BNP Paribas : les conséquences internes d’une amende record

En mai 2015 est officialisée une sanction record à BNP Paribas pour avoir commercé en dollars pendant des années avec des pays sous embargo américain : près 9 milliards de dollars d’amende en plus de sanctions administratives aux Etats-Unis. Si les clients n’ont pas été impactés directement par ce camouflet made in USA, il n’en va pas de même du Top Management. Même si en la matière, on pourrait être tentés de pointer quelques injustices…

L’affaire est entendue : BNP Paribas a plaidé coupable en juin 2015 d’avoir réalisé en dollars des transactions pour des clients soudanais, cubains et iraniens entre 2004 et 2012, au grand dam des autorités américaines qui interdisent ce type d’échanges depuis des décennies pour certains pays « voyous ». Les montants des transactions incriminées atteignent respectivement 6,4, 1,7 et 650 millions de dollars (1). L’amende de 8,9 milliards couvre donc la totalité des montants litigieux (plus les frais), conformément à la législation américaine, qui, à la différence de la législation française ou européenne, ne tient pas compte du seul préjudice (ou dans le cas présent, des seuls bénéfices de la partie concernée). Compte tenu d’un montant qui personne n’avait anticipé, l’affaire a pris à l’époque une tournure très politique, jusqu’à obliger François Hollande à intercéder auprès du président Obama, qui opposa d’ailleurs sèchement une fin de non-recevoir. A l’époque, l’affaire est tout de même considérée suffisamment grave pour menacer l’équilibre du système bancaire européen. Si certains dénoncent un « lynchage » et une condamnation « pour l’exemple », de nombreux éléments auraient pourtant dû alerter la banque des années auparavant.

Les signes avant-coureurs

Entre 2011 et 2012, dates qui voient la pression s’accroitre considérablement sur BNP Paribas, le temps n’est pas à l’indulgence : excédée par des banques qui ont participé activement à la crise des Subprimes, l‘opinion publique américaine exige des têtes de banquiers. Tant qu’à faire, pour la justice américaine, autant qu’elles soient étrangères. Mais en tant que banque française, BNP Paribas, à l’instar de nombreuses autres banques européennes, s’est longtemps crue à l’abri des velléités de la justice américaine. Toutes ont pourtant négligé un détail crucial : réalisant certaines transactions en dollars, elles sont tenues de faire transiter ces transactions par le territoire américain pour les compensations en dollars. Toutes tombent donc à un moment sous le coup de la loi américaine, à qui le statut de monnaie internationale du dollar confère donc des formes d’extraterritorialité.

La première « victime » à faire jurisprudence en la matière est la banque néerlandaise ABN Amro, condamnée le 3 janvier 2006 à 40 millions de dollars d’amende pour « violation des embargos américains sur l’Iran et la Libye » (2). En 2012, les choses s’accélèrent. Pour des motifs similaires, la banque néerlandaise ING est condamnée cette année-là à régler une amende de 619 millions de dollars, suivies de peu par la banque britannique Standard Chartered, condamnée à 340 millions de dollars d’amende. La même année, le filet se resserre autour de la banque sino-britannique HSBC, menacée d’une amende de 1 milliards de dollars, et de la banque britannique Royal Bank of Scotland (RBS), qui fait désormais l’objet d’investigations (3).

Si ces éléments externes, mettant en difficultés des concurrents, peuvent laisser de marbre BNP Paribas, c’est pourtant en interne que les signaux d’alerte sont les plus sérieux. En août 2005, à la suite d’un contrôle interne, un responsable Compliance identifie neuf banques arabes, avec lesquels le groupe travaille directement, et qui ne réalisent que « des opérations de compensation en dollars pour des banques soudanaises. » il résume la signification de cela de manière limpide dans un courriel à sa hiérarchie, versé au dossier : « Cette pratique signifie effectivement que nous contournons l’embargo américain sur les transactions dollars » (4). On peut difficilement être plus clair. Et il faut croire que le message a été reçu puisque BNP Paribas sera également accusée in fine d’avoir « déployé d’énormes efforts pour dissimuler des transactions interdites, brouiller les pistes et tromper les autorités américaines », selon le ministre de la justice américain, Eric Holder. A vouloir jouer au plus fin avec la justice américaine, la banque risque gros, le Top Management en premier.

