Eric Zemmour : les habits usés de l’Empereur

L’ouvrage d’Eric Zemmour, “Le suicide français”, relu avant publication par Philippe Martel, directeur de cabinet de Marine Le Pen et ami de l’auteur, fait un tabac (comme dirait Marisol Touraine). On entend d’autant plus le polémiste que ses adversaires se taisent par mépris condescendant, ou s’en tiennent aux antiennes éculées qui passent, comme par hasard, à côté du fond de son discours. Le polémiste s’étonne d’ailleurs de ce silence : « On me reproche de faire ‘mon cirque à la télévision’, sauf que les passages importants de mon livre sont étrangement passés sous silence. » (Figarovox le 7 novembre 2014). Risquons-nous à examiner le corpus zemmourien.

1) ERREURS FACTUELLES

Commençons tout simplement par les erreurs qui parsèment les oeuvres ou les dires du polémiste. On en trouve dans les citations souvent approximatives, dans les statistiques remaniées ou, pire, dans les faits historiques ou d’actualité.

ERREURS DANS LES CITATIONS

«’Dépose humblement tes colliers Sicambre ! Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré !’ De ce récit écrit plusieurs siècles après l’événement par Hincmar (…) » (Mélancolie française, 2010). Ce récit est dû en fait à Grégoire de Tours dans l’Histoire des Francs (II, 31) et le début doit être traduit: « Baisse humblement le cou, Sicambre… »

« Pascal en son temps écrivait déjà : Je crains que ce que l’on appelle la nature ne soit qu’une somme d’habitudes, et que l’habitude soit une seconde nature. » (Le premier sexe, 2006). Pascal écrivait plutôt ceci : « J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. »

« Charles Quint disait : Paris est dans mon Gand » (Mélancolie française, 2010). La citation attribuée à Charles Quint est en fait: «Je mettrais Paris dans mon Gand».

« Napoléon avait prévenu les Français : Dans ce monde, il n’y a que deux alternatives : commander ou obéir. » (Mélancolie française, 2010). L’officier Bonaparte avait dit: « Dans le monde, il n’y a qu’une alternative : commander ou obéir. On prétend que, pour bien savoir commander, il a fallu d’abord bien savoir obéir. Quelle erreur ! Je n’ai jamais obéi, moi, j’ai toujours commandé ».

« Comme disait Napoléon : Dieu est du côté des gros bataillons ». (RTL, 3 décembre 2010). Cette citation est attribuée d’abord à Frédéric II de Prusse. C’est une adaptation de Tacite (Histoires, livre IV chapitre XVII) : Deos fortioribus adesse. « Les dieux sont aux côté des plus forts. »

« Mais il y avait en lui [Napoléon] du prophète génial – « poète de l’action », comme l’avait surnommé Chateaubriand, qui pressentait, parfois, l’avenir. » (Mélancolie française, 2010). En réalité Chateaubriand a écrit: « De la réunion de ces remarques, il résulte que Bonaparte était un poète en action. »

« L’exemple des Américains nous indiquait clairement la voie à suivre; l’ascendant maritime insensiblement se déplaçait. Nous reprenions courage ; l’ennemi, au contraire, perdait peu à peu la foi qu’il avait eue jusqu’alors dans la puissance des armes, écrit Julien de La Gravière... en 1814 ». (Mélancolie française, 2010). Cette citation d’un article paru dans le tome 73 de La Revue des Deux Mondes date de 1886.

« Le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles, avait dit de façon prémonitoire l’auteur anglais Chesterton. » (Mélancolie française, 2010). La citation exacte est: « The modern world is full of the old Christian virtues gone mad. » (Chesterton. Orthodoxy) soit « Le monde moderne est plein des vieilles vertus chrétiennes devenues folles »

« Du superbe ‘Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte’, la postérité n’a retenu que la célèbre phrase de Karl Marx, et encore tronquée : « Les hommes font leur propre histoire. Mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font. » (Mélancolie française, 2010). En fait, Karl Marx écrit : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. »

“Bien creusé, la taupe” est attribué à Karl Marx. En fait, c’est dans « Hamlet » de Shakespeare que l’on trouve cette déclaration: « Bien dit, vieille taupe ! Tu travailles à ton aise sous terre ?». Marx dans « Le 18 brumaire de Louis Bonaparte », attribue à la Révolution l’habileté de la taupe shakespearienne : « Tu as bien creusé, vieille taupe ! ». (« Petit frère », 2008, réitéré le 1er novembre 2011 sur RTL).

Notre polémiste affirme citer Winston Churchill: « Les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes ». (Sur Facebook, le 8 juin 2013). En fait c’est une citation de Huey Long, un gouverneur démagogue et farfelu de la Louisiane en 1935: “When Fascism comes to America, it will be called anti-Fascism!”.

« Il y a au moins 400 000 clandestins en France. C’est les chiffres publics. Le président algérien parle de 350 000 clandestins algériens seulement. » (iTélé, septembre 2007). Ce chiffre a bien été donné, mais par l’ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet (El Watan, 11 juin 2007).

ERREURS DANS LES STATISTIQUES

Dans son interview au Corriere della Sera le 30 octobre 2014, il affirme: « Ou bien  qu’après la guerre, 5 ou 6 millions d’Allemands auraient abandonné l’Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles ? » En fait, ces Allemands ont été expulsés (ils n’ont pas « abandonné ») et ils étaient au nombre de 12,5 millions (dont 7,5 chassés de Pologne, 2,5 de Tchécoslovaquie)

«En octobre dernier, l’Insee a noté qu’il y avait 5 millions d’étrangers en France et que leurs enfants de moins de quatre ans représentent 7 millions. » (RTL, le 30 novembre 2012). Hélas, en 2013, il n’y avait que 4 millions d’enfants de moins de 4 ans en tout, Français et étrangers. Plus grave, Zemmour mélange les notions d’étranger et d’immigré et ne différencie pas selon la civilisation d’origine. D’après l’INSEE, en 2008, les individus nés à l’étranger étaient 5,3 millions (dont extra-européens: 3,3 millions) sur 64,4 millions d’habitants. Auxquels il convient d’ajouter 6,7 millions de personnes dont au moins un parent est né à l’étranger (dont 4,1 millions d’extra-européens). Autrement dit, il y avait en 2008, 3,3 + 4,1 = 7,4 millions de personnes extra-européennes ou ayant au moins un parent extra-européen soit 11,5 % de la population totale. Ce qui est déjà beaucoup même si, parmi ces individus extra-européens, il faut compter de nombreux non musulmans: subsahariens ou moyen-orientaux chrétiens, bouddhistes, hindouistes, etc…

« La proportion de musulmans dans les prisons françaises est selon une statistique du ministère de la justice, entre 70 et 80%. Il y a eu un papier là dessus dans l’Express de 2004 » (L’Express du 11 mars 2010). Dans l’article cité, le pourcentage ne s’applique qu’aux prisons proches des ghettos extra-européens: « La proportion de détenus musulmans (…)  oscille entre 50% et 80% dans les établissements proches des quartiers sensibles ». (Farhad Khosrokhavar dans l’Express du 16 mars 2004). En fait, selon le rapport du député Larrivé publié en octobre 2014: «Alors qu’environ 60 % de la population carcérale en France, c’est-à-dire 40.000 détenus, peuvent être considérés comme de culture ou de religion musulmane, la radicalisation islamiste est aujourd’hui susceptible de concerner plusieurs centaines de détenus.»

« Personne ne notait (ou ne voulait noter) que ce dernier chiffre franco-français (taux de fécondité 1,70) n’était pas si éloigné des chiffres désastreux de nos voisins européens (1,75 en Suède, 1,74 en Grande-Bretagne, 1,37 en Allemagne, 1,33 en Italie, 1,32 en Espagne). » (Mélancolie française, 2010). Sauf qu’il compare le taux de fécondité des Françaises de souche (1,70) non pas au taux des nationaux de souche de ces autres pays mais à leurs taux globaux qui sont d’ailleurs très bas. En fait, il y a une spécificité française de notre taux élevé, y compris chez les Français de souche, que nos démographes expliquent par la conjonction du grand nombre de crèches, des enfants confiés jeunes aux nounous, de la tolérance aux naissances hors-mariage, du quotient familial et des allocations. De plus, l’homme français participe davantage aux tâches ménagères que l’homme espagnol ou italien. Paradoxalement, c’est l’approche féministe (combattue par Zemmour) de la démographie française qui explique ce succès pour notre pays.

Le 13 octobre 2014, interviewé par Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV, Éric Zemmour assène: « Vous savez qu’aujourd’hui, un tiers des mariages sont avec des étrangers qui deviennent français — 90 000 sur 270 000 si mes chiffres sont exacts. » En fait, il a compté les mariages célébrés à l’étranger comme faisant partie des 270 000 mariages annuels, alors qu’ils s’y ajoutent, pour aboutir à 90 000 mariages mixtes sur 315 000 mariages au total, soit 28,5 % et non 33,3%.

ERREURS DANS L’HISTOIRE ET L’ACTUALITÉ

Zemmour affirme: « L’Empire, c’est la paix. Près de quatre siècles sans guerre, ce territoire conquis par Jules César ne connaîtra plus jamais une période si longue de paix. » En fait, entre 52 avant notre ère (Alésia) et la première invasion germaniques (les Alamans), il s’est passé 265 ans, un peu plus de deux siècles et demi. Sans parler des deux grandes révoltes gauloises de 21 (Sacrovir) et 61 (Vindex).

A la question: « Voyez-vous un précédent au suicide que vous décrivez ? », Zemmour répond dans « Présent » le 9 octobre 2014: « La chute de l’Empire romain. Il y a, au cœur du suicide français, une haine de soi très caractéristique. Les Romains n’ont peut-être pas ressenti cela – c’est difficile à savoir – mais ils apparaissent emplis d’une lassitude de soi. La grande bourgeoisie romaine, particulièrement, s’est comme laissé massacrer par les barbares. Elle était lasse d’elle-même, comme le préfet de Lutèce dans Astérix et La Serpe d’or: ‘Je suis las, las, las’. Les Romains de la fin sont passifs. Nous aussi. C’est cela que j’appelle suicide». Or la classe dirigeante romaine, qui n’était pas une bourgeoisie, n’a pas été éliminée par les soi-disant barbares déjà romanisés depuis près de deux siècles. Elle a fusionné avec les aristocraties germaniques pour produire la noblesse féodale. Notre polémiste aurait dû consulter l’historiographie immense sur le sujet de la dite « chute de l’Empire romain », concept lui-même tout à fait criticable.

« Clovis (…) s’installa dans ce palais de la Cité qu’avait habité l’un des derniers grands empereurs romains du IVe siècle, Julien l’Apostat, au cœur de sa chère Lutèce où ses soldats l’avaient hissé sur le pavois impérial. » (Mélancolie française, 2010). Il ne s’agit pas du palais de la Cité mais du palais des Thermes. Le palais de la Cité ne sera occupé qu’à partir des Capétiens.

