Critique de la France bien élevée, réponse à Gabrielle Cluzel

Récemment, la blogueuse Gabrielle Cluzel, qui a brossé avec talent au cours des derniers mois le portrait de ce qu’elle appelle la “France bien élevée”, a publié une réponse à ceux qui en critiquent les méthodes d’action. Bien qu’étant d’accord avec elle sur l’essentiel, je tiens à faire quelques remarques que j’espère constructives afin d’éviter qu’ à l’avenir ne soient reproduites certaines erreurs du passé.

La France bien élevée se lève : ENFIN !

Au cours des derniers mois, la France bien élevée s’est massivement mobilisée pour la défense du mariage hétérosexuel monogame. Mieux vaut tard que jamais, pourrait-on objecter. Après avoir laissé passer l’avortement, le PaCS et la pilule contraceptive dans les lycées, pour ne parler que des sujets sociétaux, il était grand temps. Pour chacun de ces enjeux et suivant un processus devenu tristement habituel, après une mobilisation réactive et épidermique, la France bien élevée avait baissé pavillon et était retournée reprendre ses discussions passionnantes sur le fait de savoir si la branche capétienne des Orléans serait aussi légitime à remonter sur le trône de France que celle des Bourbons, problématique tout aussi fondamentale que celle qui agitait les sénateurs byzantins sur la question du sexe des anges lors de l’invasion de Constantinople en 1453. On peut par ailleurs honnêtement se demander si la France bien élevée se serait enfin levée comme elle l’a fait si elle ne s’était pas faite gazée par familles entières le 24 mars avec femmes, enfants et personnes âgées. Sans cela, la France bien élevée se serait-elle enfin décidée à sortir de ses paroisses, de ses kermesses et de ses bonnes œuvres, et à engager le rapport de force dans la rue pour défendre son univers ? Se serait-elle enfin décidée à assumer la transgression, suivant l’exemple de sa porte-étendard catholique Béatrice Bourges, au lieu de retourner gentiment piauler dans ses maisons de famille sur la “pauvre France où tout fout le camp, si c’est pas malheureux ma bonne dame à qui le dites-vous,…”, avec pour seul objectif de décharger sa rancœur et sa frustration les uns sur les épaules des autres, comme à son habitude en pareil cas ? Il est permit d’en douter.

ÊTRE ne dispense pas d’AGIR

Dans cette tendance à ne savoir se mobiliser que par réaction épidermique, on retrouve ce fameux caractère “impolitique” de l’homme de droite mis en lumière par Alain de Benoist, lui-même citant Julien Freund. Sujette à l’une de ces “idées chrétiennes devenues folles” dénoncées par Chesterton, la France bien élevée souffre d’une tendance à imaginer qu’il lui suffit d’exhiber la moralité de son Être pour fasciner autrui. Considérant souvent que la munificence de ce qu’elle EST la dispense d’AGIR, à l’image d’un Denis Tillinac se vantant de “n’être jamais du côté du manche”, elle se condamne par avance à toujours subir celui-ci. Jouant systématiquement en défense, n’anticipant pas, ne conceptualisant pas, trompée par sa confiance innocente en la capacité de ses vénérables maisons de famille à encaisser éternellement les coups de boutoir gouvernementaux, elle s’obstine à appliquer scrupuleusement la formule de Jean Anouilh pour qui “il faut tenir l’intelligence (opérationnelle) pour peu car c’est la richesse des pauvres”. La France bien élevée serait bien inspirée de se souvenir, comme l’a rappelé le journaliste Éric Zemmour dans son livre Le premier sexe, que Louis XVI, seul roi de France à ne pas avoir eu de maîtresses, est également le seul à avoir fini guillotiné. Il n’est absolument pas question de faire l’éloge de l’adultère, mais de rappeler à ceux qui mettent un point d’honneur à arborer un sourire niais en toutes circonstances qu’un bon garçon n’a jamais fait un chef politique. Il n’y a aucune honte à se trouver en position de faiblesse, mais par contre il est honteux de ne pas chercher à se trouver en position de force lorsque l’on prétend défendre des valeurs et des idéaux élevés.

Être chrétien n’est pas être gentil

« On se tromperait en faisant du Christ un doux missionnaire ou un débonnaire professeur de morale. C’est au contraire un prophète authentique, qui hurle, qui invective, qui lance de cinglantes diatribes. Il ne craint ni la violence, ni la provocation », rappelle le journaliste Ivan Rioufol, citant l’ouvrage de l’historien Jean-Christian PetitfilsLa vie de Jésus .
La Vérité, incarnée par le Christ, est le principe central du christianisme. Être chrétien n’est pas être gentil, c’est être bienveillant, ce qui n’est pas du tout la même chose. Être bienveillant signifie, à l’image du Christ, dire la Vérité à autrui dans son intérêt, selon le proverbe “Qui aime bien châtie bien”. Concrètement : dans la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, être un bon chrétien signifie heurter, choquer, cliver, déraper et même stigmatiser.

