En conférant le même « statut » à la guerre d’Algérie qu’à la Shoah, Emmanuel Macron n’a pas seulement insulté la France. Les Français en avaient pris l’habitude. Mais, au-delà du préjugé idéologique typiquement de gauche qu’il véhicule systématiquement sur la colonisation, le président-surprise a brutalement révélé ses faiblesses. Le beau parleur, amateur de concepts, a des connaissances limitées, et peut faire preuve d’inintelligence comme d’une fragilité psychologique inquiétante pour la fonction qu’il occupe. Pour avoir osé cette égalité entre deux événements aussi dissemblables, il a surtout montré qu’il ne connaissait ni l’un, ni l’autre. Non seulement il a ignoré les aspects positifs de la colonisation, les infrastructures réalisées, les gigantesques progrès de la médecine et de l’enseignement, mais il a aussi effacé la singularité de la Shoah. Non content d’avoir choqué les victimes et leurs descendants, ces Français qui ont du quitter leur terre sous la menace, en osant les mettre au même niveau que les bourreaux nazis, il a aussi banalisé l’horreur du génocide des Juifs dans l’Europe hitlérienne.
Il est surprenant qu’un homme qu’on pouvait croire intelligent et cultivé ait pu dire une pareille idiotie après avoir participé à la commémoration de la libération d’Auschwitz. Le mot de génocide ne doit pas être utilisé sans précaution. Ce néologisme a été créé par Rafaël Lemkin en 1944. Et pour lui, comme pour le procureur général français du procès de Nuremberg, l’extermination programmée des Juifs a bien été un génocide, « le crime qui consiste en la destruction des groupes nationaux, raciaux ou religieux. » La colonisation française de l’Algérie n’a en rien correspondu à ce terme. Le Général de Gaulle, qui a mis fin à la guerre d’Algérie, alors qu’elle était militairement gagnée, pensait au contraire que les spécificités de la population de ces « départements » les rendaient inassimilables à la France dont elles auraient même menacé l’identité en raison de leur croissance démographique. Les partisans de « l’intégration », comme l’ethnologue et gaulliste de la première heure Jacques Soustelle, croyaient que la fusion des deux pays était possible et n’avaient nullement l’intention de réduire les différences religieuses ou culturelles. Avec le problème à terme que pose démographiquement l’immigration musulmane, on sait maintenant qui avait vu juste.
Rafaël Lemkin, juif polonais, né en Russie tzariste, savait ce que signifiait la volonté politique, parfois planifiée, de détruire une population, physiquement, économiquement, culturellement. Le génocide dont la Shoah est devenu le « modèle » ne peut donc se limiter à des violences, voire à des massacres, souvent réciproques durant des guerres. Avant même l’instauration du nazisme en Allemagne, Lemkin, ce juriste polyglotte, s’était penché sur le « génocide » des Arméniens qui a été central dans sa réflexion car en 1921, il avait été frappé par l’assassinat à Berlin de l’un de ses organisateurs, l’ancien ministre de l’intérieur ottoman Tallaat Pacha, par l’Arménien Soghomon Telhirian. De même il a eu connaissance, en voisin, de l’holodomor, le génocide par la famine des koulaks ukrainiens dont Staline a été l’auteur en 1933-1934. La Shoah est le troisième événement du XXe siècle à correspondre à la définition qu’il formulera après coup et qui est maintenant intégrée dans le droit international, alors qu’elle ne l’était pas à Nuremberg. Or, si c’est elle qui sert de référence à ces processus heureusement assez rares, c’est parce qu’elle a revêtu des caractéristiques inégalées. La plupart des faits historiques ou contemporains qui relèvent de la même catégorie, de l’élimination des cathares albigeois ou des protestants des Cévennes, jusqu’à celle des Serbes du Kossovo ou des Assyro-Chaldéens chrétiens de la plaine de Ninive, en passant par les luttes tribales entre Hutus et Tutsis, ne réunissent pas un Etat totalitaire moderne, une armée et une police organisées méthodiquement, pour priver de tout droit, au nom d’une idéologie aux prétentions scientistes, une population sans défense, définie par une identité, ici « raciale », ni pour la réduire en esclavage avant de l’exterminer, de manière « industrielle », en accompagnant ces assassinats de masse d’un incroyable cynisme et de cruautés inimaginables, par exemple sur le plan médical. La médecine nazie, c’est celle qui a été jugée à Nuremberg dans un second procès, auquel le célèbre Mengele a échappé… sans doute parce que les condamnés étaient plus importants dans l’horreur que lui ! La médecine en Algérie, c’est Laveran, prix Nobel de médecine en 1907, pour avoir découvert le bacille du paludisme à Constantine en 1880. Une rue porte son nom en qualité de bienfaiteur de l’humanité pour ses travaux de recherche en parasitologie au quartier résidentiel de Bellevue à Constantine.
Peut-être est-ce le génocide vendéen qui, en France, est le plus proche du « modèle » ? Même volonté idéologique de la faction politique qui s’est emparée de l’Etat de détruire toute une population, même organisation méthodique. Mais ni les moyens employés, ni le territoire visé, ni les chiffres, bien sûr, ne sont équivalents à l’effarante machine à éliminer qu’avait réalisée le nazisme. Il n’est pas très intelligent d’avoir recours à la reductio ad hitlerum… Parce que toute tentative de ce genre revient aussi à réduire Hitler à beaucoup moins que lui, à banaliser la monstruosité du système et les souffrances engendrées. Mais, dans son désarroi actuel, M. Macron ne s’est pas contenté de cette « boulette », il a aussi voulu envoyer un message à la communauté juive, en croyant pouvoir souhaiter que le meurtrier de Sarah Halimi soit jugé. Sans doute a-t-il raison, mais il était bien le dernier, comme Président de la République, à pouvoir le dire, en désavouant une Justice dont il est le plus haut garant, alors que la Cour de Cassation ne s’est pas encore prononcée.