« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Zemmour a encore sévi, et cette fois le mur de la pensée unique s’est lézardé, s’est effondré. Le barrage élevé par le politiquement correct devant le trublion de talent qu’il fallait « cornerisé »a cédé. Plus les critiques ont vitupéré, plus le livre s’est vendu. Le Livre ? La Bible du « réac », une catharsis à la fois dense et exhaustive de la « francitude », du mal-être français, une longue remontée aux erreurs d’aiguillage qui ont amené le peuple français sur une voie de garage où il ne se reconnaît plus. Zemmour se veut-il sociologue ? Il ne s’embarrasse pas de tableaux ni de statistiques. En fait, il est le psychanalyste de l’inconscient français, procédant par raccourcis lumineux à partir des symptômes, les événements, les livres, les films, les grands moments de télévision, les chansons, qui jalonnent la genèse de l’esprit public, celle de l’inconscient collectif qui en est la coulisse, et qui sont autant de clefs pour la cure. « Bon sang, mais c’est bien sûr », voilà ce que se disent beaucoup de lecteurs ou d’auditeurs, « il a mis le doigt dessus, là où ça fait mal… et ça fait du bien de le savoir. »
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Vague, confuse, inexprimée par peur du ridicule, l’impression de ne plus comprendre son propre pays se cachait derrière l’obligation panurgique de bêler avec le troupeau, de chanter la complainte de l’antiracisme avec le choeur des pleureuses de la repentance, de se frapper doucement la poitrine pour convertir la haine de soi en contrition humaniste. Alors, par moment, une ou deux notes rappelant un passé heureux, voire glorieux, mais sans arrogance, le souvenir des illusions perdues venaient embellir le décor. « Le Suicide Français », c’est le grand souffle qui fait tomber le décor, c’est la trompette guerrière qui met fin au récitatif. Il l’a dit, donc on peut le penser et le crier, si on veut !
Une majorité des Français n’aime pas trop Zemmour, 62%, mais à droite, il cartonne, il a des fans, ceux qui ont enfin trouvé leur voix, ceux que Nixon appelait la majorité silencieuse. Zemmour est la voix des sans-voix, comme Vaclav Havel parlait du pouvoir des sans-pouvoir. S’il n’a pas encore convaincu la majorité, il intéresse celle-ci comme un bon prof de philo peut capter l’attention de ses élèves en les surprenant par des idées inhabituelles, paradoxales. Zemmour fait réfléchir même ceux qu’il agace parce qu’il bouscule leur pensée réduite aux réflexes pavloviens, aux slogans de l’idéologie dominante. Le réactionnaire fait réagir, en déconstruisant le discours institutionnel des déconstructeurs officiels.
Le parcours est risqué, semé d’embûches. Le premier piège est de s’enfermer dans un rôle, celui du retourneur de gants, celui qui montre l’envers du décor qui explique comment et pourquoi le spectacle se déroule. Vous croyez défendre la révolution contre le capitalisme en vous réclamant de Mai 68, les droits de l’homme contre l’exploitation, en militant pour l’accueil des immigrés et la reconnaissance de la richesse qu’ils apportent à la France ? Vous servez au contraire le capitalisme cosmopolite et sa mondialisation heureuse pour les capitaux et pour leurs détenteurs, enfin débarrassés des Etats souverains et des entraves à la circulation des salaires les plus bas, enfin libérés des restrictions morales à la consommation sans frein. Zemmour, c’est Maurras qui a lu Marx. Comme eux, il n’échappe pas au travers de vouloir être celui qui a « tout compris » selon une expression qui lui est chère et que le pauvre Domenach subit à longueur d’émission, car la réciproque est que les autres ont toujours « tout faux ». Sur les plateaux, Zemmour, c’est d’Artagnan, jamais aussi heureux que lorsqu’il affronte, seul, tous les gardes du Cardinal. Alors, on se met à avoir envie de l’interroger.
Ne craignez-vous pas qu’à force de vouloir remettre toutes les pendules à l’heure, vous ne tombiez sur la récalcitrante, celle qui vous fera aborder les autres avec moins de virtuosité ? Etait-il nécessaire de paraître défendre Pétain ? Ce que vous dîtes peut être vrai, et dans la mesure où ça vise à combattre le mécanisme insidieux de la repentance et du dénigrement de la Nation, c’est juste, mais il me paraît plus efficace et plus cohérent de dire avec de Gaulle, Vichy, « nul et non avenu », car ce qu’a fait de bien ou de mal cet Etat-croupion n’était de toute façon pas digne de la France. Malheureusement, ces quelques pages de votre livre ont suffi à ce que la clique du politiquement correct le réduise à elles.
Maurras voulait rétablir la monarchie, Marx voulait le « renversement violent de tout l’ordre social passé » ? Que voulez-vous au juste, Monsieur Zemmour ? Vous savez qu’on ne recommence pas l’Histoire sauf pour transformer la tragédie en bouffonnerie. Vous dites que la France est morte et vous qui l’aimez, vous vous contenteriez de fleurir la tombe et de fustiger ses bourreaux ? Car le suicide, vous le suggérez, n’en est pas un. C’est un assassinat, un empoisonnement idéologique au goutte-à-goutte, prémédité par la gauche et dont la droite s’est rendue complice. N’espérez-vous pas que votre livre soit un antidote destiné à enrayer la trahison des clercs, celle de nos « élites » ?
Le réactionnaire se heurte à un obstacle : jusqu’où faut-il remonter le courant ? Renan pensait qu’en coupant la tête de son roi, la France s’était suicidée. En bon républicain,vous vous référez à de Gaulle (Point n’est besoin de souligner l’objectivité d’un écrivain d’origine juive et pied-noir et qui trouve le moyen de vanter Pétain et de Gaulle dans un même ouvrage !). Mais dès Pompidou, ça se gâte, et de Gaulle n’avait déjà plus les moyens de ses ambitions pour le pays. Mai 68 avait tué le dernier Père de la Nation avant qu’il ne soit mort. Votre vrai dernier grand homme, c’est Napoléon. Napoléon qui a saigné le pays avec ses deux-cent-mille hommes de rente par an ? Napoléon qui partage avec son neveu d’avoir conduit les politiques étrangères les plus stupides de notre Histoire ? Napoléon qui nous a drapés dans la glorieuse vanité d’Austerlitz et abandonnés à la marginalité d’après Trafalgar et Waterloo ? Napoléon qui a comme le montre Tocqueville poussé à l’extrême ce culte de l’Etat centralisateur, depuis devenu « providence » ? On se demande parfois si le médecin qu vous êtes, après avoir correctement décrit les symptômes et leur genèse, n’a pas commis une erreur sur l’origine première du mal, le « Mal Français », celui qui a consisté à priver un peuple courageux, intrépide, indomptable de ses qualités premières, assommées, anesthésiées, étouffées par un Etat envahissant qui ne se contentait pas d’être fort, ce que les Français ont toujours souhaité, mais se voulait la clef de tout, ce qui les a tués. Les Français avaient besoin d’un Père qui les conduise à la bataille, pas d’une nounou, ce que devient le père lorsqu’il veut s’occuper de tout.
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