Pour le 6e samedi, les Gilets Jaunes ont manifesté. Le pouvoir insiste sur la baisse du nombre des manifestants et sur leur radicalisation. Or, ce qui est remarquable, au contraire c’est la permanence du phénomène, malgré les mesures gouvernementales, la lassitude bien compréhensible des participants et l’approche de la trêve des confiseurs. Quant aux violences, elles demeurent marginales et limitées à des incidents de fin de journée montés en épingle. La stratégie des Gilets jaunes qu’on présente parfois comme des provinciaux illettrés, ceux dont Macron disait qu’ils n’étaient « rien », témoigne d’une intelligence collective qui déroute les spécialistes de l’ordre public. Aller en douce dans les rues étroites de Montmartre plutôt que sur les larges avenues de Versailles, comme annoncé, relève d’un génie tactique inattendu. Avec son excès coutumier, le pouvoir crie au putsch, alors qu’il s’agit d’un chahut malin, où l’on retrouve cette identité française, appréciée ou non, qui voit Guignol se rire du gendarme.
Pourquoi un mouvement qui n’a réuni au maximum que quelques centaines de milliers de personnes dispersées sur l’ensemble de territoire et qui n’en mobilise plus que quelques milliers à Paris est-il parvenu à bouleverser la vie d’un grand pays comme la France ? D’abord, parce qu’il est représentatif d’un beaucoup plus grand nombre de Français qui le soutiennent ou éprouvent de la sympathie à son égard. Ensuite, parce qu’en face, c’est la légitimité du pouvoir qui est en cause. Le Président a raté l’incarnation de la fonction. Quoi qu’il fasse désormais, quoi qu’il dise, ses gestes et ses paroles paraîtront faux. A l’exception d’un ou de deux, ses ministres ne font pas le poids. Leurs maladresses à répétition accroissent le doute. Quant à l’Assemblée, elle semble une anomalie sortie de nulle part, composée d’une majorité écrasante d’inconnus élus par hasard. Le pouvoir ne peut sortir de cette crise de légitimité qu’en donnant la parole au peuple. C’est ainsi que Georges Pompidou avait mis fin au chaos de 1968. Les mesures sociales négociées, et non octroyées, et le raz-de-marée gaulliste de Juin 1968 avaient restauré l’ordre. La droite restera au pouvoir jusqu’en 1981 après le départ du Général de Gaulle, et le rétablissement de l’économie nationale.
Certes, des élections européennes auront lieu au mois de Mai prochain. Mais, elles ne changeront rien au pouvoir institutionnel dans notre pays. L’oligarchie élyséenne songe même à faciliter l’existence d’une liste de « gilets jaunes » afin de réduire le résultat du Rassemblement national. C’est doublement absurde, parce que les gilets jaunes ne sont pas un mouvement politique animé par une doctrine mais un rassemblement protestataire composite. Qu’irait-il faire à Bruxelles, quand c’est Paris qu’il vise, et le microcosme arrogant qui y règne ? Même affaibli, le Rassemblement national sera à court terme l’opposition principale, avec pour corollaire d’être isolé, et donc battu au second tour par l’addition des autres, à la présidentielle, comme aux législatives. On mesure ici l’impasse française qui exclut de la vie politique un quart des électeurs et donne le pouvoir à des gens qui sont désignés par défaut. C’est de ce piège démocratique qu’il faut sortir, et le « grand débat national » n’est évidemment pas à la mesure du problème. Il va être conduit par une opportuniste passée du sarkozysme au centrisme « écolo » et recyclée, comme de juste, présidente de la commission nationale du débat public, l’un de ces fromages de la République, appelés « autorités administratives indépendantes » qui permet d’employer les politiciens en fin de mandat et les énarques en quête de pantoufles. Il fera appel à des Français tirés au sort dont on imagine le poids qu’ils auront face aux « spécialistes ».
Ce débat portera sur quatre questions : transition écologique, fiscalité, organisation de l’Etat, démocratie-citoyenneté. La priorité donnée à l’alibi fiscal de l’écologie et l’élimination idéologique d’une cinquième question sur l’immigration soulignent une nouvelle fois que la démocratie est verrouillée en France par les tabous et les obsessions de la caste contre laquelle précisément le pays se révolte. La consultation conduira-t-elle à une modification constitutionnelle, et donc à un référendum introduisant par exemple le principe du « référendum d’initiative citoyenne » ? Ce serait un minimum, mais contre lequel l’oligarchie va se mobiliser avant et après le vote. Le RIC est une voie d’apaisement de la démocratie, s’il devient régulier en dehors de l’urgence. Le référendum qui l’instaurerait serait d’une nature bien différente : il pourrait comprendre plusieurs questions et conduire à un plébiscite pour ou contre le gouvernement. Est-ce le bon moyen de sortir de l’impasse ? Il serait beaucoup plus légitime et efficace de poser directement la question de confiance au peuple, soit après une démission du Président, mais il ne faut pas rêver, soit après la dissolution d’une Assemblée dont on voit bien qu’elle n’est plus représentative. Il restera alors aux oppositions à trouver la voie de l’union d’alternance. Des personnalités comme Nicolas Dupont-Aignan ou Jean-Frédéric Poisson, l’un venant des rangs gaullistes, l’autre du centrisme démocrate chrétien me paraissent de nature à jouer les traits d’union.