L’Allemagne a opté pour la première solution. La France, depuis qu’elle a largué les derniers restes du gaullisme, a emprunté la seconde route. On constate aujourd’hui les conséquences néfastes de l’intervention en Libye. Le pays est en proie aux milices régionales, tribales ou islamiques qui s’y partagent l’espace et le pouvoir en faisant parfois régner la terreur. L’émigration sub-saharienne traverse ces régions et trouve sur une côte incontrôlée des passeurs sans scrupule. Dans l’autre sens ce sont les djihadistes et les armes qui vont entretenir des foyers de guerre civile et de terrorisme, au Mali notamment.
La grande illusion du Printemps arabe s’est dissipée. On demeure perplexe à l’idée que les responsables européens, et français en particulier, aient pu être enthousiastes. La Tunisie va-t-elle mieux ? L’Égypte semble préférer l’ordre des baïonnettes à celui de la charia. L’« abominable dictateur » Bachar Al-Assad paraît bénéficier de l’appui d’une partie importante de la population, bien au-delà des minorités censées le soutenir, peut-être simplement parce que beaucoup de Syriens regrettent la dictature lorsqu’ils sont confrontés à l’anarchie. L’information, souvent en provenance de l’OSDH, proche de la rébellion, était très défavorable au régime, coupable, selon elle, de toutes les horreurs. Les médias ont évolué. Les massacres, les attentats, les exécutions sommaires, les enlèvements sont souvent le fait des opposants que les Occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie arment. Les chrétiens, présents dans cette région du monde avant l’arrivée de l’islam, subissent en Syrie, comme en Irak ou en Égypte une persécution, à laquelle l’Europe, et la France, notamment, qui durant des siècles a été leur protectrice, paraissent indifférentes. La destruction des églises, l’enlèvement de religieux, l’assassinat de chrétiens dans les villages, après leur prise par des rebelles, ne trouvent que peu d’échos au Quai d’Orsay. La France aurait pu jouer un rôle essentiel dans le retour indispensable à la paix. Le régime syrien, appuyé par la Russie et l’Iran, le souhaite, mais la rébellion s’oppose actuellement à la tenue de la seconde conférence de Genève, prévue les 23 et 24 novembre. Elle exige le départ de Bachar alors que celui-ci a plutôt conforté sa position sur le terrain et accepté la destruction de son arsenal chimique. En fait, c’est parce que la coalition nationale syrienne, à laquelle François Hollande, qui a reçu récemment son nouveau chef, Ahmad Jarba, réserve tout son crédit,est de plus en plus divisée. L’Armée syrienne libre n’est que la plus importante des composantes de la lutte contre le gouvernement syrien. Celle-ci « réunit » une centaine de groupes, parmi lesquels Al-Nostra, rallié à Al-Qaïda ou l’EIIL rattaché aux islamistes irakiens qui se livrent dans leurs pays à des attentats meurtriers quotidiennement. Des conflits éclatent de plus en plus souvent entre les factions rebelles. Kurdes et djihadistes s’affrontent tandis que des sunnites de l’ASL, fatigués du bain de sang se rapprochent du régime. Les exactions et les violences des anarchistes, des trotskystes et des communistes ainsi que leurs divisions ont bénéficié au général Franco durant la guerre civile espagnole. L’évolution actuelle de la guerre civile syrienne y fait penser.
La guerre civile syrienne n’est pas le renversement d’un dictateur unanimement détesté par un peuple révolté contre lequel il n’utiliserait que les bombes et les obus envoyés par des mercenaires. Sur les 115 000 victimes, 45 000 appartiennent aux troupes fidèles au régime qui compte de nombreux partisans et se sert d’une armée légale multiconfessionnelle, même si ses cadres sont pour beaucoup alaouïtes. Ceux qui ont fomenté cette révolte armée et lui en ont fourni les moyens ont une part écrasante dans les conséquences humaines de ce drame : les victimes, d’abord, les émigrés, ensuite, qui sont réfugiés dans des camps ou essaient de rejoindre l’Europe en prenant tous les risques, les « djihadistes » européens, enfin, qui vont rejoindre la rébellion, avant de rentrer un jour, peut-être, pour s’adonner au terrorisme. Mesure-t-on bien la responsabilité et la légèreté des gouvernants européens, et particulièrement de François Hollande, pour avoir soutenu dès l’origine cette guerre, tenté d’y engager davantage la France, et aidé en Syrie, ceux-là mêmes que notre armée combat au Mali, en entretenant ainsi chez certains esprits faibles une confusion redoutable. La vocation de la France était de participer au rétablissement de la paix et à la stabilisation d’un monde arabe et d’un Moyen-Orient au sein desquels notre pays peut encore jouer un grand rôle. La France est la plus vieille alliée des États-Unis. Mais sa politique doit être celle d’un État qui sert ses intérêts, comme les États-Unis le font, parfois avec cynisme, et comme de nombreux Etats européens n’ont ni la puissance, ni la volonté, ni la tradition de le faire. La politique étrangère de la France ne passe par Bruxelles.
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