Une politique ne devrait se juger que sur ses moyens et ses résultats, non sur la personnalité de ceux qui la mènent. La dimension centrale et écrasante du président de la République dans le cadre du quinquennat montre que la personnalité de l’occupant de l’Elysée devient prééminente. Or, si les deux prédécesseurs pouvaient inquiéter, l’un par excès, l’autre par défaut, M. Macron doit désormais susciter plus que de l’inquiétude, une véritable angoisse pour l’avenir de notre pays, en même temps qu’un remords chez ceux qui ont participé à la faute collective de son élection. Revenant d’Israël où il avait commémoré la libération du camp d’Auschwitz, il s’est livré dans l’avion à une affligeante comparaison entre la Shoah et la guerre d’Algérie.
Ainsi, il souhaite donner à la guerre d’Algérie « le même statut que celui qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995 ». Le mot de « statut » trahit évidemment les limites du personnage. Des événements tragiques chargés de passions et de souffrances humaines sont donc réduits au mot de statut, un terme juridique, administratif, bref un moyen, un outil, un calibrage. Dans quel but ? La réponse est à double détente : ce serait pour mettre fin à un conflit mémoriel, et donc pour réconcilier les Français entre eux et avec leur passé. Mais au-delà de cette justification apparente et artificielle, apparaît le second objectif, de tactique politicienne : mettre en garde non plus, comme en 1995, contre le Front National accusé d’antisémitisme en raison des dérapages verbaux de son chef, mais cette fois contre le Rassemblement National et son opposition à la politique d’immigration.
Cette manipulation de l’histoire est intellectuellement fausse et malhonnête. Elle est politiquement perverse. Elle est fausse par ce qu’il n’y a rien de commun entre la « participation de la France à la Shoah » et la guerre d’Algérie, rien de commun entre un génocide monstrueux et cyniquement assumé par un Etat totalitaire, dont les exemples sont rares et n’égalent jamais le caractère systématique du nazisme, et les combats liés à la colonisation ou à la décolonisation, qui n’ont jamais eu pour but de détruire une population, et ont même souvent été accompagnés de progrès médicaux, sanitaires, économiques, rien de commun entre les six millions de Juifs assassinés et les deux millions d’habitants en 1830 devenus dix millions en 1960, lorsque la France a quitté ce qui était devenu l’Algérie. C’est intellectuellement malhonnête parce que les deux situations n’ont pas la même structure : en 1940-1944, la minorité juive présente en France depuis longtemps a été dissociée de la nation et abandonnée par un gouvernement non démocratique et soumis à l’étranger au point d’en devenir le complice dans une entreprise génocidaire inégalée dans l’histoire. Peu de Français y ont collaboré. Certains s’y sont opposés. La « guerre d’Algérie », au contraire, a été menée au nom de la République par un gouvernement démocratique légitime, issu d’élections. Des millions de jeunes Français y ont participé. Le but était d’abord de lutter contre une rébellion particulièrement cruelle, de préserver la présence de plus d’un million de « Pieds-Noirs » sur leur terre, et de pacifier la population en lui apportant une aide médicale, scolaire, économique, celle à laquelle contribuaient les SAS, notamment. Comme tous les pays dotés d’une façade maritime en Europe, la France a mené une entreprise coloniale qui, pour elle, n’a pas été une bonne affaire, comme l’a montré Jacques Marseille, et elle a été plus maladroite encore dans la décolonisation, dont les victimes ont d’abord été les Français d’Algérie, Pieds-Noirs, Juifs et Harkis massacrés ou contraints à l’exil. Il faudrait donc que les victimes s’excusent auprès de leurs bourreaux. Dans les deux cas, les Juifs sont parmi les victimes, mais ici, en tant qu’anciens « colons » , ce qui est d’ailleurs faux, il faudrait qu’ils soient parmi les coupables ?
La « communauté juive » demandait la réparation que le discours de Chirac lui a fournie. Il s’agissait de répondre à l’attente d’une partie des Français. Il était historiquement discutable d’engager la responsabilité de la France plutôt que celle de l’Etat français soumis à l’Allemagne, mais on pouvait y voir de la générosité, sans prendre conscience du danger mortel de la repentance injustifiée quand elle détruit une fierté nationale sans laquelle un peuple meurt. En revanche, il devient totalement pervers de prendre à son compte le discours d’un autre Etat qui a édifié un pouvoir non-démocratique sur le roman noir de la guerre d’indépendance. La colonisation n’est pas un crime contre l’humanité. Elle a, par bien des côtés, été un bienfait pour l’humanité. Que des gens d’origine algérienne nourrissent en France une vision hémiplégique de l’histoire ne facilite pas leur intégration, comme le souligne Malika Sorel. Il ne doit pas y avoir de débat mémoriel qu’il faudrait apaiser en soumettant l’Histoire de France à l’idéologie d’un autre pays pour satisfaire aux exigences infondées d’immigrés originaires de celui-ci. En 1940-1944, ce n’est pas la France qui a collaboré mais avant tout, la France d’en-haut, toujours prête à lâcher le pays pour sauvegarder ses places. N’est-ce pas encore cette même France qui est prête à sacrifier l’honneur du pays à un avantage électoral obtenu notamment auprès de ceux qui aiment le moins la France, pourtant le pays dans lequel ils ont choisi de vivre ? On ne fait pas des Français en cultivant chez les immigrés la fierté de leur autre pays et leur hostilité envers celui qui les accueille, mais en les appelant à participer à la fierté du peuple qui les reçoit.