Le ménage interne : les sacrifiés publics

Une fois passée aux aveux, pour ne pas perdre sa licence bancaire aux Etats-Unis, ce qui aurait été synonyme d’arrêts de mort pour la banque aux USA, BNP Paribas est obligée de faire des concessions significatives aux autorités judiciaires d’Outre-Atlantique : elle a par exemple interdiction de commercer en dollars pendant un an sur certaines matières premières. Par ailleurs, elle doit installer à New-York un bureau de vérification de conformité, sous tutelle de la justice américaine. Mais les autorités américaines exigent également un certain nombre de têtes. « Au total, ce sont 45 salariés, qui ont été sanctionnés sous diverses formes : résiliation de contrat, baisse de rémunération, rétrogradation ou simple avertissement » (4).

En haut du tableau de chasse des « fusillés pour l’exemple » figure tout d’abord Georges Chodron de Courcel, alors Directeur général délégué. Il est la première figure d’importance à tomber, expressément sur demande américaine (5). En plus de ses fonctions au niveau groupe, il est Président de BNP Paribas Suisse, la filiale mise en cause dans les transactions litigieuses, aux côtés de la division BFI, pour Banque de financement et d’investissement (Corporate Investment Banking ou CIB) du groupe. Clairement désigné comme un fusible destiné à calmer les Américains (6), le numéro 3 de BNP Paribas entraine néanmoins dans sa chute le Président de BNP Paribas, Beaudouin Prot, victime collatérale de l’affaire. L’artisan, aux côtés de Michel Pébereau, du rapprochement entre BNP et Paribas, « Financier de l’Année » 2006, « Stratège de l’année 2009 » selon La Tribune, « Meilleur dirigeant bancaire européen 2010 » selon la revue Institutional Investors, et « patron le plus performant » d’après Challenges en 2012, est éclaboussé au premier chef par le scandale, sachant qu’il était Directeur général sur la période considérée. Suspecté de délit d’initié dans une autre affaire (7), ce ténor de la place bancaire parisienne « tire sa révérence dans un silence assourdissant » fin 2014 (8), remplacé à son poste par Jean Lemierre.

Deuxième tête exigée par les Américains : Vivien Levy-Garboua, ex- « Senior Advisor » de BNP-Paribas (9), auparavant en charge de veiller à la conformité des réglementations lors des opérations de la banque Amérique du Nord. Il est remercié en même temps que Christopher Marks, responsable des activités de marché sur les titres de dette, Dominique Remy, responsable mondial des financements structurés pour la division CIB et enfin Stephen Strombelline, successeur de Vivien Levy-Garboua en Amérique du Nord (9).

Les innocents proclamés et… les rescapés

Plus bas dans l’organigramme, Jean-Laurent Bonnafé, directeur général depuis 2011 et resté seul aux commandes ou presque, réorganise le staff en faisant monter aux plus hautes responsabilités une génération de « quinquas » (10). Mais c’est précisément à cette occasion qu’apparaissent, ou réapparaissent, certains profils étonnamment passés entre les gouttes. C’est le cas tout d’abord de Philippe Bordenave, actuellement unique Directeur général délégué, un poste qu’il occupe depuis 2011 (le troisième DGD de BNP Paribas, François Villeroy de Galhau (11), a quitté BNP Paribas pour devenir président de la Banque de France). Ce polytechnicien passé par l’ENA n’a jamais été inquiété par l’affaire américaine, mais il a occupé tout de même le poste de Directeur financier du groupe BNP Paribas de 2000 à 2011, ce qui laisse tout de même supposer une connaissance poussée des pratiques de sa banque.

