L’Histoire n’est pas une science. Elle peut s’en rapprocher lorsque des chercheurs établissent l’exactitude de certains faits. Dès qu’elle est obligée de les sélectionner, d’en interpréter la signification, d’en jauger l’importance, d’en faire apparaître les causes et d’en mesurer les effets, elle donne lieu à des choix et ouvre la porte aux préférences idéologiques ou partisanes. Lorsqu’elle met en valeur des hommes ou en stigmatise d’autres, elle devient une lecture subjective du passé. Un historien peut, en effet, avoir ses sympathies d’ordre politique ou psychologique pour tel ou tel personnage. L’enseignement de l’Histoire est ainsi toujours une relecture du passé par le présent. Si le présent peut éclairer le passé par un nouveau regard ou grâce à certaines découvertes, le présent est, à son tour, souvent éclairé par les valeurs du passé que l’on veut transmettre plutôt que d’autres. L’Histoire doit être laissée aux historiens, dit-on, pour en chasser les idées adverses, mais elle redevient le vecteur encensé de l’éducation civique à travers ses saints et ses héros quand elle véhicule les idées que l’on aime. Si le roman national n’a plus la côte, ce n’est pas l’Histoire vraie qui le remplace, mais la légende républicaine qui fait commencer la France en 1789, dose savamment la fierté et la repentance, distingue les bons et les mauvais Français, et privilégie plutôt les héros de « gôche ».
Il est vain et nocif de participer à ces affrontements stériles entre les morts. La jeunesse a besoin d’admirer des hommes et des femmes qui ont incarné le vouloir-vivre de notre pays. Jeanne d’Arc était déjà une résistante. Il n’y a pas de nation sans fierté nationale. La cultiver est un exercice salutaire. L’entrée de quatre résistants au Panthéon ne doit susciter aucune diatribe, aucune amertume. Si Jean Zay a écrit un poème immonde à vingt ans, on dit aussi qu’il est mort en criant « vive la France ». Si Pierre Brossolette s’est opposé à Jean Moulin, tous deux ont combattu l’occupant et ont succombé avec courage. Si la tendance manifeste du Président de la République est d’instrumentaliser l’Histoire pour draper dans le tricolore une politique désastreuse, il est préférable de se situer à un autre niveau.
On peut certes saluer l’habileté présidentielle qui a consisté à équilibrer son choix. Deux femmes, une innovation intelligente, et deux hommes. Elles ont vécu et ont poursuivi après-guerre une action humaniste au profit des déshérités, même si Germaine Tillon a, hélas, manifesté des sympathies pour les rebelles d’Algérie. Résistantes et engagées socialement : le message est limpide. On peut seulement ressentir de l’agacement dans le fait qu’un apparatchik parvenu au sommet de l’Etat puisse ainsi convoquer l’Histoire et ses héros pour faire oublier sa médiocrité. Qu’un Homme d’Etat issu lui-même de l’Histoire choisisse ceux qui entrent au Panthéon sans y entrer lui-même avait de l’allure. Lorsque le choix dépend arbitrairement de l’ex-premier secrétaire du Parti socialiste, on est moins convaincu de sa légitimité. On soupçonne le calcul politicien qui n’est pas à la mesure de notre pays et de son Histoire.
Alors, oublions le discours présidentiel et son souci d’utiliser les statues du passé pour se donner enfin une stature qu’il a tant de mal à acquérir. Ce qui compte ici est de se souvenir que face à la tragédie des Français ont risqué leur vie pour sauver la liberté et l’honneur du pays. Le message a toute sa force aujourd’hui. Ces Français étaient souvent de jeunes gens qui sans avoir écouté le Général de Gaulle, comme me disait Robert Galley, sont partis rejoindre la France qui continuait à se battre. Il y a beaucoup de destins croisés parmi tous ceux qui ont résisté. Honoré d’Estienne d’Orves défendait la France plus que la République. Hélie Denoix de Saint-Marc déporté à 20 ans pour résistance participera au putsch d’Alger pour respecter la parole de la France. Le Panthéon est trop étroit pour accueillir ces parcours personnels que la République ne peut saluer alors qu’ils sont à l’honneur du pays. Pierre Brossolette devait être exclu de la SFIO parce qu’il avait compris que le régime des partis d’avant-guerre était mortel pour notre pays. « C’est dans le cadre du gaullisme, le grand rassemblement auquel je pense depuis l’armistice qu’on pourra refaire la France », écrivait-il. Sa prémonition,si elle avait été entendue, nous aurait évité le naufrage de la IVe République. C’était le RPF avant l’heure.
Il est paradoxal et presque cocasse que ce soit un président socialiste qui fasse entrer au Panthéon celui dont l’exclusion du parti n’a été évitée que par la mort. Il avait eu le tort de constater le rôle néfaste du parti avant-guerre et d’anticiper la nocivité de son retour après la victoire. L’Histoire lui donne encore aujourd’hui raison en la personne de celui qui veut l’honorer.
7 Comments
Comments are closed.