Manifestement, aux yeux de beaucoup, le peuple anglais a mal voté. Les médias mettent en avant une pétition favorable à un second référendum qui aurait déjà été signée par plus de deux millions de Britanniques. La menace d’indépendance de l’Ecosse resurgit. Des manifestations ont lieu à Londres contre le résultat du vote. Bref, le « remain » a perdu mais le « leave » avait tort. On ne peut dire plus clairement que la démocratie n’est pas légitime. Alors, les journalistes de commentateurs deviennent juges. M. Ravanello accuse d’abord David Cameron d’avoir demandé, l’imbécile, son avis au peuple, puis s’en prend à ses confrères « tabloïds ». Le peuple a tranché, mais avant même de connaître la suite et les résultats concrets de son choix, notamment sur le plan économique, on cherche à savoir pourquoi il s’est trompé.
En démocratie, par définition, le peuple ne se trompe pas puisque c’est lui qui fixe ce qui est juste ou non dans les limites plus ou moins grandes que fixe la Constitution, que dans plusieurs pays dont le nôtre, il choisit d’ailleurs. On peut contester ce relativisme de la démocratie, mais le remettre en cause revient à ébranler les fondements de ce régime. C’est ce que beaucoup font en ce moment.
Il est plus judicieux de chercher les causes du vote britannique. Celles-ci sont à Bruxelles et non à Londres. L’arrogance des dirigeants européens, qu’il s’agisse des Etats ou des membres de la commission se manifeste maintenant dans leur volonté d’accélérer un processus qui dépend du Royaume-Uni avant tout. Ces pressions sont inutilement humiliantes pour David Cameron et ont un accent punitif qui ne trompe personne. Or, ce sont les coupables qui les exercent. Depuis de longues années, l’Europe se trompe de cap, engrange de mauvais résultats, méprise les choix populaires et se scandalise aujourd’hui qu’un peuple lui dise que c’est fini.
Dans une nuée parsemée d’étoile, le mythe européen s’est envolé. Des pays qui s’étaient fait la guerre durant des siècles s’unissaient et en effaçant leurs différences et leurs frontières permettaient de sauvegarder la paix, d’accroître la prospérité, de compter davantage sur la grande scène du monde et peut-être d’indiquer à celui-ci la voie d’une humanité unifiée. La toile s’est déchirée. Ce n’était qu’un décor. La Paix s’expliquait par la dissuasion nucléaire de part et d’autre du rideau de fer. Lorsque celui-ci est tombé, la guerre a éclaté en Europe, dans l’ex-Yougoslavie. Elle est présente à l’Est, en Ukraine et au Sud, en Afrique et au Levant. Le « géant » européen y joue le rôle peu glorieux d’auxiliaire des Etats-Unis qui conduisent la stratégie au travers de l’Otan. Incapable de maintenir sa démographie par une politique familiale volontariste, en proie aux idées absurdes de groupes de pression aussi influents qu’ils sont néfastes, l’Europe en est venue à négocier l’accueil de migrants dont le nombre va peser sur son identité et sa cohésion. Le monde arabe, et plus largement musulman est victime d’un sursaut du salafisme. L’Europe devrait accueillir les victimes de ce chaos dont elle n’est nullement la cause. Personne ne paraît penser que les richissimes Etats du Golfe qui ont besoin de main d’oeuvre pourraient recevoir ces réfugiés d’un drame auquel ils ne sont pas étrangers. Mais l’Europe en est à discuter avec la Turquie qui est en partie responsable de la guerre civile syrienne, qui s’éloigne chaque jour un peu plus de la démocratie, et continue d’occuper partiellement un membre de l’U.E., Chypre. En fait, l’Europe n’a pas de politique. Elle se contente des chiffres pour éviter les idées. Elle veut plus de rigueur, et plus de croissance. Elle veut donc une compétitivité plus forte. Elle veut sauver les équilibres de son activité économique et de sa protection sociale. Elle a donc choisi l’immigration sans tenir compte de la dimension culturelle de celle-ci, parce qu’elle a depuis longtemps jeté par-dessus bord ces vieilleries que sont les valeurs chrétiennes ou les identités nationales. Ne subsistent à ses yeux que des producteurs-consommateurs, hier éduqués pour le devenir, et demain retraités. Dans ce cadre, les immigrés peuvent être une bonne affaire.
Mais les chiffres eux-mêmes ne sont pas bons. L’Europe est une zone de stagnation à la croissance molle. La zone euro connaîtra une croissance de 1,4% en 2016, contre 3% pour le monde et 2% pour les USA. Les résultats sont d’autant moins bons pour les Etats qu’ils sont davantage intégrés aux institutions européennes. L’Europe est un géant obèse, aveugle et velléitaire qui n’a jamais su anticiper les crises, a laissé rentrer la Grèce fraudeuse dans la zone euro , et ne parvient pas à atteindre ses objectifs économiques malgré le prix du pétrole, la baisse de sa monnaie et le dangereux recours à la planche à billets. On peut se demander à quoi servent les 40 000 personnes qu’elle emploie à Bruxelles et ailleurs. La chorégraphie des ballets bruxellois décrite par Philippe de Villiers a de plus en plus ignoré la montée de la colère des peuples qui rageaient sans cesse davantage contre une Europe incapable de les protéger et parfois soupçonnée de les trahir au profit de la mondialisation. Avec un rythme accéléré, les référendums donnaient l’occasion d’exprimer cette frustration. Mais cette résistance réputée stupide à la pensée unique était aussitôt méprisée et contournée. Les Irlandais votèrent deux fois, la première contre et la seconde pour, pour la ratification des Traités de Nice et de Lisbonne, les Danois aussi sur Maastricht, la France et les Pays-bas refusèrent le projet de constitution. La méfiance entre les peuples et les institutions européennes s’est accrue jusqu’à éclater avec le brexit.
Le tableau de l’unité européenne devient surréaliste. Faute d’avoir uni l’Europe, on risque aujourd’hui de désagréger le Royaume-Uni, et peut-être demain l’Espagne ou l’Italie. Une guerre s’installe entre les générations, entre les mondialisés et les enracinés, entre les centraux et les périphériques, entre les « progressistes » et les conservateurs, entre les immigrationnistes et les patriotes. L’extrême-gauche est en embuscade sur la précarité sociale et l’extrême-droite sur l’identité menacée. L’Europe est un désastre. Il est temps de s’en rendre compte.
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