Juste en dessous dans la hiérarchie, Alain Papiasse conserve son poste de directeur général adjoint, responsable de la Banque de financement et d’investissement, mais il a senti le souffle du boulet selon l’AGEFI (12): « Alain Papiasse peut également sembler en première ligne en tant que patron de la BFI, mais il exerce ses fonctions depuis 2009 seulement, après avoir échangé son poste de responsable du pôle investment solutions (gestion d’actifs, assurance…) avec Jacques d’Estais, ancien numéro un… de la BFI ». Récemment nommé à la tête de la BFI et donc a priori hors de cause, Alain Papiasse et son parcours mettent en effet en lumière une autre figure de l’organigramme : Jacques Tenaille d’Estais. Actuel directeur général adjoint, Jacques Tenaille d’Estais n’est quasiment jamais mentionné, même en marge de l’affaire. Or, entre décembre 2005 et décembre 2009, Jacques Tenaille d’Estais est responsable de la Banque de Financement et d’Investissement (BFI ou CIB), principale division mise en cause par les autorités américaines. La rumeur veut de plus que Jacques Tenaille d’Estais ait perdu son poste à la BFI en raison des mauvais résultats des années 2008 et 2009, avec 2 milliards d’euros de perte sur les activités de marché (13). Sa « promotion » au sein de l’état-major réduit de BNP Paribas a dès lors de quoi surprendre, sachant qu’il est nommé DGD en 2011 et récupère plusieurs portefeuilles à l’occasion. Mais il n’est pas le seul profil à faire preuve de furtivité dans cette affaire. Philippe Blavier, précédent responsable de la BFI, n’est pas plus inquiété, de même que Michel Konczaty ancien responsable mondial des financements structurés et membre du Comex de la BFI.

Même silence gêné du côté des principaux fautifs : la filiale suisse de BNP Paribas, autre mise en cause, a vu partir son président, mais les différents directeurs généraux ne sont pas inquiétés, de Gérard Lohier, à Louis Bazire puis Pascal Boris, en poste de 2007 à 2013. D’autres responsables doivent peut-être même leur poste à l’administration américaine elle-même. Le JDD note ainsi qu’Henri Quitard, responsable de la « sécurité financière » « fait figure de rescapé. En poste depuis dix ans, Henri Quintard est chargé de vérifier que les transactions n’enfreignent pas les règles internationales d’embargo, de blanchiment et de financement du terrorisme. Il est l’un des premiers responsables mais n’a pas été sanctionné. “Pourquoi les Américains acceptent-ils maintenant qu’il soit basé sur leur sol?”, s’interroge un spécialiste de l’intelligence économique dans les banques. Avant de tenter une explication : « Ils ont évoqué un salarié de BNP qui les avait aidés en les alertant. » (14) De quoi rassurer sur la volonté de coopération de BNP Paribas avec les Etats-Unis, mais l’ambiance interne doit être plutôt fraîche.

Si l’intention américaine était bien de faire comprendre à son opinion publique que « ce ne sont pas les banques qui sont responsables, mais bien les banquiers », il semblerait que cette philosophie ne soit pas réellement partagée de ce côté de l’Atlantique, où l’establishment financier français et suisse semble encore très protégé. Et si même le cousinage de Georges Chodron de Courcel avec une ancienne première Dame n’a pu lui éviter un passage sous les fourches caudines de la « justice BNP Paribas », on serait en droit de se demander ce que certains ont bien pu faire pour sauvegarder leur place.

