Sans doute M.Macron ne mesure pas le ridicule qui consiste pour un dirigeant politique né en 1977, c’est-à-dire après la fin de la décolonisation, à porter un jugement sur un phénomène historique constant et universel. C’est une illusion rétrospective que d’utiliser une machine imaginaire à remonter le temps pour juger le passé avec les préjugés du présent. Cette posture est intellectuellement malhonnête, ce qui n’est pas étonnant, venant de ce personnage, mais elle est aussi stupide et odieuse.
Personne ne peut réécrire l’Histoire. Il faut tenter de la comprendre, et parfois de condamner les actes commis par des dirigeants lorsque ceux-ci sont précis et identifiables. Les génocides les plus récents, ceux des Juifs par le nazisme, des Arméniens par les « Jeunes Turcs », ou encore l’Holodomor des Ukrainiens par Staline appartiennent à ces faits qui auraient pu ne pas se produire parce qu’on ne les aurait pas décidés. De même le génocide des Vendéens par la Révolution a été plus qu’une faute, un crime ! Lorsque notre fanfaron national dit que le colonialisme a été une faute, il vise, au contraire, un phénomène historique qui n’a nullement été limité à la France du XIXe siècle en Afrique. Faut-il rappeler que notre pays doit beaucoup à la colonisation de la Gaule par Rome qui nous a apporté la plus grande part de notre civilisation ? « Nos ancêtres les Gaulois » avaient d’ailleurs, auparavant, envahi le territoire qu’ils occupaient ! De tout temps, les peuples plus avancés techniquement et plus puissants militairement ont colonisé les autres, suivant quatre processus, soit en installant des comptoirs pour commercer avec ces derniers, soit pour les intégrer à un empire, à une civilisation, soit encore pour les exploiter ou enfin pour remplacer leur population. On observe à ces différents degrés, le passage de l’échange à l’invasion. Cette dernière ne sera pas une colonisation lorsqu’un peuple moins développé occupe par la force le territoire d’un autre peuple. Ce sera seulement une invasion. De ce point de vue, la colonisation est supérieure à l’invasion. La Gaule a bénéficié de la colonisation romaine, mais a régressé lors des invasions. Des colonies grecques comme Marseille jusqu’aux Etats-Unis, une colonie et le plus puissant Etat du monde, la colonisation et l’invasion ont été les grands moteurs de l’Histoire avec leurs aspects positifs ou négatifs pour les peuples concernés. Il est absurde ou hypocrite de faire de la morale sur le sujet. Dès que les nations européennes eurent conquis les moyens intellectuels, techniques, militaires, et bien sûr maritimes, de dominer le monde, elles ont entrepris cette grande aventure. Venise se contentait de coloniser les côtes de l’Adriatique. Le Portugal et l’Espagne se sont lancés à la conquête du monde, et, faut-il le rappeler, parce que ces deux nations s’étaient libérées de la « colonisation » musulmane débutée, elle, par une invasion. Ensuite, les autres ont suivi, l’Angleterre, les Pays-Bas, la France. Puis d’autres encore, plus tardivement et plus modestement.
Des fautes ont sans doute été commises durant ce vaste mouvement, imputables à la rapacité et à la cruauté de certains des hommes qui y ont concouru, mais on ne peut pas plus condamner un phénomène de cette ampleur qu’un phénomène naturel. Il est d’ailleurs frappant de constater le parallèle entre l’anthropocentrisme qui impute le prétendu « réchauffement climatique » à l’action humaine et l’ethnocentrisme qui ferait de l’Europe et de la France, en particulier, les « coupables » de la colonisation. Nous subissons depuis quelques décennies en Occident le culte de la repentance et le devoir de l’auto-flagellation. Que le Président de « notre » République s’y adonne est une trahison de sa fonction. La France a connu deux vagues de colonisation, la première sous la monarchie, stoppée par la Révolution et l’Empire, en raison de la faiblesse de leurs moyens maritimes et non pour des motifs moraux, puis la seconde au XIXe siècle. Face au gigantesque Empire britannique, et à sa cohérence, notre pays a collectionné des territoires dont la plupart ne possédaient de celui-ci ni la richesse, ni la population, ni les capacités d’accueil d’un excédent démographique que la France ne possédait plus d’ailleurs. On peut donc penser que la colonisation française n’a pas été une bonne affaire, comme Jacques Marseille l’a démontré. Mais ce jugement n’a rien de moral. Jules Ferry ou Léon Blum justifiaient l’entreprise par l’impératif de civiliser les peuples qui l’étaient moins. Cet objectif généreux a en partie été atteint. Le meilleur exemple en est l’épopée médicale des Français, de l’Algérie à l’Indochine en passant par Madagascar et le Golfe de Guinée. Il est insultant et odieux pour les médecins français qui ont voué leurs vies à la lutte contre les maladies endémiques d’employer le mot de « faute ». C’est une faute lourde pour un chef d’Etat que de faire d’un motif de fierté de la Nation qui l’a placé à sa tête un objet de réprobation.
En fait, si les peuples « décolonisés » ont à se plaindre, c’est davantage de la décolonisation. Celle-ci était tout autant inévitable, mais elle a été menée avec une rapidité que la situation politique durant la guerre froide expliquait. Le Portugal a tenu bon jusqu’en 1975, mais il a fini par succomber d’un effort qu’il ne pouvait plus supporter. Le Brésil est une colonie qui s’est libérée au XIXe siècle mais où les colons sont restés. Il n’est pas sûr que leur départ brutal ait été une bonne chose ailleurs, en Angola ou au Mozambique : l’Algérie ou le Zimbabwe en ont apporté la preuve.