« La France rêvée a cherché pendant mille ans à retrouver ses frontières gauloises décrites par Jules César. Elle serait donc l’hexagone, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne rhénane, une partie importante de l’Italie du Nord (Piémont, Gênes, etc). C’est l’Empire de 1810, et vous le remarquerez, à la Hollande près, cette Europe des 6 où nous nous sentions si bien. et pour cause : c’était la France ». (L’Express, le 11 mars 2010). Mais la Gaule ne comprenait pas l’Italie du Nord. En revanche, elle englobait la Suisse. En fait la Gaule ne recouvrait que 40% de la superficie des 6 Etats fondateurs du Marché commun!

« (…) après la claque de Guillaume de Nogaret. » (Mélancolie française, 2010). Alors que lors de l’attentat d’Agnani contre le pape Boniface VIII en 1303, c’était Sciarra Colonna le giffleur.

« Dans une pièce de théâtre sans doute écrite par Richelieu (…) opportunément exhumée par Jean-Christian Petitfils dans sa dernière livraison sur le roi Louis XIII (…), Ibère se tourne alors vers Germanique au casque à deux aigles, qui refuse elle aussi de se laisser duper, lui préférant le brave Francion parce qu’il est : ‘Sans intérêt, sans orgueil, sans malice’. » (Mélancolie française, 2010). Or, Ibère ne courtise pas Germanique, car Germanique est un homme, le conseiller d’Ibère. En réalité, c’est Austrasie qu’Ibère entreprend de conquérir et c’est elle qui dit de Francion qu’il est ‘sans intérêt, sans orgueil, sans malice ‘.

Éric Zemmour rappellant l’échec de la candidature de François Ier au Saint Empire en 1519 parle d’une exception. C’est exact, formellement. Mais l’idée impériale exaltait les derniers Valois et les premiers Bourbons comme le montre l’historien Alexandre Yali Haran dans ‘Le Lys et le Globe’. De Philippe le Hardi à Louis XIV en passant par Charles VIII, nos rois rêvaient de ceindre la Couronne impériale, pour concrétiser leur conception romano-impériale.

« Lorsque Pierre le Grand découvre Paris, en 1718, dans un voyage conté par Saint-Simon comme celui de l’ogre aux bottes de sept lieues de son contemporain Perrault (…). Puis le géant russe se rend sur la tombe de Richelieu, et s’écrie : ‘Grand homme, je t’aurais donné la moitié de mon empire pour apprendre de toi à gouverner l’autre’. » (Mélancolie française, 2010). Le voyage n’a pas eu lieu en 1718 mais en 1717. En outre, la citation n’est pas extraite de Saint-Simon mais de Philippe Auguste de Saint-Foix, chevalier d’Arcq, dans ses « Lettres d’Osman » (1753) : « Ô grand homme, je te donnerai la moitié de mes Etats, pour apprendre de toi à régner sur l’autre ». Enfin c’est Voltaire qui relate le cri du tsar (Les Anecdotes sur le czar Pierre le Grand, 1748): «Grand ministre, dit-il, que n’es-tu né de mon temps! je te donnerais la moitié de mon empire pour m’apprendre à gouverner l’autre. »

Zemmour nous dit dans « Le Suicide français » : « La France a toujours souffert d’un manque chronique d’investisseurs à long terme, car l’épargne abondante préfère l’immobilier à l’entreprise. Quand l’État ne soutient plus ce capitalisme sans capitaux, c’est la France qui est désarmée. » Cette vision des choses est erronée pour l’Ancien Régime. Sous Louis XIV, la France manquait de capitaux pour se développer, mais c’est parce qu’elle n’avait toujours pas libéré les campagnes du système de droits d’usage au profit d’un vrai droit de propriété privée, et que d’autre part les capitaux s’ionvestissaient dans l’achat de charges royales. Les manufactures de Colbert fondées avec l’argent que l’Etat récupérait en vendant des charges et en percevant des impôts n’ont jamais permis le décollage industriel et commercial de la France. Il suffit de voir les résultats obtenus à la même époque par les Pays-Bas ou par l’Angleterre.

« Le grand historien d’avant guerre Louis Madelin exhibait comme preuve de la perfidie britannique et de la faiblesse coupable de Talleyrand cette lettre de Castlereagh à son ministre des Affaires étrangères Liverpool » (Mélancolie française, 2010). Mais la lettre de Castlereagh n’est pas adressée à Liverpool mais à Wellington, ministre des Affaires étrangères.

« Il justifie le choix paradoxal du bleu, couleur mariale pacifique comme emblème capétien ». (Mélancolie française, 2010). En fait, au Moyen Âge, la branche des « Capétiens directs » (987 – 1328) sort au moment des sacres et des batailles sa bannière pourpre, « Montjoye Saint-Denis ». Le bleu devient une couleur royale sous la branche des Valois (1328 – 1589). Quant aux Bourbons (1589 – 1848), leur couleur fétiche est le blanc.

« Tout ceux qui lui (Talleyrand) succèderont au Quai d’Orsay admireront le diable boîteux. » (Mélancolie française, 2010). Mais l’immeuble du Quai d’Orsay date de 1855, 17 ans après la mort de Talleyrand.

Dans « Mélancolie française » (2010), Zemmour prétend que Wallons et Flamands n’avaient connu de destin commun que sous Charlemagne et sous la courte domination française, oubliant les périodes bourguignonne, espagnole, autrichienne et néerlandaise, soit presque toute l’histoire de la Belgique.

« Les Etats-Unis, eux-mêmes, sont passés, près d’un demi-siècle après leur indépendance, par une guerre meurtrière pour que le Nord impose au Sud la victoire du président Lincoln » (RTL, 3 décembre 2010). L’Indépendance des Etats-Unis remonte à 1776 et la Guerre de Sécession à 1861, soit presque un siècle après.

Sur Fr2, dans « On n’est pas couché », le 13 décembre 2008, à l’affirmation de Jacques Attali: « L’immigration n’a absolument rien à voir avec la crise, Éric Zemmour rétorque: « Bien sûr que si […] Marx l’explique très bien ». Or Marx n’a jamais parlé de l’immigration dans ses oeuvres.

« Et si ces hommes héroïques [les soldats français de 1914], des ‘lions conduits par des ânes’, disaient, admiratifs, les Allemands, avaient été avant tout furieux qu’on les arrêtât juste au moment où ils sentaient la victoire proche ? » (Mélancolie française, 2010). Ce sont en réalité les soldats français de 1870 que les Prussiens désignèrent comme des ‘lions conduits par des ânes’.

D’après Zemmour, « sous l’Ancien Régime, c’est le droit du sol, sous la Révolution le droit du sang, puis en 1889 à nouveau le droit du sol » (iTélé, Ca se Dispute, le 11 avril 2009). Ce raccourci est erroné. Droit du sol (depuis 1515) et droit du sang (depuis 1576) coexistaient sous l’Ancien Régime. Sous la Révolution, le droit du sang est limité pour les enfants de Français qui naissent à l’étranger afin d’écarter les descendants des émigrés monarchistes. Le code civil de Napoléon (contre l’avis de ce dernier) réaffirme pleinement le droit du sang ( Article 10 du Code civil: « Tout enfant né d’un Français en pays étranger est Français » et esquisse un droit du sol timide dans l’Article 9: « Tout individu né en France d’un étranger, pourra, dans l’année qui suivra l’époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français, pourvu que, dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d’y fixer son domicile, et que, dans le cas où il résiderait en pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile, et qu’il l’y établisse dans l’année, à compter de l’acte de soumission. » C’est en 1889 qu’une modification de l’article 9 élargit le droit du sol, sans remettre en cause le droit du sang.

« Henry Kissinger compara les traités de Vienne en 1815 et de Versailles en 1918 ». (Mélancolie française, 2010). Désolé, le Traité de Versailles a été signé le 28 juin 1919.

« Sacco et Vanzetti, vous savez que maintenant on sait que c’étaient des types des services secrets russes. C’est pour vous que je dis ça. C’est la vraie histoire : c’est les archives du KGB qui sont maintenant ouvertes » (Fr2, « On n’est pas couché », le 9 février 2008). Zemmour confond Sacco et Vanzetti (anarchistes, innocents, exécutés en 1927 et absous en 1977) avec les époux Ethel et Julius Rosenberg, condamnés à mort pour espionnage soviétique et exécutés en 1953.

« Gramsci, ce révolutionnaire du XIXe siècle… ». (Mélancolie française, 2010). Antonio Gramsci, né en 1891, a agi et écrit au XXe siècle.

Dans « Le Suicide français », on lit avec stupéfaction: « De Gaulle est un enfant de Maurras et de Péguy, » Il est vrai que l’affiliation maurassienne du Général est un lieu commun de l’inculture contemporaine. Si le général de Gaulle avait lu avec intérêt Barrès (Mitterrand aussi), il cite surtout Péguy, l’anti-Maurras par excellence. Dans les années trente, les catholiques engagés en politique se divisaient en trois mouvances : l’Action Française de Maurras à l’extrême droite, le Parti Démocrate Populaire de Bidault au centre, le Parti de la Jeune République de Sangnier et les hebdomadaires « Sept » puis « Temps Présent » à gauche. Or, Charles de Gaulle avait adhéré avant-guerre au cercle des “Amis de Temps Présent”, aux antipodes de l’Action Française.

« Les services secrets américains avaient généreusement financé l’action de pères de l’Europe, l’Italien de Gasperi, le Hollandais Spaak ». (Mélancolie française, 2010). Paul-Henri Spaak était bien sûr un premier ministre belge.

« On est passé de la tolérance compassionnelle à un droit acquis qu’on veut toujours développer davantage : un mélange de tentation bureaucratique, de fureur égalitariste et de l’idéologie féministe qui pense toujours, comme Simone de Beauvoir, que la maternité est incompatible avec l’émancipation féminine ». (RTL, mercredi 3 février 2010). Simone de Beauvoir ne proposait pas aux femmes de renoncer à la maternité, mais prônait une « maternité libre ».

« Pendant un siècle, ce furent Voltaire, Zola ou Sartre qui (…) conduisirent les révoltes de l’opinion contre l’injustice » (RTL, 3 décembre 2010). Un siècle long de plus de deux cents ans.

Plus grave, Zemmour réécrit l’histoire de la fin de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971. Il présente cette décision comme fruit du complot américain visant à imposer leurs déficits jumeaux et les changes flottants. Or si les Américains n’ont pas nos contraintes en matière de déficits, c’est non pas parce que les changes sont flottants, mais parce que le dollar est la monnaie véhiculaire du commerce international. L’abandon du système mis en place en 1944 (Bretton Woods) fut une déchirante révision pour les Américains. Cette remise en cause a pris cinq ans avec deux dévaluations du dollar en décembre 1971 et février 1973, avant de recourir aux changes flottants en 1976. En réalité, les changes flottants ne favorisent pas plus les Etats-Unis que l’Europe !

