Deux scrutins se déroulaient dans l’Est de l’Europe, hier. Les résultats traduisent l’impasse du continent. Les Autrichiens votaient pour le 1er tour des présidentielles. Les Serbes élisaient leurs députés. A Vienne, c’est le candidat FPÖ Norbert Hofer qui est arrivé largement en tête avec 36% des suffrages. Les deux partis qui ont monopolisé la vie politique du pays depuis l’après-guerre et sont unis pour le diriger, le SPÖ et l’ÖVP, les équivalents du PS et de LR, ont été éliminés pour le second tour où le candidat « vert » Alexander Van der Ballen(21%) sera opposé au candidat souverainiste. A Belgrade, au contraire, si le parti nationaliste revient au Parlement, si les socialistes, ex-communistes arrivent en seconde position, le Premier Ministre Vucic et son parti de centre-droit favorable à l’entrée du pays dans l’UE améliorent leur majorité avec 52% des voix.
Une évidence saute aux yeux : une nation plutôt prospère à la lisière de l’opulente Allemagne a désavoué son pouvoir pro-européen. Un pays appauvri par la dislocation de la Yougoslavie qu’il a vainement tenté d’enrayer, contre la volonté des Etats-Unis et de leurs alliés, perçoit l’intégration à l’UE comme sa planche de salut. Ce double-mouvement qui voit l’euroscepticisme se lever à l’intérieur de l’Union alors qu’elle continue à attirer des voisins en difficulté, comme l’Ukraine, la Turquie ou la Serbie et les autres pays des Balkans, est paradoxal. On semble de plus en plus mécontent d’y être et de plus en plus désireux d’y entrer. L’Autriche avait affiché le taux de chômage le plus bas d’Europe en 2014 : 4,9%. La Serbie, c’est 20%. Le vote serbe paraît donc plus justifié que celui des Autrichiens. Pourtant, cette opposition se comprend si l’on appréhende les deux sentiments qui habitent les peuples respectifs : pour les uns, l’inquiétude, pour les autres l’espoir.
L’Autriche est un petit Etat mais qui a hérité d’une identité forte à travers une histoire et une culture prodigieuses. Sa population vieillissante et relativement prospère voit avec crainte la pression migratoire. Le chômage augmente : certes, on le situe toujours entre 5 et 6%, mais si on tient compte des personnes en formation, et de celles qui sont sous-employées, il est passé de 8,7 % en Octobre 2015 à 10,6% en Janvier 2016. La concurrence des pays voisins dans l’Union, mais sans l’Euro, comme la Hongrie, celle des travailleurs européens détachés de pays où les charges sociales sont moins élevées, la pompe aspirante à l’immigration musulmane du grand voisin allemand, soulèvent d’autant plus d’angoisse que Bruxelles ne paraît ni pouvoir, ni même vouloir protéger les pays membres les plus fragiles contre ces menaces. Si la montée du chômage joue un rôle dans le vote autrichien, il est moindre que la crainte devant l’invasion migratoire. La démographie ne progresse déjà que grâce aux étrangers. Le risque d’une atteinte à l’identité s’accroît. Le gouvernement dirigé par une coalition identique à celle de l’Allemagne, mais avec un Chancelier socialiste, Werner Faymann, a pris sur la question migratoire une position beaucoup plus ferme que celle de Mme Merkel. Cela n’a pas été suffisant. Il faut dire que les Etat voisins et historiquement liés à l’Autriche de la Hongrie, de la Croatie et de la Slovénie se montrent de plus en plus hostiles au passage des migrants. On peut attendre une mobilisation antipopuliste contre Hofer. Elu, il n’aura guère de pouvoirs sauf celui de nommer les ministres issus de la majorité législative et de dissoudre la chambre. Il a logiquement promis de le faire si le gouvernement ne s’opposait pas au déferlement migratoire. En revanche, son adversaire a indiqué qu’il ne nommerait pas de ministres FPÖ, même si ce parti gagnait les élections. Ces annonces montrent que c’est bien le populiste qui est démocrate et non l’inverse, comme on veut le faire croire. (Article du Point)
La victoire du SNS d’Aleksandar Vucic en Serbie mérite d’être bien interprétée. Le Premier Ministre est certes très favorable à l’Europe, mais il a été Ministre de l’information de Milosevic. Son parti entretient des liens amicaux avec le FPÖ autrichien et Russie Unie, le parti du Président Poutine. Le SNS est d’ailleurs à l’origine une dissidence du parti radical, nationaliste, dirigé par Vojislav Seselj, lavé des accusations portées contre lui à La Haye, qui aura à nouveau des députés. (article du Monde) Vucic est pro-européen par pragmatisme. Son positionnement politique conservateur, libéral en économie, et patriote le rapproche en fait d’un Viktor Orban. L’idée d’un Eldorado européen sans frontières et rutilant de prospérité s’estompe. Le manque de volonté et de résistance de l’UE inquiète suffisamment pour réveiller les énergies nationales dans une Europe qu’on voudrait plus solidaire, même si elle abandonnait sa dérive supranationale. L’impasse européenne se situe entre ces deux désirs, celui de conserver les acquis sans perdre la souveraineté ni l’identité. Obama est venu peser sur les choix européens, le vote des Britanniques notamment, pour faciliter la vie des Américains et éloigner davantage la Russie. Il devrait renforcer le scepticisme plutôt que réveiller l’enthousiasme. Avons-nous intérêt à négocier comme un seul homme le Traité de Libre-échange avec les Etats-Unis ? Dans le Grand Echiquier, le conseiller présidentiel Brzezinski, avait prôné l’hégémonie américaine et l’isolement de la Russie. Ne faudrait-il pas au contraire que les Européens constatent la complémentarité de leur continent avec une union eurasiatique menée par la Russie ?
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