L’arrivée de Boris Johnson au 10 Downing Street laisse espérer la fin du tunnel… celui du Brexit. Le personnage est qualifié d’extravagant, d’excentrique, de tonitruant, d’imprévisible, certains diront donc de typiquement britannique. Pourtant, si ce souci d’afficher son originalité est une spécialité répandue chez les Anglais, on ne peut pas dire qu’elle ait été l’apanage de leurs hommes politiques, à l’exception imposante de Winston Churchill. Au travers de cette ressemblance superficielle, c’est le volontarisme du premier qu’on souhaite retrouver chez le second. Or, le choix du Brexit a été sans doute pour Johnson davantage une décision de stratégie personnelle que l’expression d’une conviction profonde. Engagé dans cette voie qui lui vaut d’avoir été élu par la majorité des adhérents du Parti Conservateur pour succéder à Thérésa May, il se trouve comme elle confronté à de multiples difficultés. Il lui faudra plus que son énergie ou son humour pour les surmonter.
Son atout principal est d’être le champion de la démocratie dans un pays qui peut revendiquer une longue légitimité dans ce domaine. Le peuple britannique a voté la sortie de l’Union Européenne à une majorité de 51,9%. Son gouvernement doit transformer l’essai. C’est d’ailleurs ce souci politique d’affirmer la souveraineté du Royaume Uni qui a conduit la majorité des conservateurs à le désigner. 92 153 électeurs, parmi les plus durs, l’ont plébiscité coutre 46 656 pour Jeremy Hunt. Ces chiffres montrent toutefois la fragilité de la démocratie. Comme le faisait remarquer ironiquement Vladimir Poutine, un président, obtenant largement la majorité absolue au suffrage universel direct, est plus démocratique qu’un premier ministre élu par une centaine de milliers de militants peu représentatifs de la sociologie d’un pays de 65 millions d’habitants… C’est la raison pour laquelle beaucoup pensent qu’une élection législative serait à court terme la meilleure solution pour clarifier la situation… sauf que les élections européennes, à la proportionnelle, alors que les Britanniques élisent leurs députés par circonscription, et à un tour, laissent entrevoir peut-être un effondrement des deux partis principaux, et sans doute un éclatement rendant le pays plus difficilement gouvernable. Certains n’hésitent pas à évoquer un nouveau référendum qui pourrait, lui, annuler le précédent et le Brexit. Non seulement, l’écart n’était pas considérable, mais surtout les différences géographiques entre les votes étaient marquées : en Angleterre et au Pays de Galles, globalement les « périphériques » avaient voté pour le Brexit, quand les « métropolitains », ceux du Grand Londres, notamment, avaient voté contre ; plus grave, l’Ecosse et l’Irlande du Nord s’étaient prononcées pour le maintien, et c’est là la source d’un nouvel épisode séparatiste au lendemain du Brexit. L’Ecosse demandera un nouveau référendum sur son indépendance afin de rester dans l’Union Européenne comme le veut la majorité des Ecossais. La rigidité de la commission Européenne sur la restauration d’une frontière entre les deux Irlande, ou au besoin entre l’île irlandaise et le reste du Royaume Uni, pour éviter un trou dans la maille douanière, a créé de vives tensions. Les catholiques y voient une possibilité de réunification au profit de la République. Les unionistes ne veulent évidemment pas être séparés de l’Angleterre, et la plupart des Irlandais ne désirent pas revoir l’ancienne frontière symbolique de la guerre civile.
Plus profondément, on voit donc bien que dans le Brexit, c’est la démocratie qui est en jeu. Elle l’est de trois manières : d’abord, il s’agit de savoir si un peuple est maître de son destin. Si les Britanniques renonçaient à quitter l’Union, ils révéleraient que la démocratie est une illusion parce que les peuples n’ont pas la maîtrise des sujets sur lesquels on leur demande leur avis. Certes, il s’agit de la démocratie directe, et il restera la démocratie représentative, c’est-à-dire le pouvoir détenu par des professionnels de la politique. On sait trop bien, en France particulièrement que celle-ci oscille entre démagogie et technocratie, et considère l’appel au peuple comme du populisme. Ensuite, il n’y a de démocratie que s’il y a un « démos », un peuple animé par une volonté commune, bref une nation. L’Europe est une tentation pour les régions dotées d’une forte identité de dissoudre l’ensemble dans lequel elles se sentent prisonnières… pour rejoindre une autre prison aux barreaux apparemment plus larges. Enfin, la démocratie donne la préférence à la politique sur tout autre déterminisme moins dépendant de la volonté populaire. Lorsqu’une perspective économique est présentée comme inéluctable par la pensée unique, l’alternative disparaît et il n’y a plus de démocratie. Les Britanniques, à tort ou à raison, on choisi de se détacher de l’Union pour signifier leur refus de la submersion migratoire. On leur dit que tel n’était pas le sujet, et que le Brexit aura des conséquences catastrophiques : effondrement de la Livre, recul du PIB entre 3% et 8% selon qu’il y ait accord ou non, augmentation du chômage.
« Bojo » affronte donc un défi considérable. Il doit mettre en oeuvre le Brexit, et le réussir, politiquement et économiquement. La France n’a pas forcément intérêt à court terme à ce qu’il y parvienne puisque le Royaume-Uni constitue notre premier excédent commercial, mais à plus long terme, son succès mettra fin à l’engrenage européen, montrera qu’il n’est pas une nécessité, et rendra enfin toute sa place à la démocratie. Pour cela, Boris Johnson possède deux atouts, le Commonwealth, et le soutien de Donald Trump, donc des Etats-Unis. Peut-être devra-t-il surtout compter sur l’orgueil et la ténacité des Anglais.