« Pierre Bourdieu : vous savez, cet intellectuel d’extrême gauche qui dénonçait, à la fin des années 70, l’école de la République comme l’école des héritiers. Pour Bourdieu, la culture générale, le français, l’histoire-géo, le latin, le grec, n’étaient qu’un cache-sexe pour dissimuler et légitimer la reproduction de la domination de la bourgeoisie.» (RTL, mardi 5 janvier 2009). Précisons que « Les Héritiers » datent de 1964, et « La Reproduction » de 1970.

« En 1972, Georges Pompidou laissa entrer l’Angleterre et, à sa suite, les pays de l’ALENA. » (Mélancolie française, 2010). Dans « Mélancolie française » (2010), Eric Zemmour se trompe en écrivant A.L.E.N.A. (Accord de libre-échange nord-américain) pour parler de la riposte britannique des années 1960 à la C.E.E. : l’A.E.L.E. (Association européenne de libre-échange).

Dans « Le Suicide français », notre auteur affiche sa nostalgie: « C’est cette Histoire-là qu’on enseigna aux enfants jusqu’à la fin des années 1960 ; cette Histoire-là que la nouvelle historiographie autour de François Furet abattit peu à peu au nom des droits de l’homme et de l’individu, et de l’hostilité au nationalisme. » En fait, dans son ouvrage, « Penser la Révolution française », publié en 1978, Furet redécouvrait les travaux d’Augustin Cochin, plutôt contre-révolutionnaire, et relevait les prémices de la Terreur dès 1789. Dans sa synthèse « La Révolution, 1770-1880 », il montre les continuités entre l’Ancien Régime et la Révolution. Autrement dit, Furet remettait justement en cause la doxa « républicaniste » et droitdel’hommiste.

Dans « Le Coup d’État des juges » (1997), il parle des juges qui engagent les poursuites alors que ce sont les procureurs.

Éric Zemmour se trompe sur le titre de l’ouvrage de Patrick Buisson qu’il intitule « L’érotisme sous Vichy » et qui se nomme en réalité « 1940 – 1945, années érotiques » (2008 et 2009).

Geert Wilders, leader du PVV néerlandais, est décrit comme “un homosexuel revendiqué, loin de toute bigoterie“. Mais Geert Wilders n’est pas homosexuel. Il a confondu Geert Wilders et Pim Fortuyn, ancien leader néerlandais homosexuel, assassiné pour des idées certes proches de celles de Wilders. (RTL, le 6 octobre 2010)

Dans sa chronique du 27 novembre 2014 sur RTL, on l’entend proclamer: « Le pape dit droits de l’homme (…), mais il ne dit pas avortement, euthanasie, mariage homosexuel. » Or aux députés européens, François a bel et bien parlé de l’euthanasie et de l’avortement : « L’être humain risque d’être réduit à un simple engrenage d’un mécanisme qui le traite à la manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que – nous le remarquons malheureusement souvent – lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme, elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître. »

Toujours dans cette chronique, Eric Zemmour, sans doute distrait, déclare: « Le pape François parle des racines de l’Europe, mais ne précise jamais qu’elles sont chrétiennes. » Or si François n’utilise pas la formule « racines chrétiennes », il évoque la pensée européenne que « le christianisme a profondément pétrie ». Il insiste: « J’estime fondamental le patrimoine que le christianisme a laissé dans le passé (…) et qu’il veut donner aujourd’hui et dans l’avenir. » Le pape affirme aussi qu’ « une histoire bimillénaire lie l’Europe et le christianisme ».
 

Encore dans cette chronique, le polémiste dénonce: « Le pape est en train de transformer l’Eglise en une simple ONG. » Or dans sa première homélie papale en mers 2013, le pape François affirme : « Mais si nous ne confessons pas Jésus Christ, rien ne va. Nous deviendrions une ONG compatissante mais non l’Église, l’Épouse du Seigneur ».

2) ERREURS CONCEPTUELLES ET IDEOLOGIQUES

Plus graves sont les erreurs conceptuelles qui dessinent une vision de l’histoire de France sans doute romantique mais à cent lieues des réalités.

VICHY

On ne reviendra pas sur les assertions de Zemmour sur Vichy protecteur des Juifs. Citons simplement Charles Pasqua, un ami à lui, qui est monté au créneau: « Si monsieur Zemmour pense que Pétain a protégé les juifs de France […], c’est qu’il ne connaît rien à la réalité des choses. » (Europe 1, le 12 octobre 2014). Ajoutons que dans l’Italie fasciste, seuls 15% des Juifs ont été assassinés contre 25% dans la France soi-disant « philosémite » de Vichy. Chapeau l’artiste ! Vichy a fonctionné comme un déflecteur (un détail aussi dirai-je…) qui détourne de porter la critique sur l’interprétation farfelue de l’histoire française, trame essentielle ses ouvrages.

HENRI IV ET LA LAICITE

Notre auteur fait un contresens complet sur la « laïcité ». Dans « Mélancolie française » on lit: «Henri IV annonce la séparation de la religion et de l’État. La règle d’or était fixée : la religion doit s’incliner devant le politique; le sacré doit céder le pas devant la paix civile. Une invention inouïe : la loi de Dieu doit se soumettre à la loi des hommes. […] La France, d’instinct, retrouvait ses vieux réflexes romains d’avant le christianisme, qui acceptaient tous les dieux des peuples conquis à condition qu’ils respectassent l’autorité de Rome et de son empereur. […] A cette époque où se constituaient les États modernes, on n’imaginait pas encore sortir de l’épure unitaire, ‘une foi, une loi, un roi’. Lorsque Louis XIV abolira l’édit de Nantes (1685), il s’alignera sur le reste de l’Europe. C’en était fini – provisoirement – de l’exception française».

Or, l’Édit de Nantes, loin d’être une préfiguration de la laïcité à la française, fut simplement un «traité de paix» entre deux milices religieuses. Établir une filiation entre l’Édit de Nantes, qui tente d’apaiser deux camps chrétiens ayant tous deux la prétention de régir l’espace public, et la laïcité, qui nie la légitimité de la religion à s’exprimer dans ce même espace public, est assez curieux. En fait, Éric Zemmour ne perçoit pas que la « laïcité » (encore une exception française) fonctionne comme le cache-sexe rhétorique d’un antichristianisme militant. Parlant de l’Université « laïque », René Viviani, futur Président du Conseil, ne déclarait-il pas en 1906 : « On vous parle de neutralité scolaire, mais il est temps de dire que la neutralité scolaire n’a jamais été qu’un mensonge diplomatique et une tartuferie de circonstance. Nous l’invoquions pour endormir les scrupuleux et les timorés, mais, maintenant, il ne s’agit plus de cela, jouons franc-jeu. Nous n’avons jamais eu d’autre dessein que de faire une Université antireligieuse, et antireligieuse d’une façon active, militante, belliqueuse. »

LA REVOLUTION

La conception zemmourienne de la Révolution française vaut le détour: « À mon sens, il y a un fil rouge de l’histoire de la France et de l’Europe depuis la Révolution de 1789: les élites n’ont jamais digéré la souveraineté populaire. L’Europe a été le moyen de s’en débarrasser. » (Entretien avec Alain Minc le 3 octobre 2014 dans le Figaro). On en déduit qu’avant 1789, la souveraineté populaire était respectée par les monarques et qu’après, les élections au suffrage universel n’ont lieu que contraintes et forcées pour nos élites pourtant par ailleurs élues ! De quoi déclencher un fou rire général de tous les historiens et politologues dûment diplômés. Tout cela relèverait d’une extrême confusion mentale, si ce n’est que notre polémiste est coincé entre son attachement populiste à une démocratie essentialisée (souveraineté du peuple) et son constat que le peuple ne vote que rarement comme il le voudrait.

MAI 68

“Mai 68 aura été à la République gaullienne ce que 1789 fut à la monarchie capétienne : le grand dissolvant”. Cette assertion dans « Le suicide français » est intéressante car Zemmour fait la même erreur s’agissant des deux événements. Le nombrilisme français a conduit de nombreux historiens et politiques à deux erreurs manifestes sur la Révolution. Celle-ci aurait été d’une part décisive (il y a un avant et un après) dans l’histoire mondiale et d’autre part aurait été « un bloc » comme disait Clémenceau, alors qu’elle resta dans ce qu’on peut nommer la continuité « romano-impériale » bien franco-française (Saint-Just: « Il ne nous manque pour être Romains que la haine et l’expulsion des rois ») et qu’elle vit s’affronter de nombreuses tendances politiques antagonistes. S’agissant du soi-disant caractère décisif, comment expliquer que la plupart des autres Etats Européens sont parvenus à se démocratiser le long de XIXe siècle sans révolution.

La même double erreur est faite sur Mai 68. Car, de la même manière, sans Mai 68 chez eux, les autres pays « développés » ont abouti aux mêmes évolutions (et parfois dérives) que la France (et c’est plutôt en France qu’il y a le plus de résistances à ces dérives). S’agissant du caractère univoque (le bloc), l’historiographie récente et sereine, détachée de la propagande pro ou anti Mai 68, a établi que cet événement était le fruit de tendances contradictoires. Ce qui n’empêche pas Zemmour, dans « Causeur » du 6 novembre 2014, à la question: est-ce que Mai 68 est un bloc? de répondre: « Oui! C’est un bloc. Et je suis volontairement caricatural pour bloquer toute discussion. » Curieuse conception du débat démocratique de vouloir bloquer toute discussion! Ainsi, par exemple, il n’y a rien de plus antinomiques que les militants gauchistes et les « baba-cools » éleveurs de chèvres, tous soixante-huitards pourtant. « Il est hors de question de déduire un mouvement tel que Mai d’un principe unique, l’entreprise serait évidemment absurde » écrit Gilles Lipovetsky dans la revue « Pouvoirs » (n°39, 1986).

Faire dériver de Mai 68 les tropismes sociétaux, économiques et politiques dévastateurs actuels est une douce plaisanterie. La plupart (certes pas tous) des inspirateurs de Mai 68 étaient les meilleurs analystes et contempteurs de ces dérives qui pointaient déjà, oh combien! Citons les situationnistes avec Guy Debord et son manifeste « La Société du Spectacle », l’Ecole de Francfort avec Herbert Marcuse et « L’homme unidimensionnel » ou le groupe « Socialisme ou Barbarie » avec Claude Lefort. Ce n’est pas un hasard si plusieurs des meilleurs critiques de l’état actuel des choses soient d’anciens soixante-huitards: le taciturne Alain Finkielkraut, le pessimiste Philippe Muray, le sociologue Jean-Pierre Le Goff, l’anti-individualiste Gilles Lipovetsky, le philosophe Marcel Gauchet et l’hédoniste Michel Onfray dont sa déconstruction de la théorie du genre vaut le détour. Ajoutons Marie-Josèphe Bonnet, qui a milité au Mouvement de libération de la femme (MLF), au Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) puis aux Gouines rouges. Elle a récemment publié « Adieu les rebelles ! », brillant pamphlet contre le mariage homosexuel et la dérive du mouvement homosexuel.

