Et si dans la guerre des civilisations, le vainqueur était l’Extrême-Orient ? L’idée que le monde convergeait vers une civilisation universelle et pourquoi pas un jour vers un gouvernement planétaire, vers la fin de l’Histoire avec l’avènement d’une démocratie éclairée fondée davantage sur le règne conjoint du droit et du marché que sur celui de la volonté populaire, avait séduit au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique. La liberté s’était montrée plus forte que le centralisme étatique, miné par ses contradictions et écrasé par son propre poids. Cette interprétation des événements réjouissait la caste qui domine en Occident et qui se croit la maîtresse du monde lorsqu’elle se réunit à Davos ou ailleurs. Elle n’avait pas suffisamment perçu que les identités civilisationnelles avaient été les auteurs de l’estocade portée à l’empire soviétique : le catholicisme d’un pape polonais, la résistance des islamistes afghans… Le terrorisme islamiste qui a pris son essor ensuite a incarné, depuis, la guerre des civilisations : sous des formes diverses, la présence de l’islam signifiait guerre et violence, entre musulmans, à la frontière des pays où cette religion est dominante et à l’encontre des majorités ou des minorités auxquelles l’islam est confronté à l’intérieur d’un même Etat. La France a été particulièrement touchée par cette réalité qui remet en cause la politique d’immigration assimilatrice qu’elle pratiquait depuis la fin du XIXe siècle. L’oligarchie qui règne dans notre pays sous l’apparence de la démocratie a toujours voulu minimiser la question. Les intérêts électoraux des uns, économiques des autres sacrifiaient volontiers l’identité nationale dans la perspective illusoire d’un effacement des frontières et d’une fusion de l’humanité. Le mondialisme des échanges, le relativisme des idées, le cosmopolitisme des hommes étaient pour la techno-structure dirigeante en Occident des évidences qui s’imposeraient à tous y compris aux musulmans. Le populisme n’était à ses yeux qu’un mouvement stupidement rétrograde.
Paradoxalement, c’est la mondialisation qui a tué le mondialisme comme la centralisation avait tué le communisme. Le Covid-19 joue en effet ici le rôle destructeur qu’avait joué la résistance afghane à l’encontre de l’URSS : il pointe les contradictions, souligne les faiblesses cachées de ce qui apparaissait fort, et précipite les fractures. Et cette fois, l’opposition ne se situe pas entre l’islam resurgi du passé grâce au djihadisme, au pétrole, à la démographie et l’Occident, mais entre celui-ci et l’Extrême-Orient, entre le monde chinois et le Japon d’une part, les pays les plus riches et les plus développés du monde occidental, d’autre part. La pandémie est venue de Chine, ce qui n’est pas nouveau, mais elle y a été contenue, et n’a guère atteint les autres pays qui composent cette famille civilisationnelle. La discipline des comportements imposée par un régime totalitaire mais aussi volontairement acceptée dans les Etats apparemment libéraux a limité les effets de la contagion et a endigué sa propagation. Le holisme qui prévaut dans ces pays s’est montré plus efficace que l’individualisme forcené qui l’emporte chez nous. Il suffit de comparer les foules denses et masquées des immenses conurbations asiatiques au spectacle délirant que Paris a offert hier encore sur le bord de la Seine : une masse compacte de joyeux drilles se trémoussant sans distance ni protection sans penser ni aux autres, ni au lendemain, ni encore moins au pays. Ce dernier ne sort pas d’une gestion désastreuse de la crise où ont alterné l’impréparation et la pénurie, puis le confinement rigide et aveugle, puis une libération illusoire que l’on peine aujourd’hui à démentir. L’Occident se perd entre démagogie confondue avec la démocratie, et pédagogie timorée : elles ne peuvent inciter à une discipline, à un ordre légitimes et consentis dès lors que l’idéologie sourdement dominante invite à l’épanouissement individuel et sans frontière. Le visage sympathique de l’hédonisme ne peut brutalement laisser la place à la rigueur confucéenne. La décadence est souriante : elle correspond à ce bonheur de vivre dont Talleyrand parlait à propos des dernières années de l’Ancien Régime… pour les homme de son rang tout au moins. Que Paris-Plage ait lieu quand le Festival d’Avignon est supprimé, qu’on préfère dans notre pays le divertissement vain à la culture, est un signe qui ne trompe pas sur ce qu’est devenue la France. Dieu merci, Philippe de Villiers a sauvé le Puy-du-Fou !
Le Covid-19 est venu de Chine avec des travailleurs ou des touristes Chinois, comme viennent aussi les produits chinois. L’inconscience occidentale particulièrement aveugle en France a minimisé son arrivée, puis surtout a fait oublier que beaucoup des armes nécessaires pour le combattre n’étaient plus fabriquées chez nous, que nous étions même devenus incapables de les produire. Devant la pénurie, les égoïsmes nationaux se sont légitimement réveillés. Des Etats se sont souvenus que leur première mission était la protection du peuple qu’ils ont en charge. L’Europe sans frontières, le monde sans murs et avec des ponts, se sont estompés chez la plupart des dirigeants responsables. L’idée que l’individu n’a pas que des droits mais aussi des devoirs envers la collectivité qui l’a nourri devrait s’imposer à nouveau. Et cette idée n’est pas plus étrangère à Socrate qu’à Confucius, malgré leurs énormes différences par ailleurs.