L’effondrement économique de l’Ukraine et les revers militaires de Kiev, incapable de reprendre le contrôle des provinces rebelles de l’est du pays, attisent la lutte pour le pouvoir. Les oligarques, des milliardaires qui ont bâti des fortunes immenses dans ce pays pauvre en utilisant des méthodes souvent mafieuses, sentent le vent tourner.
Le président Porochenko, « le roi du chocolat », lui-même membre du club des oligarques, est affaibli par la dégradation de la situation économique du pays et le mécontentement grandissant de la population. Il commence aussi à perdre le soutien de ses pairs.
Ces derniers jours, des renversements d’alliances spectaculaires se sont produits en Ukraine. L’un des hommes les plus riches et les plus puissants de l’Ukraine, Igor Kolomoisky, est entré en conflit ouvert avec Porochenko.
Kolomoisky a soutenu Maïdan et a levé une armée privée de plusieurs milliers d’hommes pour aider Kiev à lutter contre les provinces séparatistes de Donbass et Lougansk. Grâce à ses bons et loyaux services, Kolomoisky a été nommé gouverneur de la région de Dniepropetrovsk, important bassin industriel, et a pris les rênes d’Ukranafta, grande entreprise nationale d’extraction d’hydrocarbures. Pour compléter le tableau, Kolomoisky contrôle aussi la principale banque du pays.
Ces derniers jours, les rapports entre le puissant magnat et les autorités de Kiev ont visiblement tourné au vinaigre. A la suite du vote par le parlement ukrainien d’une loi visant à modifier l’organisation des conseils d’administration des entreprises publiques, Kolomoisky a fait occuper les locaux d’Ukranafta et de l’une de ses filiales par des hommes cagoulés et armés.
“L’Ukraine ressemble à la Russie des années 90, où un Etat faible devait composer en permanence avec un petit groupe d’oligarques puissants.”
Le 24 mars, Porochenko a limogé Igor Kolomoisky du poste de gouverneur de Dniepropetrovsk en l’accusant d’utiliser des milices privées pour promouvoir ses intérêts. Quelques heures après ce limogeage, deux hauts fonctionnaires des services ukrainiens de sécurité ont été arrêtés en plein conseil des ministres, devant les caméras de télévision. Le directeur du service d’État pour les Situations d’urgence Serguiï Botchkovski et son adjoint Vassyl Stoïetski, menottés devant les journalistes médusés, ont été accusés de corruption.
Cette démonstration de force du pouvoir ukrainien a été manifestement destinée à faire taire les rumeurs selon lesquelles les autorités de Kiev sont en train de perdre le contrôle du pays. Mais elle met aussi en lumière la structure quasi féodale du pouvoir politique en Ukraine.
D’autres oligarques, comme Rinat Akhmetov qui contrôle le secteur de l’énergie, les télécommunications et l’industrie métallurgique ou Dmytro Firtash qui règne sur l’industrie chimique, disposant souvent de véritables armées privées, continuent à jouer le rôle d’interlocuteurs incontournables pour le gouvernement de Kiev.
Aux dernières nouvelles, Igor Kolomoisky aurait retourné sa veste et manifesté son soutien aux insurgés de Donbass et Lougansk. Si d’autres oligarques suivent, l’équipe au pouvoir à Kiev est condamnée, d’autant plus que la révolte populaire grogne. Les retraites sont tombées de 200 dollars à 25 dollars par mois, la production industrielle a chuté de 10% et le PIB de 8% en 2014.
L’effort de guerre ruine le pays et les liens commerciaux et industriels avec la Russie, vitaux pour l’économie ukrainienne ont été en grande partie coupés.
Vladimir Poutine a su éliminer le pouvoir des oligarques en Russie et restaurer un Etat fort qui ne tolère pas de concurrence. Contrairement à la Russie de Poutine, l’Ukraine ressemble plutôt à la Russie des années 90, où un Etat faible devait composer en permanence avec un petit groupe d’oligarques puissants.
Un an après Maïdan, la déception est très grande pour beaucoup d’Ukrainiens. L’Ukraine reste toujours un pays très éloigné des standards démocratiques, rongé par la corruption omniprésente qui n’a fait que s’aggraver depuis le départ forcé du président Ianoukovytch. Un pays dont les ressources, comme l’écrit le journaliste russe Leonid Bershidsky, « sont pillées en permanence par un petit groupe d’hommes sans scrupules ».
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