Métapolitique des Manifs pour tous (1/3)
3) Vers un gigantesque bouleversement électoral dans l’ouest français ?
Un autre des apports passionnants du livre de Gaël Brustier est d’acter l’avancée de la droitisation de la France depuis les Manifs pour Tous, notamment dans les régions occidentales traditionnellement de gauche. Si, comme l’ont remarqué certains intellectuels, les musulmans ont boudé les urnes lors des municipales pour protester contre la loi Taubira, seul Gaël Brustier a relevé que cette abstention fut toute aussi importante chez les français de souche de gauche dans l’ouest du pays, abstention qui peut à terme se métamorphoser en un vote droitier. Que s’est-il passé ?
L’occident français est sociologiquement de gauche et ce bien avant l’arrivée de la démocratie. Pourquoi ? Le grand historien Fernand Braudel en donne une explication originale mais pertinente. L’homme est le fruit de son milieu éco-systémique qui forge, grâce à la nourriture, au paysage et au climat environnant, son biotope à travers les siècles. Les côtes atlantiques françaises et leur arrière-pays sont lisses : ni montagnes, ni collines ne viennent morceler la platitude de leur espace. Cette géologie a eu sur le temps long un impact au sein du comportement de ses habitants qui ont construit des villages et des villes aux centres urbains larges permettant de développer une très grande sociabilité entre les individus.
A l’inverse, des Alpes au Jura, la géographie orientale et tellurique de notre patrie ne cesse d’être éventrée par des plateaux, collines et montagnes offrant un cadre de vie bien moins agréable à ses habitants qui ont sécrété un comportement plus individualiste et conservateur. Les bourgs tels que Les-Baux-de-Provence, Coursegoules, Gap ou Briançon sont des forteresses bâties en réaction à un environnement naturel inamical, où le facteur de sociabilité est peu pris en compte dans la création urbanistique. Ainsi la droite de l’hexagone est à droite et la gauche… à gauche.
Contrairement à une idée reçue dans les cénacles intellectuels de droite, la révolte des Chouans en Bretagne et des Vendéens dans le bassin de la Loire-Atlantique n’était pas motivée par un conservatisme monarchique mais contre une dégénérescence des révolutionnaires parisiens qui allaient beaucoup trop loin dans leur fanatisme réformiste. Selon les historiens de la Nouvelle Revue Histoire, les peuples de l’ouest accueillirent au départ les réformes révolutionnaires mettant fin à l’absolutisme royal avec beaucoup de bienveillance. N’oublions pas que ces régions, et plus particulièrement la Bretagne qui n’incorpora la monarchie française que très tardivement, à la mort de la Duchesse Anne au mitan du XVIe siècle, s’opposèrent souvent frontalement au centralisme royal parisien.
Ce n’est pas la décapitation de Louis XVI ni la mort douteuse de son dauphin qui soulevèrent les masses mais l’obligation faite aux curés de prêter non plus allégeance à la papauté romaine mais aux révolutionnaires de la capitale. « L’Histoire ne se répète pas mais bégaie » dit le dicton. Et on peut déduire que l’électorat de cette partie de la France qui a toujours voté à gauche depuis que la démocratie existe, boude pour une deuxième fois son courant sociopolitique à cause d’une nouvelle pierre d’achoppement catholique.
En effet, la loi Taubira, vécue comme la destruction de la famille traditionnelle selon la vision chrétienne, fut le coup de grâce détachant cet électorat du parti socialiste. Selon l’auteur, l’erreur colossale de François Hollande consista à croire que, mis à part la minorité musulmane, l’électorat de gauche était libertaire dans son intégralité. Or, s’il existe bien une frange bobo-libertaire dans les grandes villes, la sociologie de l’ouest de la France ne l’est pas du tout. Cette dernière donne ses suffrages à la gauche par tradition sociale-démocrate teintée de valeurs chrétiennes, notamment en matière économique et non pour une quelconque libéralité des mœurs.