Ajoutons que l’écologie politique, qui a pris son essor dans la foulée de Mai 68, est certes souvent sociétalement libertaire, mais aussi violemment opposée à la financiarisation mondialiste et au productivisme que Zemmour dit être promus par les élites soixante-huitardes. Comme il n’est pas à une incohérence près, notre dissident en chef déclarait le 31 octobre 2014 dans “Ca se dispute” sur iTélé: “Les revendications philosophiques des opposants au projet de Sivens ne sont pas illégitimes”, se rangeant délibérément dans le camp du naturalisme écologiste typiquement « soixante-huitard », selon lui.

Irène Théry, directrice d’étude à l’EHESS, auteur de « La Distinction de sexe, une nouvelle approche de l’égalité » (2007), le rappelle : « Si Mai 68 a produit des effets pervers, ce ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. (…) En réalité, tous les indicateurs démographiques de l’époque – natalité, fécondité, nuptialité… – s’infléchissent à partir de 1964. Si bien que Mai 68 n’est pas la cause mais l’expression d’un changement de mœurs dans la société. Les bouleversements majeurs que l’on a coutume de lui imputer – la libération sexuelle, la place nouvelle de la femme dans la société – seraient donc survenus même si la révolution étudiante n’avait pas eu lieu, bien que celle-ci ait sans nul doute servi d’accélérateur. »

Marcel Gauchet, de son côté, écrit dans Marianne le 18 mars 2014: « Nous mesurons mal l’ampleur de la rupture culturelle qui s’est produite au cours des dernières décennies dans nos sociétés. (…) La «génération 68» a été le symptôme de cette rupture, elle en a été le vecteur bien inconscient. Cela ne veut pas dire que c’est à cause d’elle que cela s’est produit. Elle a mis en action un changement qui la dépassait de beaucoup et dont rétrospectivement elle se culpabilise sans doute un peu. »

Edgar Morin, dans la revue « Pouvoirs » (n°39, 1986) insiste: « Je rappelle que l’individualisme qui nous frappe aujourd’hui est antérieur à Mai 68. Mai 68, je le répète, est à la fois communautaire et libertaire. (…) Dès lors, l’individualisme hédoniste des années 75-85 est plus la conséquence de l’échec ou du collapse des mythes de Mai 68 que le moteur secret de ces mythes ».

En fait, c’est ce qu’il convient d’appeler le nietzschéisme de gauche, avec Gilles Deleuze, Félix Guattari et Michel Foucault, qui se fera, dans la foulée de Mai 68, le thuriféraire des dérives sociétales que nous connaissons. Dans « La révolution moléculaire », en 1977, Félix Guattari écrit que « la lutte révolutionnaire […] doit donc se développer à tous les niveaux de l’économie désirante qui sont contaminés par le capitalisme (au niveau de l’individu, du couple, de la famille, de l’école, du groupe militant, de la folie, des prisons, de l’homosexualité) ». Par « lutte révolutionnaire », il faut bien-sûr entendre: « destruction de tous les repères ».

LE ROCK AND ROLL

Des analyses boulimiques de notre polémiste sur le phénomène culturel comme symbole du déclin, nous ne tirerons que cette charge contre la pop music. « Michel Clouscard (…) avait annoncé que les rythmes simplifiés du rock and roll seraient une initiation aux contraintes et rigueurs de la modernité capitaliste ». Rythmes simplifiés? Il en est resté à Elvis Presley. Il est vrai que l’idéologue léniniste Clouscard avait pontifié: « C’est le rythme du capitalisme : le rock. Le rythme sans le swing est l’essence temporelle de ce capitalisme. Il est l’expression corporelle de “l’aliénation de l’homme”. La marque du rythme répétitif, saccadé, fébrile, de la machine. La répétition égoïste et sécurisante du Même. La volonté de consommer sans rien produire. Et refus de l’échange, du partage. »(Michel Clouscard, Le Capitalisme de la Séduction, 1981). Le style pompeux et apocalyptique cachait mal l’inculture de l’apprenti musicologue communiste.

LA FEMINISATION

Dans une conférence à Béziers le 16 octobre 2014, Zemmour explique: « Regardez un seul épisode d’Hélène et les garçons, il n’y a que des filles. (…) En vingt ans, on a basculé dans un autre monde où les garçons sont devenus des filles. » Pas de chance: en 1999, à l’issue de plusieurs mois de recherches et de rencontres avec des adolescents, la sociologue Dominique Pasquier écrivait dans son ouvrage « La culture des sentiments: l’expérience télévisuelle des adolescentes » que cette série « réaffirme les différences de rôles selon les sexes. Dans ‘Hélène et les Garçons’, la division des rôles hommes-femmes est extrêmement traditionnelle. Le linge, la couture, la cuisine sont des domaines féminins (…). Les garçons, eux, réparent les robinets qui fuient, circulent en moto, et protègent les filles des dangers extérieurs. A chacun son rôle. »

Pour Zemmour, le féminisme tient une place centrale dans l’évolution sociétale puisqu’il est responsable à la fois de la fin du patriarcat, de la fin de la famille, de la fin de la virilité, de la féminisation de la France, et même du développement de la société de consommation et de la financiarisation de l’économie. Les pères d’avant « contenaient les pulsions consommatrices » tandis que les femmes, elles, sont des agents du consumérisme et donc de l’ultra-libéralisme ! L’outrance du propos déconsidère son auteur et empêche de mettre en lumière un vrai processus d’emprise de l’imago féminine à notre époque.

Gérard Mendel, dans « La révolte contre le père » (1968), avait déjà pointé ce phénomène bien antérieur à Mai 68 en donnant comme exemples le naturalisme nazi et l’oeuvre de Michel Foucault. Gérard Mendel, fondateur de la sociopsychanalyse, voyait la cause de la féminisation dans le rejet de l’idéal technologique rationnel (masculin) qui renvoie au fantasme du meurtre du père. Ce rejet du père s’accompagne d’une pression sociale de plus en plus génératrice de satisfactions narcissiques régressives. L’affaiblissement de l’Etat (bien antérieur à l’UE ou à la mondialisation) vient de son incapacité à résister à l’étreinte de la société civile.

Trente-quatre ans plus tard, dans « Une histoire de l’autorité. Permanences et variations » (2002), Gérard Mendel explique qu’aujourd’hui, principalement sous la poussée du capitalisme, la société patriarcale se délite à son tour et qu’il n’y a plus de mécanisme pour apprivoiser efficacement nos terreurs, nous montrer nos limites et nous armer pour affronter le réel sans sombrer dans la dépression, la toxicomanie ou la régression tribale. Une autorité devenue inconsistante, primitive, assure forcément moins de régulation sociale, économique et politique que la loi du père « sévère mais juste ». On voit à quel point nous sommes très loin des fantasmes sexuels et des contre-sens anthropologiques de notre polémiste médiatique.

En fait, les soi-disant acquis sociétaux (mariage homosexuel, euthanasie, GPA, droits des animaux) sont révélateurs de l’emprise des affects et des émotions sur l’instance rationnelle et répressive (le monopole de la violence légitime), donc masculine, qu’est l’Etat. L’écologie politique traduit cela par le culte de la mère Nature ou de Gaïa. Il est évident que la féminisation de la société, la prégnance des valeurs féminines, n’implique pas du tout un pouvoir accru des femmes.

Zemmour nous sert des généralisations à l’emporte-pièce. Il écrit dans « Le suicide français » que « le divorce par consentement mutuel est un mythe ». Or, c’est le divorce par volonté commune qui est relativement rare. Il confond la volonté et le consentement qui, lui, indique que l’on accepte, sans forcément vouloir.

Le plaisir de faire un bon mot cache souvent la stupidité du propos. Toujours dans « Le suicide français », on peut lire: « il n’y a pas de grossesse non désirée même s’il y a des grossesses non voulues ». Mais une femme violée par exemple n’a pas voulu et donc ne désire pas sa grossesse. En la matière, vouloir et désirer sont rigoureusement synonymes.

Notre dissident nous explique que le marché préfère les femmes (la divorcée de moins de quarante ans serait le consommateur parfait). « Il faut détruire la virilité en l’homme pour que naisse et prospère sa pulsion consommatrice ». (Le Suicide Français). «Le meilleur consommateur est une femme ou un gay ». (Madame Figaro du 15 avril 2006). Il n’a visiblement jamais regardé les publicités pour les voitures, qui sont des monuments de « machisme ».

L’AVORTEMENT

Son analyse sur l’avortement fait bondir tout démographe qui se respecte. « 200.000 avortements par an, chiffre constant depuis la loi Veil en 1975, il y a trente-cinq ans, cela fait 7 millions de personnes. Si on ajoute mécaniquement ces 7 millions, la population française serait passée de 65 à 72 millions d’habitants, c’est-à-dire plus très loin de l’Allemagne et de ses 80 millions d’habitants. (…) Je voudrais vous faire réfléchir sur l’influence de ce mini-baby-boom sur la croissance économique et le poids politique de la France. » (RTL, le 3 février 2014). Or l’Allemagne, par exemple, qui a une natalité dramatiquement faible, a un taux d’avortements également faible (14,4 contre 21,4 en France). En fait, le nombre d’avortements légaux concurrence non pas le nombre de naissances, mais remplace le nombre d’avortements clandestins et l’usage des moyens de contraceptions. En effet, nulle part le nombre d’avortements augmente avec la légalisation. Pour en rester à la France, le nombre a au contraire diminué. De 300.000 en 1974 (clandestins) il baisse à 250.000 (légaux) dans la décennie suivante pour aboutir à l’étiage actuel de 200.000. Autrement dit il n’y aurait pas aujourd’hui 7 millions de Français en plus, mais il y aurait eu 7 millions d’avortements clandestins, de coïts interrompus, de prise de pilule, de pose de stérilets, qui n’auraient rien changé au nombre de naissances.

L’HOMOSEXUALITE ET LES CLASSES SOCIALES

Pour Zemmour, l’homme contemporain a cessé d’être viril. Dans la classe supérieure, il valorise et désire les mannequins au corps asexué. L’homme du peuple est moqué car il demeure viril et hétérosexuel. Or, selon un sondage IFOP en mars 2011, si les catégories socio-professionnelles supérieures et les cadres moyens sont légèrement plus représentées, chez les homos (par exemple, 24% des homos se classent dans les catégories supérieures, contre 21% des hétéros), la différence n’est pas assez notable pour être significative. Même constat sur le différentiel zone rurale/zone urbaine: 26% des hétérosexuels vivent en zone urbaine et 24% chez les homosexuels.