Conclusion : assumer moralement la transgression

“En ces temps de tromperie universelle, dire la Vérité est un acte révolutionnaire”, disait George Orwell.
La révolte de la France bien élevée au cours des derniers mois a été une réaction épidermique, plus que conceptuelle, de populations qui comme leur nom l’indique a-priori évitent la transgression. Or, comme l’a rappelé le politologue Patrick Buisson, la base politique de la doctrine chrétienne est le devoir de désobéir à César lorsque celui-ci prétend se substituer à Dieu. Devenir capable d’assumer au quotidien la transgression de l’antimorale bien-pensante, non seulement ponctuellement sous le coup de la colère qui désinhibe, mais durablement et avec bonne conscience, est la condition nécessaire à la pérennité du mouvement engagé au printemps dernier. C’est en combattant par fidélité aux valeurs qui sont les siennes que la France bien élevée sera vraiment digne de ce nom.

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82 Comments

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  • 0 / 10
  • patrhaut , 28 août 2013 @ 16 h 26 min

    ce n’est pas vous qui disiez :
    “On perd ses nerfs ? Un travers typiquement féminin !” ?

  • clovis , 28 août 2013 @ 19 h 09 min

    Voici l

  • clovis , 28 août 2013 @ 19 h 18 min

    Voici la citation complète de Chesterton:

    “Quand un certain ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent , plus terribles encore. Le monde moderne est envahi de vieilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude »

    Sa remarque a plus de force dans son contexte: ce sont les vertus (et non les idées) chrétiennes qui sont devenues folles. Le risque énoncé dans cet excellent article a bien pour cause une vertu isolée des autres et devenue folle : le bisounours!

  • jean dutrueil , 28 août 2013 @ 19 h 42 min

    Saint Louis à l’instar de Louis XVI n’ a pas eu de maîtresse mais à la différence de ce dernier, 1) il combattit ces ennemis avec un zèle inouï ( traduction: il massacra beaucoup de monde) et 2) légalisa la prostitution en lui donnant des règles qui ont perduré jusqu’en 1946!

  • jean dutrueil , 28 août 2013 @ 19 h 43 min

    Très bon texte qui montre la prise de conscience chez certains catho montrant qu’une union des vues est possible avec leur compatriotes païens!

  • Antigone , 28 août 2013 @ 20 h 17 min

    Excellent article, avec un bémol; je n’aime pas non plus le qualificatif de “bien élevée” pour désigner la France; il s’agirait plutôt de la France citoyenne, celle qui travaille, paie ses impôts, respecte les valeurs de la nation française. Mais je comprends qu’il faut faire court dans un titre qui doit être percutant.
    Je suis entièrement d’accord avec le contenu du paragraphe “être chrétien n’est pas être gentil”. La Bible nous montre plein d’exemples sur ce sujet, l’histoire des Croisés aussi.
    ce que je n’approuve pas, par contre, dans l’enseignement du Christ, c’est de tendre l’autre joue quand on reçoit une gifle! À la lumière des atrocités commises envers les Chrétiens d’Orient, je dirais plutôt qu’il faudrait répondre à la gifle par une bonne giclée de kalachnikov!

  • jean dutrueil , 28 août 2013 @ 21 h 51 min

    @ hermeneias

    Bravo pour cette réponse très sensée à monhugo .

    En ce moment je suis en train de lire un livre remarquable: “Crise du monde moderne” de René Guénon, écrit en 1927 mais très actuel car décrivant la dissolution dans laquelle nous sommes aujourd’hui avec une remarquable précision.

    Entre autre, il montre que l’un des indices de la dégénération du monde occidental correspondant à la dernière phase du Kali-Yuga (l’âge sombre) selon les Hindous est cette ultra spécialisation dans tous les domaines (histoire, sciences dures ou sociales) remplies d’un nombre considérable de détails et de données non hiérarchisés sapant toute profondeur donc tout sens.

    Nous savons que cette dégénérescence correspond à l’ultra féminisation de la société qui pour prendre une image ressemble au cerveau féminin qui sait emmagasiner un nombre exponentiel de détails ( à la différence du masculin) mais sans pouvoir prendre le recul nécessaire pour en nommer le sens.

    Ceci n’est pas un défaut mais une complémentarité du cerveau masculin (et vise versa) et au sens plus large du domaine masculin. La dégénérescence est quand il y a rupture d’équilibre entre les deux domaines et que l’un prend le pas sur l’autre. Comme c’est le cas aujourd’hui.

    Bien à vous

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