Xavier Moreau, bonjour, vous êtes un français établi à Moscou. Homme d’affaires et écrivain, vous dirigez le site d’analyse géopolitique Stratpol et vous publiez ce mois-ci un livre intitulé Pourquoi la France s’est trompée en Ukraine
.
Tout d’abord, très simplement pourquoi ce titre ?
J’ai voulu comprendre et expliquer comment la France qui avait tout à perdre et rien à gagner dans cette crise ukrainienne a pu se laisser embarquer dans cette catastrophe, prévisible depuis le début. Les réponses sont à cette question se résument dans cette formule : ignorance, incompétence, amateurisme et mépris des intérêts français.
Vous revenez dans votre livre sur le renversement de Ianoukovitch au moment du “Maidan”. Selon vous peut-on réellement dire qu’il s’agit d’un coup d’Etat ?
L’élection de 2010 du Président Ianoukovitch avait été validée par la « communauté internationale », c’est-à-dire l’occident, ainsi que les législatives de 2012. Le pouvoir en place était donc parfaitement légal. En février 2014, Ianoukovitch est d’accord pour des élections anticipées et signe un accord de sortie de crise avec les ministres des Affaires Etrangères français, allemand et polonais. Cette accord sera bafoué le jour même. La Rada prend désormais ses décisions sous la menace des Radicaux et la cours constitutionnelle est dissoute. L’Ukraine cesse donc d’être une démocratie à compter du 21 février 2014.
Quels sont les pays étrangers les plus parties prenantes au conflit en ce moment en Ukraine selon vous ?
Ce sont les trois pays ayant des intérêts géopolitiques dans la région. Les Etats-Unis qui pensent, à tord, que sans l’Ukraine la Russie cesse d’être un empire et perd son « européanité ». L’Allemagne veut verrouiller sa mainmise sur la Mitteleuropa et la Pologne cherche à reconstruire sa présence séculaire dans la région. La France n’a quant à elle aucun intérêt dans la région, en dehors de préserver la stabilité de notre continent.
Vous insistez longuement dans votre livre sur l’ingérence américaine en Ukraine. Pourquoi cet intérêt manifeste du gouvernent américain dans un pays si loin de ses frontières ?
Sous prétexte que le nazisme et le communisme sont des idéologies défuntes, nos sociétés modernes ont tendance à croire que l’idéologie n’est plus de mise dans les rapports internationaux des pays occidentaux. C’est une erreur. Les Etats-Unis croient à leur « destinée manifeste », qui est une sorte de mission divine vis-à-vis du monde entier et sont convaincus par le déterminisme de la géopolitique américaine (Spykman, Brezinski…). Ils ont ainsi persuadés qu’ils ont le droit et le devoir de chasser la Russie d’Europe et comptent le faire en séparant l’Ukraine de la Russie.
“Tout se joue désormais entre Barack Obama et Vladimir Poutine. Angela Merkel et François Hollande ne font que de la figuration.”
Quelle est la situation économique et militaire aujourd’hui en Ukraine ?
L’Ukraine est au bord du défaut de paiement et se rend compte que jamais l’Occident ne donnera les sommes colossales que la Russie a déversé jusqu’en 2013 (environ $10 milliards par an pendant 23 ans). La thérapie de choc imposée par le FMI est en train de mettre la population à genoux et sans une aide de l’Occident ou de la Russie, l’Ukraine ne pourra pas payer son gaz cet hiver. L’anarchie règne dans l’ensemble du pays. Militairement, Kiev n’a plus les moyens de lancer une offensive sérieuse dans le Donbass d’autant plus que la population se rend compte, malgré la propagande massive, de la réalité de ce conflit fratricide.
La Russie souhaite-t-elle s’élargir sur l’Est de l’Ukraine de la même manière qu’elle a récupéré la Crimée il y a 1 an ?
Absolument pas, la Russie compte s’appuyer sur les provinces de l’est de l’Ukraine pour refaire basculer l’Ukraine dans sa zone d’influence. Une fois la fédéralisation obtenue, la Russie pourra attribuer son aide de manière discrétionnaire aux provinces amies, tandis que l’ouest de l’Ukraine, abandonné par les Occidentaux sombrera dans la pauvreté.
Peut-on craindre une explosion de l’Ukraine ?
Cela reste un scénario possible mais que personne ne souhaite. Une confédération d’Etats très autonomes me paraît une solution acceptable par tous, sauf bien sûr par Washington qui souhaiterait se battre contre la Russie jusqu’à la dernière goutte de sang des Ukrainiens.
Avez-vous quelque chose à rajouter pour nos lecteurs ?
La réunion à Paris du 2 octobre ne résoudra rien. Tout se joue désormais entre Barack Obama et Vladimir Poutine. Angela Merkel et François Hollande ne font que de la figuration.
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