Partout, sur les réseaux sociaux, dans les quotidiens, au milieu des sentiments diffus, mêlant désespoir de salon et antiracisme adolescent, la victoire du FN aux élections européennes est, depuis plusieurs jours, l’occasion des plus grands délires soixante-huitards qui nous aient été donnés de contempler sur la scène médiatique française. « Retour aux années 1930 », « démocratie en danger », « république menacée », les spécialistes de la larme écrite arborent plus que jamais les couleurs de l’indignation professionnelle. La belle France aux citoyens dormant paraît livrée à elle-même, impuissante face à ce qui semble être la plus grande apocalypse de tous les temps.
Les abstentionnistes sont devenus les collabos par inadvertance. Honte à eux ! Et que dire de ses Français indignes qui se sont laissé aller à la colère ? La débâcle est telle que France 2 a cru indispensable de s’en remettre à l’avis du plus grand politologue de tous les temps, j’ai nommé… Marc Lévy. Certains vont jusqu’à se poser la question de savoir, avec un mépris à peine voilé, si le peuple a toujours raison. Il est certain que sa décision va à l’encontre de l’utilitarisme solferino-parisien. Mon Dieu, où es-tu égalité, esprit de tolérance et d’ouverture ? Si cela continue, il va falloir définitivement arrêter de s’en remettre à ce peuple ingrat. Cela fait d’ailleurs des années qu’on se moque de son avis et la situation de l’Europe s’en est trouvée grandement améliorée, n’est-ce pas ! Avec 800 emplois en moins par jour, la promesse de la lune paraît effectivement avoir de bons jours devant elle.
L’heure est donc venue de réagir. Antifas, bobos et autres résistants de la quinzième heure se mobilisent « en masse », une fois de plus, pour rappeler au bon souvenir d’un certain 21 avril 2002. Ôtez-moi cette veste brune que je ne saurais voir ! Le fascisme ne passera pas ! Tous ensemble contre le FHaine ! On sent déjà poindre les éternels slogans ayant parachevé la faillite de l’intelligence. Après l’apaisement succède un langage de guerre civile. À en croire les bonnes langues, on entrevoit déjà l’arrivée prochaine des Panzers SS sur les Champs-Élysées.
Pourtant, cette victoire n’est pas celle du Front national. Le parti de Marine Le Pen bénéficie d’une incontestable dynamique. Cependant, son potentiel ne s’avère pas aussi élevé qu’il n’y paraît. Les municipales ont révélé un parti en pleine reconstruction, dont la force structurelle n’a pas encore atteint un stade abouti. Au final, il s’est révélé dépendant de cette grande tumeur du jeu démocratique qu’est l’abstention et ce, malgré une forte base militante. Mais, alors même que la part de députés d’« extrême-droite » se trouverait être insuffisante pour vraiment peser au sein du Parlement européen, le symbole apparaît bien trop pesant pour ne pas suggérer le malaise sévissant actuellement dans la société française. Les médias et autres politiques bien-pensants clament toutefois que les élections européennes ne devraient en aucun cas embrasser la logique de sanction à l’égard de la politique nationale. Et pourquoi pas ? Notamment quand l’essentiel de notre droit est d’essence communautaire, alors même que nous déboursons chaque année près de 20 milliards d’euros pour notre participation à l’UE, que l’attribution de certaines aides économiques doit recevoir l’aval de l’échelon européen […] bref, autant de contraintes structurelles qui conditionnent le fonctionnement de nos institutions. En quoi cela explique-t-il ce déficit de participation ?
Les élections européennes sont tout simplement jugées illégitimes pour beaucoup d’électeurs. Ceux-ci ont su intérioriser que la prise des décisions ne se faisait pas au niveau de ceux qu’ils élisent. Mais au gré de commissaires n’ayant jamais connu une urne de leur vie ! Des nouveaux Gauleiter diplômés en arrogance, prêts à se prétendre démocrates tant que les gens ne font pas œuvre de mécontentement à leur endroit ou – si le dédain les habite plus qu’autre chose – de « populisme ». En d’autres termes, les « citoyens européens » ne sont pas les sujets d’un pouvoir constituant, mais les victimes d’une force insaisissable imposant ses règles au rythme de directives non soumises au droit de regard. Ainsi, bien malgré eux, les personnes qui penseront défiler contre le FN, et par voie de conséquence « pour la démocratie », seront en réalité les idiots utiles du système. Une constance malheureuse, presque burlesque, de ceux qui maudissent les conséquences pourtant issues des causes qu’ils chérissent. Une véritable tragicomédie post-cornélienne. Espérons simplement que nous puissions en rire à l’avenir.
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