Gaël Brustier rappelle que si la gauche était quasi-hégémonique dans ces régions, paradoxalement les politiciens de droite se revendiquant du catholicisme à l’instar de Philippe de Villiers ou Christine Boutin y enregistraient leurs plus beaux résultats. Il n’est pas étonnant non plus d’observer qu’après Paris, Lyon et Versailles, ce sont bien ces provinces de l’ouest qui fournirent les plus grands bataillons des Manifs Pour Tous, la plus haute fréquence des rassemblements des Veilleurs ou encore l’itinéraire de la fameuse Marche pour Tous de l’été 2013.
Néanmoins, la droitisation de cette partie de la France connaissait déjà des prémisses selon le géographe Christophe Guilly. D’une part, en 2011, le gouvernement a décidé de dispatcher les nouveaux immigrés extra-européens à l’ouest pour désengorger les régions qui en contiennent trop telles que l’Ile-de-France ou PACA. Parallèlement à cette arrivée, le FN commença à y grimper sensiblement pour la première fois de son histoire…
D’autre part, Christophe Guilly, dans son remarquable livre Fractures Françaises, constate un phénomène de flux migratoires internes à la France de très grande ampleur et qui joue aussi sur la droitisation de l’ouest français. En effet, il y a une lente mais sûre ruralisation due au fait que les blancs fuient toujours plus les banlieues immigrées ou quittent les centres des grandes villes boboïsées devenant, sous le coup de la mondialisation, beaucoup trop chers. Ces nouveaux arrivants dans le périurbain et le rural sont, du fait de leur vécu et de leur exclusion économique (dont l’épicentre des activités tertiaires demeurent au cœur des grandes métropoles), foncièrement de droite et constituent électoralement un bloc que Gaël Brustier nomme les « lepéno-sarkozystes », dont la vision est encore plus radicale que celle de leur candidats et pour lesquels la frontière entre les deux partis FN et UMP qui tentent de les canaliser est désormais dissoute (cf. mon tableau de la première partie de mon article intitulé Marine Le Pen peut-elle sauver la France ?).
4) Le FN et l’UMP à la conquête du Far West !
Les deux partis de droite ont été totalement à la ramasse quant aux Manifs Pour Tous, n’arrivant pas à imposer un leader capable d’accompagner le mouvement et de comprendre les enjeux. Les divisions à l’UMP et l’absence de Marine Le Pen aux manifs furent une erreur tragique, qui ne permit à aucun des candidats de s’imposer comme recours, malgré l’immense occasion qui leur était offerte.
Le FN est dans une situation schizophrénique. En réalité, il est partagé entre deux courants contradictoires. D’une part, il y a le FN historique dit « identitaire-conservateur » – incarné aujourd’hui par la majorité de ceux qui se sont déplacés aux Manifs : Marion Maréchal Le Pen, Aymeric Chauprade, Bruno Gollnisch, etc. – qui est sur une ligne identitaire en matière politique, conservatrice en matière morale et davantage libérale en matière économique. Cette ligne du parti correspond aussi à un ancrage géographique qu’est le sud-est de la France, historiquement de droite et confronté depuis les années 70 à une immigration de peuplement africaine très importante.
A ce courant historique s’additionne comme l’a très bien remarqué Gaël Brustier un nouveau courant minoritaire, préféré par Marine Le Pen, composé de bobos soixante-huitards qui, par peur de l’islamisation rampante, s’engagent aux FN pour préserver leur mode de vie libertaire. L’auteur les appelle les « hédonistes-sécuritaires ». Cette frange, réduite au sein de l’électorat mais importante dans les instances directrices du parti, est très séduite par l’exemple de le hollandais Geert Wilders qui fonda le Parti pour la Liberté (PVV) qui se veut d’abord un fer de lance contre l’islamisation pour préserver le mode de vie libertaire de la modernité occidentale.
