Le Salon de l’Agriculture est une scène importante de la politique. Ce fut l’Olympia de Narcisse-Jupiter ! Les Français aiment la terre, même s’ils sont de moins en moins nombreux à en vivre. Aussi, le Président de la République a intérêt à y faire bonne figure. Pompidou y était chez lui, Mitterrand n’y allait pas, mais peut-être était-ce lié à sa santé dont la fragilité avait été cachée aux Français dès sa première élection. Chirac y battait des records de présence et de popularité. Après ce marathonien de l’exercice, Sarkozy y sprintait et rata une fois sa sortie de manière mémorable, en montrant une vulgarité peu présidentielle. » Casse-toi pauv’con ! » est resté dans les mémoires, y compris la sienne, marquée douloureusement par le souvenir d’un « abaissement de la fonction présidentielle ». A un quidam qui le traitait de « connard », Chirac avait eu l’intelligence de répondre : « enchanté, moi c’est Chirac ! » Hollande avait établi un record de la durée de l’exercice en 2013, motivé par un souci de gagner en popularité et sans doute aussi par un goût prononcé pour les dégustations gratuites comme chez tous les hédonistes du PS. Macron a transformé le Salon en champ de manoeuvre : il s’agissait pour lui d’attaquer sur un terrain qui n’était pas le sien. Le Président des villes devait se montrer à l’aise aux champs. Il devait aussi, après une séquence internationale qui éloigne, revenir sur terre et jouer la proximité. En ces temps de Jeux Olympiques, l’affichage a été sportif. Le record a été battu : 12h30 de présence, de l’ouverture à la fermeture pratiquement. Mais, chassez le naturel, il revient au galop. Narcisse-Jupiter n’a pas supporté les sifflets, et il a cru devoir faire la leçon à de jeunes agriculteurs. L’arrogance est facile face à des gens dont le métier ne consiste pas à parler. Ce fut la grande erreur de la journée, qui « en même temps » révélait une nouvelle fois une personnalité dangereuse au poste qu’il occupe. La surestimation de soi est le pire défaut chez un responsable politique de premier plan. Monsieur « Je sais tout » n’existe plus si tant est qu’il ait jamais existé. Il y a des moments où un homme politique doit avant tout écouter, recevoir les doléances plutôt que brandir ses certitudes. C’est cet aspect important de monarque protecteur que Macron néglige dans la fonction présidentielle. En cela, il ne fait qu’accentuer l’erreur du quinquennat qui gomme la différence entre l’Elysée et Matignon. Macron, comme Sarkozy, incarne une politique qui ne peut être celle d’une large majorité de Français. Il a d’ailleurs commis une seconde erreur qui a consisté à opposer le « cheminot » titulaire d’un statut au paysan qui n’en possède pas. Le Président est le dernier dans le pays à devoir jeter les Français les uns contre les autres, même si en l’occurrence il soulignait là une vérité.
Le Président actuel équilibre encore un défaut et un atout. Son défaut est de n’avoir pas eu de véritable expérience politique, de n’avoir pas même été conseiller municipal, de n’avoir eu aucun contact avec les vraies gens dans une circonscription, de sortir directement de la haute administration, des conseils d’administration et de cabinets, où dans l’entre-soi de l’énarchie, on décide pour les autres, en vertu d’un savoir seriné dans les écoles et d’études menées par des laboratoires d’idées orientés. Il veut à partir de là changer la France. En a-t-il la légitimité ? Dans les limites de la Constitution, oui, mais chacun sait que ce n’est pas suffisant lorsqu’on n’est pas capable de soulever un sentiment d’adhésion dans une large majorité de la population. Pour cela, il faut qu’en dehors même des projets, il y ait une identification affective à la personne. Et c’est loin d’être gagné. M.Macron bénéficie, en revanche, d’un contexte éminemment favorable. L’économie mondiale se porte plutôt bien, et beaucoup de ses réformes sont tellement nécessaires, ont été tellement ajournées par la « droite » peureuse qui a gouverné la France à plusieurs reprises que l’opportunité de les réaliser est meilleure que jamais. Je pense aux régimes spéciaux des retraites, par exemple. Mais dans le fouillis des projets déballés, les sujets de contradiction et de mécontentement risquent de fracturer l’opinion publique. Les agriculteurs veulent vivre de leur travail et de leurs produits. Le gouvernement entend ne pas sacrifier le pouvoir d’achat plus qu’il ne le fait déjà avec l’augmentation de la CSG et les hausses actuelles. Les grands distributeurs, et en amont les transformateurs, les industriels, pourront-ils rémunérer les producteurs à leur juste prix ? Les premiers risquent bien de faire appel à la concurrence étrangère. Les seconds voudront conserver leurs marges. Qui fera croire que le Président Macron sera un conservateur de l’agriculture française telle qu’elle est ? L’opération d’hier était du grand art, et l’art est, comme le disait Aragon, un « mentir vrai », un spectacle dont il faut retenir les images et oublier les paroles.
Sans doute séduits par l’habileté d’un artiste dont ils pensent qu’il va peut-être faire ce que pendant 16 ans ils ont été incapables de réaliser, une nouvelle volée de « républicains » se dirige vers le nid des « marcheurs ». Copé songe à une alliance contre les socialistes à Paris. Son profil, voisin de celui de Macron, en dit long sur le véritable clivage qui sépare les Français, entre le microcosme mondialiste et métropolitain d’un côté et un peuple divers, mais qui risque de se rassembler contre ceux qui occupent la scène.