Avec l’assassinat de Khashoggi, l’Occident se trouve confronté à sa propre forfaiture. Nos gouvernants, la main sur le coeur proclament leur adhésion à des valeurs intangibles, inviolables, pour tout dire sacrées, si ce mot n’était pas devenu d’un emploi périlleux dans notre République laïque. M.Mélenchon s’en est bien rendu compte. Les démocraties occidentales, et la France plus que les autres, ont donc lié leur destin à la défense des droits de l’homme au sein d’Etats de droit, prêts à tout sacrifier aux libertés fondamentales, comme celle de la presse. Que le rouleau compresseur des médias subventionnés politiquement corrects fasse douter les mauvais esprits de ce devoir impérissable ne doit pas être un obstacle. Nos pays sont le bien et luttent contre le mal, par exemple et au hasard, la Russie de Poutine. C’est ainsi que l’Occident a volé au secours du Koweit agressé par les féroces Irakiens. C’est ainsi que l’Occident a sauvé les Bosniaques et les Kossovars des griffes des Serbes sanguinaires. C’est ainsi qu’il a condamné et sanctionné la Russie pour avoir osé récupérer sa province de Crimée. En Syrie, avec nos alliés turcs, exemplaires de la compatibilité de l’islamisme et de la démocratie, nous avons soutenu de gentils rebelles, tout ce qui a de plus modérés contre l’infâme Bachar, soutenu, une fois encore, par Poutine.
Malheureusement, lorsque la propagande déversée se heurte au mur de la réalité, elle finit pas se ridiculiser, et par faire apparaître cette terrible réalité : les populations occidentales sont matraquées quotidiennement par des médias orientés qui déforment les esprits plutôt qu’ils ne les informent. En aidant les rebelles afghans contre les Russes, nous avons fabriqué un Frankenstein qui s’est révélé au monde un certain 11 Septembre. De l’islam apparemment endormi depuis des siècles mais qui continuait à s’étendre sourdement par le nombre des naissances et par sa conquête de l’Afrique, a surgi l’hydre de l’islamisme. Sa tête la plus visible s’appelait Ben Laden, et a lancé Al-Qaïda, qui est présente en Syrie comme la force principale de la province d’Idleb, où elle a depuis longtemps supplanté l’ASL, cette façade dite « modérée » des rebelles que nous avons aidés, parce que nous soutenions dans ce pays comme en Libye les actions financées par deux pays wahhabites, l’Arabie saoudite et le Qatar. Ce dernier pays, comme la Turquie, appuie davantage les Frères Musulmans, une autre tête de l’hydre, plus politique et plus habile qui a pris momentanément le pouvoir en Egypte notamment. Bref, les démocraties des « droits de l’homme » ont été partout les alliées d’Etats qui ne les respectent nullement et ont même signé une autre déclaration respectueuse de la Charia, et parfaitement incompatible avec la nôtre. Lorsqu’est apparue une nouvelle tête, celle de l’Etat islamique, scission d’Al Qaïda, l’imposture devenait trop flagrante. Il devenait difficile aux Occidentaux de dire que le monstre était Bachar, alors que celui-ci reprenait le contrôle de populations pas mécontentes de retrouver la paix d’antan, plutôt que de subir les exactions de fanatiques venus d’un peu partout, et notamment d’Arabie saoudite, comme le montre « Sara », ce récit du calvaire des Yézidis, en Irak, cette fois.
Les Saoud sont immensément riches et savent être généreux avec leurs amis. Leur faste exotique impose le respect. Qu’on y décapite en pleine rue et au sabre, qu’on y crucifie jusqu’à la décomposition des chairs, qu’on y lapide, qu’on y flagelle jusqu’à la mort, ne témoignent que d’une forte tendance à conserver les traditions. Bien sûr, toute trace de christianisme y est sévèrement interdite. Mais le pays allait changer : un jeune prince désigné par ses initiales, MBS, pour faire plus moderne allait accéder au pouvoir et faire souffler sur notre cher allié un peu trop conservateur, mais si fortuné, un vent de réformes. Les femmes allaient pouvoir conduire : quelle révolution ! Patatras, l’enfant chéri d’Allah, n’a plus les réserves des vieillards qui gouvernent le pays depuis des décennies. Le Yémen voisin est donc bombardé sans discernement, et cette Arabie heureuse est devenue une tragédie quotidienne parcourue par la guerre, la famine et les épidémies. Sa prise de pouvoir est brutale : il séquestre une partie de sa nombreuse famille pour extorquer à ses cousins pouvoirs et richesse. Sa diplomatie manque de doigté : il retient sans vergogne le Premier Ministre du Liban. Et voilà qu’un journaliste saoudien lié dans le passé à Ben Laden et réfugié aux Etats-Unis commet la bévue de se rendre dans un consulat saoudien en Turquie. Jamal Khashoggi y est sans doute torturé, assassiné et démembré. Une malheureuse erreur : les responsables de cet « incident » seront châtiés dit le Prince. Cette fois, les gouvernements occidentaux, pris la main dans le sac d’une alliance contre-nature, s’émeuvent, stimulés par Erdogan ravi de les manipuler une fois de plus et de marquer un point pour les Frères Musulmans contre Ryad.
Chez nos gouvernants, c’est la débandade. Trump a le mérite de dire avec cynisme la vérité : on ne renonce pas à des contrats d’armement mirifiques pour si peu. Merkel, fille de pasteur, fait comme d’habitude de la morale : l’Allemagne ne va plus livrer d’armes. Mais elle n’était que le 5e fournisseur, loin derrière la France, et elle continuera à vendre ses Mercédès et ses Porsche. D’où la réaction embarrassée de Macron qui refuse de répondre aux journalistes et se fend d’un communiqué indigné annonçant des sanctions contre les coupables, qu’il dissocie par avance du pays et du régime. Un donneur de leçon qui vante la décence et la pudeur mais se retrouve nu au milieu de la place avec un ami guère plus habillé que lui. Telle est l’image des vertueux occidentaux !