Au sein du FN, ce courant de seconde génération est souvent désigné par l’expression « national-républicain ». Si l’engagement de ses adeptes, composé de nombreux homosexuels parisiens, est louable, il porte en lui-même les germes d’une très lourde faiblesse. En effet, c’est bien cet hédonisme qui est la cause première de l’invasion migratoire et de l’islamisation qu’ils souhaitent combattre. Mai 68 a permis le divorce et l’avortement de masse qui sabordent annuellement jusqu’à 25% de la reproduction démographique des Français de souche. L’économiste Yves-Marie Laulan rappelle que, pour environ 200 000 avortements par ans, nous avons 250 000 entrées d’immigrés extra-européens en provenance, pour le plus grand nombre d’entre eux, d’un continent africain qui voit littéralement exploser ses naissances. La similitude du nombre est étonnante et, si rien n’est fait, le drame ne fera que s’accentuer.
A la différence du courant national-républicain du FN, les Identitaires ont très bien compris que la remigration rime nécessairement avec une reprise vigoureuse de la démographie blanche, et que celle-ci ne peut s’effectuer qu’au sein de familles solides.
Donc, face au détournement de l’électorat atlantique de la gauche, les deux courants du FN choisissent des stratégies de séduction complètement opposées. Les nationaux-républicains commettent la même erreur que François Hollande, pensant que la gauche de souche est monolithique, au sein de laquelle n’existerait aucune distinction entre les bobos libertaires des grands centres urbains et la social-démocratie de l’ouest. Mettre en sourdine le problème migratoire tout en nommant à la culture l’ex-fondateur de GayLib à l’UMP, Sébastian Chenu, qui fut constamment désobligeant à l’égard des Manifs Pour Tous, est une faute grave, montrant une Marine Le Pen incapable de cerner les enjeux.
A l’inverse, sa nièce Marion a très bien compris que l’ouest se fera séduire par le même discours que l’est, intraitable en matière migratoire et profondément conservateur dans le domaine social. Gaël Brustier explique sa stratégie : « lorsque Marion Maréchal Le Pen comprend que là est la marge de progression du FN, elle corrobore l’hypothèse qu’une redéfinition stratégique est en cours, fondée sur le clivage des MPT et visant à enregistrer le bénéfice de la contestation. C’est d’ailleurs elle qui est chargée de l’opération. Elle fait le pèlerinage de Chartres à la Pentecôte 2012, participe aux manifestations, adopte les codes et les idées de la contestation. Pour autant, cet enjeu immédiat pour le FN, au moins pour une partie de ses dirigeants, est soumis à diverses concurrences, dont celles de plusieurs animateurs de MPT qui envisagent de se tailler un fief dans cet extrême occident de la France ».
Car l’opposition de ces deux courants paralyse l’action du FN qui risque de se faire doubler dans ces nouveaux fiefs par des candidats UMP ayant eux aussi très bien intégré le poids des Manifs.
« Dans la froideur un communiqué de presse, on distingue presque la délectation de Nicolas Sarkozy à nommer, alors que le FN se déchire sur l’arrivée dans ses rangs d’un militant de la cause gay, une figure de La Manif pour tous dans son entourage à la tête de l’UMP. Passée par les Veilleurs après avoir été de tous les cortèges bleu-blanc-rose, Madeleine Bazin de Jessey, 25 ans, accède, au nom du poids croissant du mouvement Sens commun, au poste stratégique de secrétaire nationale chargée des programmes de formation. Dans son sillage, une myriade de profils “droitiers” complète l’organigramme : Bruno Beschizza (sécurité), Guillaume Larrivé (réforme des institutions), Philippe Meunier (défense), Geoffroy Didier (animation interne)… Mais plus que ces nominations, c’est la perte d’influence de Nathalie Kosciusko-Morizet et de sa ligne “modérée” qui frappe au sein de cette nouvelle équipe dirigeante » raconte le journaliste à Valeurs Actuelles Geoffroy Lejeune.
A suivre…
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