LA VIRILITE ALLOGENE

Dans un entretien chez Bourdin le 13 octobre 2014, Zemmour nous apprend que: « la désespérance sexuelle des hommes jeunes et blancs face à leurs concurrents noirs et arabes (…) La virilité est valorisée dans les familles africaines et arabo-musulmanes. Les hommes blancs, eux, sont symboliquement castrés”. Nous sommes là en plein fantasme. La misère sexuelle chez les peuples musulmans est connue de tous les ethnopsychiatres. Le fait de mépriser les femmes, de les enfermer, de les recouvrir, représente une frustration dramatique chez les deux sexes d’ailleurs, frustration qui alimente les défaillances masculines (éjaculation précoce, impuissance, etc…) et les pratiques homosexuelles. Anecdote significatives: le « viril » assassin Chérif Kouachi avait sur son ordinateur des « photos de petits enfants, filles et garçons où on les voit se faire violer, en tous sens » (Le Canard Enchaîné du 14 janvier 2015). Un pédophile comme son prophète!

LE RACIALISME

Zemmour a déclaré sur Arte le 13 novembre 2008 dans l’émission Paris/Berlin : « J’ai le sentiment qu’à la sacralisation des races de la période nazie et précédente a succédé la négation des races. Et c’est d’après moi aussi ridicule l’une que l’autre. Qu’est-ce que ça veut dire que ça n’existe pas ? On voit bien que ça existe ! (On le reconnaît) ben à la couleur de peau tout bêtement. » En faisant fi des découvertes sur le génome humain depuis plus de vingt ans, notre polémiste réaffirme son appartenance à l’intelligentsia française qui a toujours ignoré avec superbe les acquis scientifiques, notamment en anthropologie. Bornons nous à citer Axel Kahn, qui le 3 septembre 2001 au Forum de l’Unesco à Durban, déclarait: « Certes les races humaines n’existent pas au sens où l’on parle de races animales distinctes. Tous les hommes sont en fait d’une grande homogénéité génétique car leur ancêtre commun est jeune au regard de l’évolution de la vie; il a vécu il y a au plus 200 000 ans en Afrique.

Tous les continents semblent avoir été peuplés à partir d’une population dont des groupes auraient quitte l’Afrique il y a environ 70 00 ans. La couleur de la peau, qui joue un rôle si important dans les préjugés racistes, ne reflète pas tant une divergence génétique, qu’un phénomène de brunissement progressif de l’épiderme à mesure que l’on va du Nord vers l’équateur.

Il y a plus de diversités génétiques, en moyenne, au sein des individus d’une ethnie particulière qu’entre deux ethnies différentes, fussent-elles apparemment si dissemblables que le sont des populations scandinaves ou mélanésiennes. »

En fait Zemmour appelle « race », ce que les généticiens appellent « phénotype », c’est-à-dire l’apparence physique. Celle-ci est en grande partie indépendante du « génotype », autrement dit de l’ascendance. Prenons deux exemples qui ont stupéfié les anthropologues. Plusieurs ethnies de « race noire » du Tchad et du Cameroun possèdent la même lignée génétique masculine (haplogroupe R1b) que 70% des Européens occidentaux masculins. De même, les hommes finlandais et baltes ont le même haplogroupe masculin (N1c) que les peuples de « race  jaune » de Sibérie.

L’ETATISME

Sur le plan économique, Zemmour ne peut qu’illustrer son incompétence. il parle d’un article de loi adopté en 1973 qui interdit à l’Etat de se refinancer gratuitement auprès de la Banque de France pour y déceler les prémisses de la fin du colbertisme et du rôle de l’Etat. Il stigmatise un complot des banquiers, alors qu’il s’agit d’une mesure de bonne gestion financière, qui évite les facilités de la planche à billets qui dispensent d’engager les réformes indispensables.

Notre polémiste dit également dans « Le Suicide français »: « L’État n’est plus qu’une coquille vide qui n’a conservé que ses pires travers gaulliens (l’arrogance des élites), sans en avoir la remarquable efficacité. Il faudrait la poigne d’un Colbert ou d’un Pompidou pour que notre industrie perdue renaisse de ses cendres. » Pour lui, seul l’Etat est capable de créer une industrie. Le mot « entrepreneur » n’apparaît d’ailleurs qu’une fois dans tout le livre: « Les Français n’ont jamais aimé l’industrie, en dépit de grands et brillants entrepreneurs, tels Louis Renault ou André Citroën».

« À l’Élysée, le président Pompidou convoquait encore les patrons des grandes entreprises françaises pour leur dicter les stratégies industrielles de leurs groupes. » (Le Suicide français). Zemmour, qui ne connaît rien à l’entreprise en bon intellectuel bobo, continue à prétendre que l’Etat a baissé les bras en France, oubliant qu’il y 57% de prélèvements obligatoires, qu’il y a proportionnellement plus de fonctionnaires qu’ailleurs et que le Code du travail pèse autant que la Bible.

Georges Marchais est qualifié de « Dernier des gaullistes » dans « Le suicide français »: « Marchais tente une nouvelle fois, dans la veine colberto-gaulliste, d’utiliser l’État pour contenir les tentations internationalistes du patronat français qui conduiront à cette hémorragie de l’industrie française dont Giscard, trente ans plus tard, avouera n’avoir pas deviné la portée. Les communistes, eux, ont bien compris que l’Europe faisait le lien entre l’otanisation de la France et la contreréforme libérale. » Curieusement, il ne lui vient pas à l’idée que le « colberto-gaullisme » a quelque chose à voir avec le modèle économique léniniste et avec son inefficacité. Quant au lien supposé entre l’OTAN et l’ultra-libéralisme, pourquoi pas ajouter aussi le lien avec Internet, les réseaux sociaux, les portables et les nanotechnologies, bref les progrès technologiques dont il bénéficie.

Il est vrai que notre dissident fait sa profession de foi marxiste : « Pourtant, la grille de lecture marxiste n’a jamais été aussi efficiente qu’en cette fin des années 1970 où un nouveau capitalisme mondialisé apparaît lentement dans les brumes de la fin des Trente Glorieuses et des crises du pétrole. Conformément aux intuitions de Marx, le capitalisme a entamé un nouveau cycle révolutionnaire – afin de rétablir une meilleure rentabilité du capital – qui passe par une contre-réforme sociale destinée à limiter et rogner les « acquis des travailleurs » depuis la Libération, sur fond de financiarisation et d’internationalisation des productions et des marchés » (Le suicide français). Même les économistes marxistes d’aujourd’hui ne se permettent plus de telles fantaisies dans l’analyse. Rajoutons-en une louche: « Là aussi, là encore, la grille de lecture marxiste donnait aux communistes l’intelligence de ce qui se passait sous leurs yeux. » On se demande pourquoi les communistes européens si intelligents ont rendu leur tablier (à l’est et à l’ouest) il y a plus de vingt ans.

Guillaume Faye, dans son blog, le 11 décembre 2014, s’insurge contre l’interprétation étatiste de Zemmour: « Le déclin français ne provient pas du capitalisme (anémique) ou du consumérisme individualiste débridé, mais, au contraire, de l’égalitarisme, du réglementarisme, du fiscalisme, de la fuite des entrepreneurs, de la sclérose de l’État Providence pachydermique. L’égalitarisme anti-sélectif qui ronge la société française, de l’Éducation nationale à la législation économique (discriminations positives, etc), est totalement incompatible avec toutes les valeurs du capitalisme libéral (je préférerais le terme ”entrepreneurial”) fondé sur les valeurs de méritocratie sélective, de hiérarchie naturelle, de compétition, de circulation des élites. »

ROME ET CARTHAGE

La grille de lecture géopolitique de Mackinder opposant Rome et Carthage, est inopérante de nos jours. Pourtant Zemmour affecte de retrouver Carthage dans l’Angleterre, ce qui peut se concevoir, puis dans les États-Unis: «la nouvelle Carthage américaine prenait le relais» (Mélancolie française). Or, l’héritage romain est clairement et légitimement revendiqué par l’Amérique. Nouvelle République impériale, nouvelle démocratie militaire ayant à cœur d’assurer dans le monde entier la sécurité de ses citoyens, nouvelle puissance civilisatrice unifiant le monde avec sa langue, sa culture et ses valeurs, l’Amérique est incontestablement, à bien des égards, la nouvelle Rome triomphante et non une simple Carthage commerçante. Puissance maritime certes, mais aussi et surtout puissance continentale en Amérique (doctrine Monroe).

LES EMPIRES

Éric Zemmour constate dans « Mélancolie française » que « les puissances à l’échelle mondiale (États-Unis, Chine, Russie, Inde) sont toutes d’anciens empires multinationaux transformés en nations pachydermiques par un État niveleur (même aux États-Unis, depuis le New Deal) et une propagande patriotique intensive : le modèle que la France a inventé, et n’a pu mener à son terme». Notre apprenti historien semble utiliser le concept d’Empire dans son sens le plus trivial d’Etat régnant sur une grande superficie et ayant une fringale d’extension. Or un Empire au sens politologique, c’est un Etat fondé sur une communauté de civilisation. En ce sens, la Chine confucéenne et l’Inde hindouiste sont encore aujourd’hui des Empires, comme pourrait l’être une « Europe Puissance ». En revanche La Russie et les Etats-Unis sont des Etats nations acceptant une certaine autonomie des ethnies autochtones (Amérindiens et Tatars, Bouriates, Daghestanais, etc…). Leur superficie qusi continentale n’en fait pas des Empires.

L’EUROPE

Notre polémiste porte cette appréciation étonnante sur la construction européenne: « L’Europe n’est alors plus un but en soi, mais une première étape sur le chemin grandiose de l’unité mondiale. » Le projet européen, promu essentiellement par la social-démocratie et la démocratie chrétienne n’est absolument pas un projet « internationaliste » ou globaliste. Zemmour confond le marxisme-léninisme et le culte marial qui influera sur le choix du drapeau européen.

LA MONDIALISATION

Sur RMC, le 9 octobre 2014, à une question d’Eric Brunet, le polémiste répond : « Laurence Parisot est l’exemple même de l’idéologie libérale-libertaire. C’est-à-dire : pas de frontières pour les capitaux et les marchandises, et surtout : le grand marché mondial pour permettre à une petite élite de s’enrichir toujours plus. (…) Un ami m’a dit : tu ne devrais pas dire que tu es marxiste; tu es marxien. Il est vrai que Karl Marx a fait l’analyse du capitalisme mondialisé la plus intelligente qui ait jamais été écrite. » Quand on pense à l’adulation quasi mystique de beaucoup de droitistes libéraux ou catho-tradis pour un polémiste disciple d’un penseur athée et étatiste, il y a de quoi rester perplexe. Parlons donc des soi-disant élites mondialisées.