(1) http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/05/01/la-bnp-paribas-formellement-condamnee-a-une-amende-record-aux-etats-unis_4626207_3234.html
(2) http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/12/10/standard-chartered-payera-327-millions-de-dollars-de-plus-aux-etats-unis_1804297_3234.html
(3) http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/08/23/l-offensive-americaine-contre-les-transactions-illegales-des-banques-en-iran-s-accentue_1749030_3234.html
(4) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/06/30/la-bnp-devra-regler-8-834-milliards-de-dollars-d-amende-aux-etats-unis_4448280_3222.html
(5) http://www.challenges.fr/entreprise/20140612.CHA4995/bnp-paribas-un-haut-responsable-mis-en-cause-quitte-son-poste.html
(6) http://www.lopinion.fr/6-juin-2014/georges-chodron-courcel-fusible-bnp-paribas-13095
(7) https://deontofi.com/delit-dinitie-des-ventes-dactions-bnp-paribas-occultees-par-baudoin-prot/
(8) http://www.challenges.fr/entreprise/20141128.CHA0895/bnp-paribas-prot-s-en-va-bonnafe-respire.html
(9) http://www.lefigaro.fr/societes/2014/06/12/20005-20140612ARTFIG00177-bnp-paribas-un-haut-dirigeant-quitte-son-poste.php
(10) http://www.lesechos.fr/28/09/2014/lesechos.fr/0203813181307_une-nouvelle-equipe-dirigeante-se-met-en-place-chez-bnp-paribas.htm?texte=vivien%20levy%20garboua
(11) http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/021312228514-banque-de-france-francois-villeroy-de-galhau-prend-de-lavance-1153489.php
(12) http://www.agefi.fr/articles/les-tetes-commencent-a-tomber-chez-bnp-paribas-1323030.html
(13) http://www.20minutes.fr/economie/567161-20090218-economie-bnp-paribas-depart-du-responsable-de-la-banque-de-financement
(14) http://www.lejdd.fr/Economie/Entreprises/L-avenir-incertain-de-Baudouin-Prot-president-de-BNP-Paribas-679540

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4 Comments

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  • 0 / 10
  • Bainville , 28 janvier 2016 @ 10 h 00 min

    Pourquoi Goldman Sachs qui a falsifié les comptes publics de la Grèce et donc porté un lourd préjudice aux finances européennes,n’est elle pas mise en cause?

    L’Europe de Bruxelles est un nain politique vis à vis des USA prédateurs. Sa lâcheté servile est un boulet pour les nations européennes.

    Cette Commission de tyranneaux sans morale est très forte pour demander des comptes aux pays courageux et honorables comme la Hongrie et la Pologne.

    Mais exiger les milliards d’Euros perdus en faisant rendre gorge à Goldman Sachs sous peine d’interdiction bancaire en Europe, cela est impensable pour les valets de l’étouffante colonisation américaine.

    La concrétisation en douce du Traité TAFTA, sans consultation des peuples bafoués, sera l’étape suivante du renoncement servile face au gouvernement de BIldelberg te de la Trilatérale.

    Nos régimes ont les valeurs de la honte, à la fois morale et économique.

  • champar , 28 janvier 2016 @ 10 h 13 min

    “Si les clients n’ont pas été impactés” ???

    Vous n’êtes pas client de la BNP !

    Il y a baisse des prestations et les différents frais augmentent au gré des réorganisations de clientèle (regroupement des filiales par exemple) : un exemple parmi d’autres en regroupant Cortal et Hello Bank, les frais de garde des titres ont été multipliés par 4 et il n’y a plus de correspondant individuel.

  • jpr , 28 janvier 2016 @ 10 h 32 min

    Jusqu’à quand allons-nous accepter d’être à plat ventre devant les maîtres américains ?

  • Bainville , 28 janvier 2016 @ 12 h 35 min

    Allez chez Bourse Direct et vous n’aurez pas de frais du tout.Leur site est bien fait et un correspondant direct est inutile pour la plupart des décisions.

    AXA Banque est aussi quasiment gratuit.

    La lucidité politique ou l’exigence morale face aux fausses valeurs assénées par les politiciens, n’exclut pas la débrouillardise en choisissant les entreprises adaptées et efficaces

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