L’élite aime le principe du code-couleurs. Peut-être parce que c’est facile, coloré et drôlement pratique pour faire passer sans difficulté des idées simplistes. En tout cas, le règne de la pastille bigarrée est appelé à s’étendre.
On l’avait vu avec l’apparition de gommettes à l’école, proposées par Najat Vallaud-Belkacem où, par le truchement de cet habile code-couleurs, l’élève pardon l’apprenant n’était plus soumis au diktat abominable de la notation imposant, d’une façon aussi sournoise qu’impérieuse, des classements et donc une insoutenable compétition turbolibérale au sein même des établissements.
De la même façon, on se souvient que depuis des lustres, les gouvernements successifs font absolument tout pour régenter notre assiette. Comme en France, ce qui s’y passe oscille entre le sacré et l’intouchable, il a fallu des années d’une propag information continue et d’efforts concertés de toute l’administration de santé publique pour parvenir à cadrer un peu les dérives abominables dont se rendaient coupables les Français avec une constance et un appétit qui s’approchait bien trop du plaisir de vivre pour qu’ils soient laissés tranquilles.
De programmes idiots en campagnes d’informations débilement culpabilisantes, l’élite s’est décidée à mener une véritable guerre contre ce qui rend la vie supportable au pays des taxes et des cerfas : le fun se comptera dorénavant en petites portions minutieusement packagées et ne devra être ni trop salé, ni trop sucré, ni trop gras.
Dans cette lutte ouverte entre d’un côté, la nourriture officielle à base de brocolis bouillis qui, sans vous garantir une vie en bonne santé vous assurera de la trouver nettement plus looooongue, et la nourriture habituelle qui pourrait éventuellement vous la raccourcir en vous laissant le visage marqué par la bonne chère, là encore le gouvernement ne pouvait évidemment pas se passer d’un système de code-couleurs qui fait maintenant le succès des informations essentielles à portée de ses citoyens les plus simplets.
C’est très sûrement pour cela qu’un député La France Insoumise Qui Refuse Héroïquement De Prendre Deux Fois Du Dessert, Loïc Prud’homme, a déposé une proposition de loi « visant à protéger la population des dangers de la malbouffe ». Chacun sait en effet que la malbouffe, planquée dans les rayons interlopes et les têtes de gondoles mal famées, n’attend qu’un instant de faiblesse pour bondir sur la population désarmée et la rendre instantanément obèse et atone (ce qui ne gênerait pas les politiciens si l’atonie n’entraînait pas aussi une dangereuse recrudescence de l’abstention).
Magie du parcours habituel de la production législative dans le pays, entre les mains de la majorité présidentielle, le projet de loi s’est transformé en proposition « visant à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments et à encourager les bonnes pratiques alimentaires », ce qui rend l’idée marginalement plus opérationnelle.
Et dans la nuit du 21 au 22 février, nos vaillants légiscribouillards ont voté un amendement rendant obligatoire l’affichage du Nutri-Score sur tous les supports publicitaires pour les denrées alimentaires : le code-couleurs bouffométrique, mesurant la bonne compatibilité de la bouffe nourriture avec les rares maladies remboursées par la Sécu recommandations officielles, vient de naître !
Le Nutri-Score, c’est – surprise ! – ce système coloré de notation des aliments, établi sur une échelle allant de A à E (parce que de 1 à 5 serait ambigu, je présume ?) et du vert au rouge, selon la « qualité nutritionnelle » de l’aliment.
Ce Nutri-Score, c’est du solide : essentiellement basé sur les travaux de la Food Standards Agency anglaise (car les Anglais sont réputés pour leur rapport à la nourriture), il permet de distinguer les aliments qui contiendraient les nutriments nécessaires à une vie saine, pétillante de santé et modérément fun, des aliments très méchants aussi déséquilibrés que les couteaux antirépublicains, réputés provoquer l’obésité, des maladies cardio-vasculaires, le scorbut et l’achat compulsif d’albums de Jul.
Certes, il restera pour ce Nutri-Score à passer l’étape du Sénat qui pourrait s’opposer à son onctueux déploiement sur tout le territoire français mais on comprend qu’il ne s’agit que d’une question de mois, d’années peut-être et qu’au détour d’un texte de loi ou d’un autre, il finira bien par s’imposer.
Et c’est fort bien ainsi : non seulement, ce Nutri-Score permet d’entériner avec force (et couleurs) le fait maintenant évident qu’on prend les Français pour des gamins de maternelle auxquels il faut absolument expliquer, avec des gommettes colorées, quels sont les aliments officiellement autorisés, mais en plus, ce nouvel affichage publicitaire, qui vient en surcroît des mentions légales habituelles mangibougiques, offre une nouvelle voie royale à toutes les pressions des lobbies industriels auprès des agences de notation et du législateur qui, rappelons-le, se retrouve plus souvent à la cantoche de l’Assemblée qu’au Carrefour du coin pour se remplir le bedon dodu. Cela promet.
Au-delà de ces aspects quelque peu marginaux, ce Nutri-Score permettra d’ajouter un peu plus de confusion dans l’esprit du consommateur moyen qui en est probablement resté aux belles (et horriblement néfastes) pyramides alimentaires des années 80 où les sucres, féculents et autres céréales occupaient toute la base et où les viandes et les poissons étaient cantonnés à la portion congrue.
En outre, en simplifiant à l’extrême la « qualité nutritionnelle » des aliments sur une échelle construite à l’emporte-pièce, on abandonne tout espoir de laisser le consommateur se prendre en main comme un adulte responsable.
De la même façon que les gommettes scolaires écrasent complètement la finesse d’une notation standard en confondant par exemple un 11/20 avec un 13/20 et de ce fait, réduisent les capacités de l’élève à évaluer correctement son travail, ce Nutri-Score risque bel et bien de déclencher des effets indésirables à commencer par celui, évident, de certaines substitutions plus ou moins heureuses des ingrédients dans les recettes industrielles. Elles se traduiront soit par un Nutri-Score artificiellement meilleur, soit par un renchérissement des produits ce que le Français moyen ne compensera pas autrement qu’avec cette malbouffe qu’on entendait combattre en premier lieu.
Enfin, quand on se rappelle que, traditionnellement, l’État, ses agences et les experts qui s’y bousculent ont régulièrement marqué l’histoire par leur incompétence et périplaquisme systématique, on ne peut qu’être dubitatif devant ce nouveau développement de la Société Tristoune des Légumes Vapeurs ; après tout, non, les graisses ne sont pas l’ennemi qu’ils dépeignent et non, la guerre contre le sel n’a rien de justifié.
Devant les exemples à foison de recommandations foireuses, de petits stickers mal adaptés et de populations orientées dans la mauvaise direction depuis des décennies, on se doit de conserver un recul prudent devant cette nouvelle initiative bigarrée.
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