Par Jacques Garello* :
A la fin du mois d’Août dernier je m’adressais aux candidats potentiels : « Nous ne voulons pas nous contenter de vous écouter, nous voulons que vous nous écoutiez ».
A cette heure, je n’ai pas l’impression que les idées libérales aient fait la moindre percée dans le débat électoral. J’entends au contraire des dissonances : tous protectionnistes, tous attachés au modèle social français, tous contre « les riches » et la finance.
Mais je ne désespère pas : tôt ou tard l’un des candidats se mettra en tête d’acheter les voix libérales en proposant quelques-unes des réformes de fond que nous préconisons depuis des années, et principalement en attaquant ces deux foyers d’irresponsabilité, d’inefficacité et d’insanité que sont la Sécurité Sociale et l’Education Nationale.
Pour l’instant, on n’en prend pas le chemin. Les candidats ne nous écoutent pas, mais nous sommes condamnés à les écouter, et il n’y a pas de quoi s’enthousiasmer. C’est la période du carnaval, et le défilé des chars laisse bien l’impression d’une fête sans lendemain – mieux encore annonçant le carême.
La campagne actuelle se déploie à trois niveaux : celui des hommes, celui des programmes, celui des choix de société.
Le niveau des hommes (ou des femmes) est celui qui retient toute l’attention des médias. Ce n’est pas nouveau : en France on préfère les querelles de personnes aux débats d’idées. Et c’est payant : avoir des idées et s’y tenir fait perdre des voix. Dès lors, les questions pertinentes deviennent : Hollande est-il menteur et incompétent ? Sarkozy est-il fiable et cohérent ? Marine est-elle diabolique? Bayrou est-il sérieux ? Eva est-elle saine d’esprit ? Seul Mélenchon ne laisse aucun doute: il est, le talent en plus, le clone de Georges Marchais.
A ce niveau, les arguments pour attirer le chaland sont intéressants : le dîner du Fouquet’s, la viande Hallal, l’hôtel Carlton, les oies sauvages, etc.
Visitons maintenant l’étage des programmes. Il est déjà moins bien fourni, et c’est facile à comprendre. D’une part, les programmes ne retiennent guère l’attention des électeurs puisqu’ils savent qu’ils ne seront jamais appliqués. D’autre part, les programmes ont beaucoup de choses en commun. Je me répète : la finance, les délocalisations, le chômage des jeunes, les profits des actionnaires, les paradis fiscaux : voilà les ennemis. Les candidats ont été, demeurent, et demeureront des ignorants en matière d’économie, hostiles ou sceptiques à l’égard du capitalisme marchand, et partisans de l’économie dirigée. La seule nuance concerne le degré de dirigisme : total chez les uns, important chez les autres. Nulle part il n’est projeté de rompre avec le dirigisme, qui est pourtant la cause première et unique de la crise actuelle. Mais, comme dans les années 1930 on préfère y voir une crise de l’économie libre. On a donc le choix entre Roosevelt et Léon Blum. Personne n’oserait se réclamer de Erhard, Reagan et Thatcher.
Il existe bien, dans le fouillis des discours, des bribes de programmes qui pourraient retenir l’attention d’un électeur libéral. Mais les mesures envisagées sont ambiguës, peu claires pour le commun des mortels. Il en est ainsi des accords compétitivité emploi (ACE) dont j’ai vantés quelque mérite ici même, mais que l’on assortit maintenant à tant de conditions qu’ils risquent de ne jamais être appliqués.
Alors, va-t-on atteindre enfin le niveau des choix de société ? C’est celui qui me semble prioritaire. Voulons-nous vivre dans une société de contraintes et de redistribution, niant et la sphère privée, et le droit de propriété, et le respect de la vie, ou une société de liberté, de responsabilité et de dignité de l’être humain ? Une société tribale fondée sur la lutte des classes, ou une société harmonieuse en état de droit ? Voilà à mes yeux le choix majeur, et il a été évacué, ou mal posé depuis bien longtemps dans le débat politique. Et pour cause : les convictions dérangent, et la classe politique préfère tisser des patchworks électoraux, dont chaque carré est destiné à séduire une catégorie particulière d’électeurs. Le « dogmatisme » a été rejeté de la vie publique française, on lui préfère le « pragmatisme ».
Cependant, les lignes bougent peut-être : certains semblent s’engager sur les questions dites « sociétales ». Certes elles ne contiennent pas tout le choix de société, mais elles en dérivent. En tous cas, elles sont apparues dans la campagne avec les confidences sur « les valeurs » faites par Nicolas Sarkozy et, par contraste, avec l’intention de François Hollande de remettre en cause la loi bioéthique pour permettre aux chercheurs de s’affranchir de toute barrière éthique.
François Bayrou et Marine Le Pen se classeraient ici plutôt du côté « conservateur », tandis que Jean Luc Mélenchon et Eva Joly affirment leur « laïcité » militante.
Vous aurez compris que je souhaiterais vivement que ce soit à ce niveau que l’on situe la bataille électorale dans les 56 jours à venir. Car c’est le choix de société qui devrait inspirer les programmes, et les programmes importent plus que les hommes. C’est aussi à ce niveau que la plupart des libéraux se prononceraient en dernière analyse. Alors, que les candidats veuillent bien nous écouter enfin : la crise a été morale avant d’être financière ou économique, il est temps d’en faire état, et de mettre la France à l’heure de la vérité et de la liberté.
*Jacques Garello est un économiste libéral français, professeur émérite à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III. Il est fondateur du groupe des Nouveaux Economistes en 1978 et président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) depuis 1982.
Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.
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