Dans « Le Suicide français », Zemmour affirme: « Nos élites économiques trahissent les intérêts de la France au nom de la mondialisation et de la nécessaire internationalisation ». La notion de mondialisation est un fourre-tout délibérément confus. Selon le sociologue Michael Hartmann (Le Monde diplomatique, août 2012): « Le constat s’impose : la « classe globale » au sens où l’entendent ses théoriciens, une sorte d’aristocratie apatride et transhumante qui gouvernerait le monde entre deux avions, n’existe pas. Il n’y a guère que parmi les membres externes des conseils de surveillance, mobiles par définition, que s’est formé un réseau transnational digne de ce nom. Mais celui-ci n’a aucune incidence sur les PDG et les cadres dirigeants, qui demeurent solidement arrimés au territoire où siège leur entreprise et mènent leur carrière en fonction de stratégies dictées localement. » Selon une enquête menée sur le parcours professionnel des principaux dirigeants d’entreprise des huit principales puissances économiques mondiales (Chine, Japon, Etats-Unis, Allemagne, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne), Michael Hartmann montre que “les principales entreprises sont plus que jamais dirigées par des nationaux”. Seules 5 % d’entre elles sont gouvernées par des étrangers, qu’elles soient multinationales ou non.

Anne Catherine Wagner (« Les nouvelles élites de la mondialisation », 1998) indique que plus des quatre cinquièmes des grands entrepreneurs n’ont jamais vécu dans un pays étranger. Elle explique que les managers internationaux ne forment pas une “internationale des dirigeants”, homogène sur le plan de ses intérêts comme de ses pratiques.

Zemmour prétend qu’à l’ère de la mondialisation, les Etats n’ont plus aucun pouvoir. Il faudrait nous expliquer pourquoi il n’y a jamais eu autant d’Etats qu’aujourd’hui. En 1945, 51 pays ont fondé l’ONU qui compte aujourd’hui 193 Etats. Et l’on voit des minorités significatives au Québec, en Catalogne et en Ecosse qui militent et votent pour créer leur Etat. En fait, il n’y a jamais eu autant de frontières!

Il critique beaucoup la mondialisation, sans jamais définir ce terme. En réalité, le Monde a connu plusieurs « mondialisations » globales comme aujourd’hui ou « régionales » comme les Empire romain ou macédonien. L’Europe d’Ancien Régime a connu une « mondialisation » culturelle sous hégémonie française. Toutes les aristocraties et dynasties européennes se mariaient entre elles et parlaient Français comme seconde ou même première langue. Charles Quint par exemple avait le français comme langue maternelle et se sentait français tout autant que son adversaire François 1er. La constitution de cette hyperclasse oligarchique européenne n’empêchait pas les guerres incessantes, ni la réalité des Etats-nations.

3) LA CONCEPTION ROMANO-IMPERIALE

Notre troll médiatique se réclame d’une conception gaulliste et bonapartiste qui n’est que la traduction moderne de la conception romano-impériale, fil rouge de l’histoire de notre pays: « Je me reconnais dans une sorte de gaullo-bonapartisme. » (L’Express, le 11 mars 2010).

Il n’y a que trois Etats à s’être donnés une vocation universaliste. La Russie comme héritière de l’Empire byzantin puis comme patrie du prolétariat international, les Etats-Unis comme « verus Israel » calviniste, et, ce que Zemmour a raison de rappeler, la France comme héritière de l’Empire romain d’Occident. Chronologiquement, la France est la première puissance à se concevoir comme universaliste. Dès 1190, Philippe Auguste remplace son titre de rex Francorum (roi des Francs) par celui de rex Franciae (roi de France) et se fait qualifier d’Auguste par son biographe officiel en 1204. Ce qui compte est désormais plus le territoire « impérial » que l’ethnie, le sol plus que le sang. Le légiste Jean de Blanot, dans le « Libellus super titulo Institutionum de actionibus », publié en 1256, déclare : « Le roi de France est empereur en son royaume, car il ne se reconnaît pas de supérieur en matière temporelle.» La France, Etat qui a précédé une Nation créée au forceps par la négation des ethnies, cas unique en Europe, se voit comme microcosme de l’Humanité entière.

Cette prétention fut confortée par une hégémonie démographique incontestable en Europe jusqu’au XIXe siècle et par la suprématie de la culture et de la langue françaises auprès des élites mondialisées de l’époque, à savoir l’aristocratie européenne totalement cosmopolite. Outre-Atlantique, le président Thomas Jefferson pouvait dire sans rire: « Chaque homme de culture a deux patries: la sienne et la France ». Dans un de ses grands discours, en décembre 1965, André Malraux s’exclamait: « Il y a des pays qui ne sont jamais plus grands que lorsqu’ils tentent de l’être pour tous les autres : la France des Croisades et de la Révolution. Sur bien des routes de l’Orient, il y a des tombes de chevaliers français. Sous bien des champs de l’Europe occidentale, il y a des corps de soldats de l’an II. »

Admirateur inconditionnel de Napoléon Bonaparte, Zemmour oublie (ou le sait-il?) de rappeler l’opinion que le jeune noble corse se faisait des Français. Dans ses lettres de 1788 à 1791 à ses proches en Corse, Bonaparte, élève officier à Auxonne, affiche son mépris des colonisateurs français. « Féroces et lâches, les Français joignent […] aux vices des Germains ceux des Gaulois» ; ils constituent « le peuple le plus hideux qui ait jamais existé ». « Continuerons-nous à baiser la main insolente qui nous opprime ? Continuerons-nous à voir tous les emplois que la nature nous destinait occupés par des étrangers?» « Les Français ! Avons-nous assez souffert de leurs vexations? […] Qu’ils redescendent au mépris qu’ils méritent ».

Les principes géopolitiques isonomiques (tout se vaut, rien ne transcende l’Etat conçu comme une fin en soi) induits par cette idéologie universaliste postulent que les intérêts supposés de l’Etat priment tout, y compris les convictions ou l’appartenance civilisationnelle. La France durant la Guerre de Trente-Ans choisira le camps protestant pour « abaisser la Maison des Habsbourgs ». Péché mineur en regard des conséquences gravissimes de cette politique anti-autrichienne pour l’Europe balkanique. Lors des deux coups d’arrêt contre l’invasion de la racaille turque (Vienne en 1539 et Lépante en 1571), la France sera non seulement absente des coalitions européennes, mais soutiendra la Turquie djihadiste. Cette véritable trahison française de la civilisation européenne chrétienne face aux Ottomans leur a livré pour trois siècles les Balkans.

L’incapacité de Zemmour à comprendre les rapports de force géopolitique en terme de civilisation l’amène à de curieuses interprétations des événements du siècle précédent. Pour lui, la seconde guerre mondiale n’est pas un combat de civilisation. « La Seconde Guerre mondiale n’est que la suite de la Première » dit-il dans l’émission « Les grandes questions » sur France 5 le 6 novembre 2014. Alors que le général de Gaulle a toujours analysé cette guerre correctement: « L’élément moral qui lie entre eux tous les peuples opprimés ou menacés de l’être, c’est la volonté commune d’assurer la victoire d’une civilisation fondée sur la liberté, la dignité et la sécurité des hommes contre un système dont le principe même est l’abolition des droits de l’individu » (discours radiophonique à la BBC le 2 octobre 1941).

Son adhésion à la politique extérieure gaullienne l’empêche de pointer du doigt l’arabophilie géopolitique du général et de plusieurs de ses successeurs. Car, croire qu’en livrant l’Algérie  aux partisans FLN du panarabisme permettrait de contrer l’influence anglo-saxonne sur le monde dit « arabe » a conduit à un retentissant échec. Le pouvoir algérien est demeuré complètement hostile à l’ancien colonisateur et l’engouement des « masses arabes », notamment palestiniennes, pour notre pays est demeuré platonique et sans effet concret. En revanche, cette attitude servile de la France a facilité, sinon promu, l’immigration massive des maghrébins, sans qu’il y ait eu le moindre débat démocratique. On comprend le silence de Zemmour sur ce point précis de la politique gaulliste.

Bien-sûr, dès lors que la France n’est pas une nation ethnique et qu’elle est a priori la seconde patrie de tout Homme, elle peut absorber sans problème tout individu vivant sur la planète, quelles que soient sa culture propre, sa civilisation, sa religion, etc… Dans « Mélancolie française » (2010), Notre auteur reconnaît cela: « Le Français pense que tout étranger, quelles que soient son origine, sa race, sa religion, peut accéder au nirvana de la civilisation française. Attitude un brin arrogante, xénophobe même, mais aucunement raciste. » Curieusement, il n’impute pas cette approche dangereuse et grotesque à l’héritage romano-impérial qu’il assume comme globalement positif.

Le monde entier ayant vocation à devenir français, les peuples qui tombèrent dans l’escarcelle coloniale étaient appelés à terme à entrer dans la citoyenneté française. On conçoit le déchirement quand les réalités ethniques et géopolitiques entrèrent en conflit brutal avec ces fantasmes d’universalité. Alors, il fallut parfois à la hâte (Afrique noire), parfois après des guerres inutiles (Indochine, Algérie) se débarrasser de ces ingrats qui ne voulaient pas devenir gaulois et qui commençaient à coûter cher. A ce sujet, rappelons que, contrairement à l’interprétation dominante, l’OAS n’était pas dirigée par des « fascistes colonialistes », mais par d’anciens résistants universalistes croyant que les Arabes et Berbères sont appelés à devenir français: Soustelle, Salan, Bidault La conception anti-ethniciste du colonisateur français a taillé à la hache de futurs Etats sans contenu ethnique, souvent baptisés comme nos départements avec des noms fluviaux: Oubangui-Chari, Haute-Volta, Sénégal, Niger, Tchad, Congo), obérant ainsi leur avenir politique, comme le note Bernard Lugan (« Afrique: bilan de la décolonisation », 1991)

Zemmour marque son incompréhension du fait ethnique dans la phrase suivante, tirée de « Mélancolie française » (2010): « La France n’est pas en Europe ; elle est l’Europe. La France réunit tous les caractères physiques, géologiques, botaniques, climatiques de l’Europe. » Stupéfiant: il parle de la diversité de la géographie physique de la France, sans noter l’extrême diversité ethnique. Rappelons qu’il y a 7 ethnies (et langues) minoritaires dans notre pays: 2 germaniques (flamande et alsacienne), 1 celtique (bretonne), 1 non indo-européenne (basque), 3 romanes (occitane, catalane et corse). L’éradication de cette diversité, allant jusqu’à la violence des bonnets d’ânes à l’école, est aujourd’hui arrivée à son terme, à l’exception de l’Alsace et de la Corse. Le vrai multiculturalisme était là, régionaliste et non pas avec des langues importées d’autres continents. Le mépris qu’affiche notre polémiste envers le multiculturalisme américain cache mal sa totale incompréhension. Le multiculturalisme des USA n’a jamais empêché une forte intégration et un grand patriotisme, y compris plus récemment des Latino-Américains. Il n’y a pas plus américain que les Noirs des Etats-Unis, « hyper-américains » même par certains traits, et la célébration très suivie de la fête de Saint-Patrick n’a jamais obéré le patriotisme américain légendaire des Irlandais d’outre-Atlantique.

Alors que la politique erratique d’annexions de l’Ancien—Régime a conduit à réunir la Corse (?) avec Choiseul, des territoires authentiquement peuplés de Français ethniques comme la Wallonie et Bruxelles, la Romandie avec Genève, le Val d’Aoste et les Iles Anglo-normandes n’ont jamais été considérés comme des objectifs géopolitiques.

La Révolution française, contrairement à la légende soigneusement entretenue de gauche à droite, n’a pas constitué une réelle rupture dans l’histoire de France. Elle a supprimé les corps intermédiaires et n’a laissé aucun tampon entre l’individu et l’Etat central, et en cela, elle a représenté l’aboutissement de la monarchie absolue. L’atomisation individuelle, la déliaison sociale, l’anomie, la lutte opiniâtre contre la société civile, permettent leur corollaire : l’emprise croissante de l’Etat. sur des individus dépourvus de tout ancrage, de toute culture propre. En bon gaulliste, Zemmour dans « Causeur » du 6 novembre 2014, à la question: peut-on encore dire comme Pompidou que la société n’existe pas? il répond: « Oui! Pompidou avait raison. » Pompidou en bon romano-impérial avait dit à Alain Peyrefitte le 7 octobre 1969 : « La société n’existe pas. Il n’y a que des individus et la France ». Les conséquences de cette hybris étatiste sont innombrables. On s’attachera à en décrire les plus destructrices.

Dans un article publié par Le Figaro, le 5 juin 1968, Raymond Aron soulignait, dans une perspective tocquevilienne, la responsabilité des institutions de la Ve République : « Le régime, a supprimé toutes les soupapes de sûreté ». Reprenant cette idée quelques mois plus tard dans « La révolution introuvable » : « Le régime gaulliste a poussé jusqu’à l’absurde la mise en question du régime tout entier par n’importe quel accident ou incident ». Et nous revoilà devant les  ‘événements de Mai 68’. La France est le seul pays européen où des manifestations de masse rythment la vie politique, sociale et sociétale et où elles parviennent le plus souvent à faire retirer un projet, niant ainsi la légitimité d’institutions peu représentatives, du fait des scrutins non proportionnels: 1984 (école privée, Savary), 1986 (autonomie universitaire, Devaquet), 1994 (CIP, Balladur), 1995 (retraites, Juppé), 2006 (CPE, de Villepin), 2013 (Ecotaxe, Ayrault). Michel Crozier enfonce le clou: « Un État arrogant, omniprésent et omnicompétent, est nécessairement impotent, car il ne sait qu’ordonner à partir de principes abstraits et de vues générales. Seul un État modeste peut vraiment se révéler actif, car il est seul en mesure d’écouter la société, de comprendre les citoyens et donc de les servir en les aidant à réaliser eux-mêmes leurs objectifs ». (« État modeste, État moderne ». 1986). La conception romano-impériale de l’Etat qui a prospéré durant un millénaire atteint aujourd’hui ses limites objectives, aboutissant à un Etat boursoufflé et impuissant d’être devenu trop gros. Un Etat obèse, c’est un Etat impuissant. Et Zemmour voudrait encore plus d’Etat!

Reparlons de Vichy. Comment se fait-il que la Résistance française fut la plus faible de tous les pays occupés? Les services de renseignement allemand estimaient en 1942 (avant l’invasion de la zone libre et le STO certes) l’influence des résistants à 2% de la population. Si Vichy et son Etat furent incontestablement populaires, c’est bien parce que l’Etat est l’étoile polaire, la référence, le repère indéfectible de tout citoyen français. Il s’agit en fait d’un atavisme idéologique millénaire.

Ce fut un choix funeste pour la France, de s’être assigné un rôle impérialiste « romain » donc exclusivement européen. Encore aujourd’hui, on est stupéfait de l’abandon sans regret des deux colonies, Canada et Inde, au traité de Paris en 1763. On se souvient de cette phrase de Voltaire dans « Candide »: « Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. » La vente de la Louisiane (2 millions de km2, un quart des USA actuels)) par Napoléon aux Etats-Unis en 1803 pour la somme de 500 millions d’Euros actuels, enfoncera le dernier clou du cercueil de l’hégémonie géopolitique et linguistique de notre pays. Le deuxième empire colonial constitué au XIXe siècle, pour l’essentiel africain, n’avait évidemment pas le même potentiel. La possession de l’essentiel de l’Amérique du Nord et de l’Inde auraient assuré la domination incontestable de la francophonie.

Avec toutefois une réserve: la réticence des Français de l’époque à s’expatrier pour fonder des France ultra-marines. La Canada français, c’était 15.000 colons et la Louisiane: 7.000. Alors que les Britanniques, les Espagnols et les Portugais se sont déversés à millions en Amérique et en Australie. L’historien Pierre Chaunu (« La France », 1982) explique ainsi cette répulsion à s’exiler outre-mer: « On ne peut envisager de s’expatrier, d’émigrer, d’aller ailleurs, parce qu’on a le privilège d’appartenir à la société achevée du Royaume de l’infinie perfection. » Par conséquent, cet attachement au cocon hexagonal est bien un autre effet délétère de l’idéologie romano-impériale de l’Etat français.

Zemmour, dans sa nostalgie du modèle colbertiste et sa défense d’un Etat pesant, passe totalement à côté du bon diagnostic sur les maux dont souffre la France. Elle souffre, dans une mondialisation capitaliste galopante, de maintenir un système ingérable et jusqu’à présent irréformable, hérité du gaullisme, sans que les boucs émissaires classiques n’y soient pour rien, ou pour très peu à la marge, qu’ils se nomment UE ou USA. Sur le plan du prisme partisan, cet étatisme économique et social explique l’absence de vrais partis, libéral à droite et social-démocrate à gauche. On a une gauche de fonctionnaires et d’associatifs et une droite d’employés du privé et de retraités, dans les deux cas attachés à un Etat envahissant et hostiles aux réformes. Les ouvriers et les petits entrepreneurs sont au FN, parti tribunitien héritier sociologique du Parti communiste.

« L’industrialisation française sera fort tardive, et liée au volontarisme d’hommes d’État exceptionnels – sans remonter au précurseur Colbert, Napoléon III, de Gaulle et Pompidou ». Zemmour en déduit que sans Colbert, Napoléon III et De Gaulle, la France ne se serait jamais développée. Mais pourquoi l’Angleterre, les Pays-Bas, la Belgique, la Rhénanie et l’Italie du Nord se sont industrialisée indépendamment de tout étatisme, voire de tout Etat? Cette conception étatique de l’économie a conduit effectivement à une industrialisation « tardive » qui a eu son coût géopolitique à partir de 1870. Dans les deux guerres mondiales, sans le secours américain, la France aurait été vaincue.

Le dernier exemple surprendra probablement, et pourtant il est patent. Ecoutons Pierre Chaunu dans « La France » (1982): « L’effondrement significatif de la courbe de la fécondité se situe entre 1797 et 1801. (…) La Révolution, c’est la prétention naïve de s’assumer un peu plus encore, de réduire la part du destin. » Ce grand historien conservateur donne ainsi son interprétation de l’exception démographique française dans l’Europe du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, à savoir l’effondrement de la natalité qui fut un désastre géopolitique majeur pour notre pays. En 1800, la France compait16% de la population européenne. En 1945, 7% avant le baby boom qui lui ne fut d’ailleurs pas une spécificité française. Selon Chaunu, le prétention prométhéenne de la Révolution (elle-même avatar romano-impérial) explique le repli frileux sur l’enfant unique.

La laïcité, qui fonctionne comme un « totem républicain », est un autre avatar de la conception romano-impériale, qui était en germe dès l’Ancien Régime. L’Etat et donc la sphère publique ne doit pas et ne peut pas admettre l’expression, notamment religieuse, de la société civile. Or notre Zemmour adhère pleinement à cette conception et estime qu’il est inconvenant dans notre pays de parler de religion publiquement (sauf entre amis très proches) ou de s’habiller en fonction de convictions personnelles. Au début du siècle, on a vu des municipalités rouges interdire le port de la soutane! Une vrai séparation de l’Etat et des Eglises implique que l’Etat est incompétent en matière religieuse. Autrement dit, si l’on combat le voile intégral des musulmans ou le refus des transfusions des jéhovistes, ce n’est pas parce que ce sont des expressions publiques d’une foi, mais parce que cela contrevient à la sécurité publique ou à la déontologie médicale. Les USA, où l’expression publique de la foi va très loin (serment sur la Bible, « In God we trust » sur le dollar), n’empêche nullement une séparation encore plus radicale de l’Etat américain et des 200 « dénominations recensées ». Par exemple, les écoles privées ne reçoivent aucune subvention publique et les églises catholiques n’appartiennent pas à l’Etat. Zemmour, là encore, ne vas pas à l’encontre du politiquement correct, en l’occurence laïciste.

La Ve République n’a fait qu’accentuer ce tropisme, en l’adaptant à la modernité technocratique. Les institutions mortifères et anti-démocratiques forgées par de Gaulle ont pourtant amplement accéléré, par la concentration de pouvoir sur un seul homme, par la centralité politique de l’élection présidentielle et par la recherche permanente d’un « sauveur suprême », la crise de la politique française, aboutissant au déni démocratique d’un souverain plus puissant que Napoléon en théorie, mais affaibli par la non représentativité des deuxièmes tours d’élection où l’on élimine sans choisir. C’est précisément en raison du caractère antidémocratique de la Ve République que l’élite fusionnant hauts-fonctionnaires et financiers a pris le pouvoir avec plus de facilité. Contrairement à ce que dit Zemmour, ces institutions ont donc aggravé l’étatisation de la société et sa dérive hors-sol que l’on pourrait qualifier d’a-ethnique.

4) CONTRADICTIONS CONCEPTUELLES

« La contradiction n’est pas entre moi et le monde, elle est en moi ».

(« Pensées inédites » de Gustave Thibon, 1982).

DEVIRILISATION SEULEMENT FRANCAISE

Persuadé, peut-être par expérience personnelle, que le processus de dévirilisation affecte notre pays depuis plus longtemps que les 40 années dernières, il n’hésite pas à affirmer: « L’avilissement des soldats dans la boucherie de la Première Guerre mondiale encouragea les hommes à jeter aux orties le fardeau qu’ils avaient entre les jambes. » Mais alors, pourquoi la violence de la Première Guerre mondiale aurait poussé les hommes français à abandonner leur virilité, alors que les hommes allemands en sont sortis plutôt endurcis, sans faire de jeu de mot gaulois.

Encore l’Allemagne. Zemmour nous explique que la France s’avachit, mais l’Allemagne non, alors que les dérives sociétales l’affectent autant, sinon plus que la France.

FEMINISATION ET POUVOIR

Notre dissident « fashionable » s’échine à démontrer que les femmes ont pris le pouvoir, confondant féminisation et matriarcat), mais il avoue piteusement: « Regardez, dans les milieux où il y a vraiment le pouvoir, il n’y a pas de femmes. Dans la finance, c’est infinitésimal, c’est marginal. » ( sur BFMTV le 27 mars 2013).

Effectivement Les femmes sont sous représentées aux postes de direction économiques (1/3 des cadres, 1/5 de postes de direction) et politiques. Même à l’intérieur d’une profession, se reconstitue une ségrégation. Les hommes occupent les positions prestigieuses. Dans l’enseignement primaire, les hommes sont surreprésentés parmi les directeurs d’école. En médecine, ils sont très majoritaires en cardiologie et en chirurgie alors que les femmes sont concentrées dans les spécialités les moins rentables: la pédiatrie ou la gynécologie. Les femmes qui « font carrière » sont contraintes de reproduire le modèle masculin, et n’ont généralement pas ou peu d’enfants.

FEMINISATION ET LIBERATION DES HOMMES

Zemmour rappelle que, très souvent, c’est l’homme qui fait pression sur la femme pour qu’elle avorte. Il ne va pas jusqu’à remarquer que la facilitation de la contraception et la légalisation de l’avortement ont sans doute libéré les femmes, mais ont surtout dégagé les hommes de leurs responsabilités. Désormais, la grossesse d’une femme est exclusivement son problème. Mais cela va à l’encontre de ses analyses sur la féminisation comprise comme accroissement du pouvoir féminin dans la société et donc sur les hommes.

HOMOSEXUALITE ET FEMINISATION

La thèse de Zemmour sur le mannequinat est surprenante. Il constate que les modèles sont dépourvus de toute sensualité et de toute rondeur, androgynes pour ne pas dire masculins, parce que les grands couturiers sont pour la plupart des homosexuels qui fantasment sur des corps de garçons (Le premier sexe, 2006). Mais il ne voit pas qu’il y a donc valorisation du masculin. C’est d’ailleurs une erreur de penser que l’homosexualité tend vers la féminisation. On sait que la drague homosexuelle joue beaucoup sur les apparences machistes et brutales (débardeurs, chaînes, uniformes, etc).

D’autre part, sa caractérisation de l’homosexualité comme induisant la féminisation fait l’impasse sur l’homosexualité féminine qui, en suivant son raisonnement, représenterait symétriquement une forme de masculinisation. Et rappelons que les lesbiennes sont tout aussi nombreuses que les homosexuels masculins. En France, l’étude de l’Inserm « Contexte de la sexualité en France » qui date de 2007 a montré que 4,1% des hommes et 4,0% des femmes de 18 à 69 ans avaient eu des pratiques homosexuelles.

DECLIN DE LA FRANCE EXCLUSIVEMENT

Dans « Le premier sexe », Zemmour nous explique: « En se féminisant, les hommes se stérilisent, ils s’interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression. ils se contentent de conserver. On explique en général la stagnation intellectuelle et économique de l’Europe par le vieillissement de sa population. (…) On ne songe jamais – ou on n’ose jamais songer – à sa féminisation ». Mais les Etats-Unis subissent le même phénomène de féminisation que l’Europe et son très loin de stagner intellectuellement et économiquement. De même « Le Suicide français » commence par cette formule: « La France est l’homme malade de l’Europe ». Mais la France n’est pas le seul pays européen à être affecté par les dérives sociétales. Alors pourquoi la France est la seule à être malade?

UNIFICATION DE LA FRANCE ET DE L’EUROPE

Zemmour, en bon gaulliste, croit en une France « éternelle », essentialisée, hors-sol en quelque sorte, alors qu’il s’agit d’une construction politique unificatrice analogue à l’élaboration de l’Union européenne, à la réserve près que la première s’est faite d’abord par le fer et le sang avant de taper à coups de règle sur les doigts des enfants qui persistaient à parler la langue de leurs pères, baptisée de patois. Des villes comme Bordeaux, Toulouse, Perpignan, Besançon ont résisté farouchement aux assauts des armées françaises. A l’époque, le troll aurait été le thuriféraire des indépendances provinciales, en pure perte. D’ailleurs, il considère avec mépris les révoltes régionalistes et fédéralistes, pour n’avoir pas voulu du destin de la France indivisible, sans s’apercevoir qu’il reprend la posture de ces révoltés anti-français contre l’Europe en devenir. Que ça plaise ou pas, le XXIe siècle sera celui des Empires. Que pèse, seul, un pays de 65 millions d’habitants, perclus d’archaïsmes, face aux Etats-Unis, à la Chine et demain à l’Inde?

EUROPE DIRIGISTE OU LIBERALE

S’agissant de l’Europe, il est piquant de constater que le polémiste n’arrive pas à choisir l’angle d’attaque de l’Union européenne. Parfois il critique, à la Thatcher, la construction européenne car quasi-soviétique (bureaucratie apatride, etc), parfois il met en avant une Union européenne agent de la mondialisation ultra-libérale. En fait, dans leur débat sur RTL le 12 décembre 2014, Mélanchon a parfaitement compris: “Vous ce que vous n’aimez pas dans l’Europe libérale, c’est l’Europe, moi c’est le libéralisme”

ALLEMAGNE PAS SI FORTE

Selon Zemmour, l’Allemagne règnerait sur l’Europe grâce à une économie dynamique, boustée par des réformes impitoyables.

Philippe Legrain, économiste britannique,dans la revue « Books » n° 60 du 21 novembre 2014, relativise largement les performances du modèle en question : « Entre 2000 et 2013 , sa croissance n’a été que de 15 % — un maigre 1,1% par an — au coude à coude avec la France. Au total, le pays arrive treizième des dix-huit nations de la zone euro ». 
  Il remarque qu’en matière d’investissement, l’Allemagne se retrouve derrière la France, l’Espagne et l’Italie. Et l‘état de ses infrastructures (ponts, autoroutes) s’en ressent. Près de 10 000 ponts auraient besoin d’être remplacés et les deux tiers du réseau de chemin de fer sont considérés comme vétustes. Philippe Legrain cite le  rapport « Doing Business » de la banque mondiale, selon lequel il serait plus difficile de monter sa boîte en Allemagne qu’en Russie ou au Sénégal. Pour preuve 50 000 entrepreneurs allemands ont émigré dans la Silicon Valley.

Le constat est largement partagé par Olaf Gersemann, rédacteur en chef du service économie du quotidien Die Welt, dans le même numéro de « Books » : « Il règne dans mon pays une allégresse et un sentiment d’orgueil que rien ne justifie, et qui me paraissent dangereux parce qu’ils favorisent des décisions irrationnelles ». Bien plus que grâce aux réformes Schröder, c’est à la chance que l’économie allemande doit sa vigueur : un euro sous évalué au regard de la force de l’économie allemande. Olaf Gersemann s’inquiète aussi de ce qu’il appelle « les dettes implicites » qui n’apparaissent pas dans les statistiques mais qui sont liées aux promesses de prestations faites par l’Etat. Il en va ainsi des retraites qu’il faudra verser en 2035 aux derniers baby-boomers et dont ceux qui seront chargés de les financer seront trop peu nombreux.

Toujours dans la même revue, l’anthropologue Emmanuel Todd se montre plus sévère encore: « Le comportement actuel de l’Allemagne (ses excédents, l’austérité, qu’elle veut imposer à tout le monde) ne s’explique pas par le fait que ce pays aurait une pensée spécifique. C’est je crois, plutôt, l’effet d’une non pensée ».

L’euro que Zemmour considère comme un ersatz de mark et l’instrument de la domination allemande est pourtant toujours mal perçu par les Allemands. Les citoyens allemands ont conservé chez eux 13,2 milliards de marks en espèces, soit environ 6,75 milliards d’euros dont la validité n’a pas de limite temporelle, contrairement au franc. C’est une somme plus importante que les avoirs conservés par la totalité des nationaux des 27 autres Etats membres dans les autres anciennes devises.

UNIVERSALISME IMPERIAL ET L’ISLAM

Enfin, il convient tout de même de relever une vraie incongruïté chez notre analyste militant. Comment peut-on se référer à l’idéologie française millénaire universaliste dans ses fondements et mettre en doute la compatibilité de l’Islam avec l’Etat et la société? Comment peut-on se vouloir romano-impérial (et son avatar gaullo-bonapartiste) en faveur de l’assimilation (et non la simple intégration communautariste), alors que le modèle français historique n’est pas ethnique: on est Français par adhésion à des valeurs, à un Etat, à la République ou à la personne du Roi, par une démarche volontaire et explicite. Renan affirmait: « La nation (…) se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. (…) L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ». Grossière erreur: on n’adhère pas à une ethnie. Celle-ci est déterminée à la naissance, comme la famille. Dans ce cas, que signifie s’assimiler pour des ethnies issues d’autres civilisations. Les Italiens, Espagnols, Polonais, Portugais ont pu s’assimiler en une génération car ils font partie d’ethnies soeurs, et non pas grâce au modèle abstrait décrit par Renan, qui aujourd’hui montre ses limites avec le déferlement extra-européen. Ce n’est donc pas, comme le pense notre gaullo-bonapartiste, parce que la France a renoncé à son modèle « républicain » qu’elle peine à assimiler. C’est au contraire à cause de ce modèle de citoyen abstrait et territorial, qui postule une adhésion purement « idéologique ». La France n’a pas d’identité propre puisqu’elle est la quintessence de l’Humanité, où plus exactement elle n’a qu’une identité politique et idéologique. Elle se définit par le tryptique Liberté, Egalité, fraternité, auxquel il suffit d’adhérer pour être français. On comprend qu’avec une telle définition de l’identité, n’importe qui sur Terre a vocation à être citoyen français.

AMERICANISATION ASSUMEE

Quant à la mondialisation, comprise comme une catastrophe absolue d’origine américaine, le fait même qu’elle soit combattue par des gens, dont Zemmour, complètement américanisés (Internet, Facebook, Tweeter, smartphone, pop music, sports divers et variés, fast-foods, langage truffé d’anglicismes, etc…) disqualifie radicalement leurs «analyses».

INTERETS ET VALEURS

Dans « Causeur » du 6 novembre 2014, on pointe une contradiction: « Les grands sentiments n’ont rien à faire dans les relations entre Etats. (…) Nous agissons toujours pour défendre nos intérêts, même quand nous prétendons le contraire. Le reste est habillage et hypocrisie ». Notre apprenti contestataire enfonce les portes ouvertes. Même les droitdel’hommistes les plus ardents n’ont jamais nié que le droit d’ingérence sert les intérêts de la France. Répandre les valeurs idéologiques d’un Etat sert avant tout cet Etat, notamment pour la France qui prétend porter des valeurs universalistes riomano-impériales. Après tout, qu’a fait Napoléon 1er, tant adulé, sinon répandre le code civil en Europe. N’était-il pas, selon le mot de Germaine de Staël, Robespierre à cheval? Les valeurs sont indissociables des intérêts et c’est heureux.

CRITIQUE TARDIVE DU GAULLISME

Dans l’émission Zemmour et Naulleau du 28 novembre 2014, Zemmour esquisse curieusement une critique du de Gaulle de la Vème république, soupçonnant désormais qu’il fut le pionnier des dérives sociétale (la pilule) et économique (la financiarisation). Lucidité bien tardive mais à applaudir. Encore faudrait-il qu’il en tire les conséquences sur son adhésion à la vision romano-impériale, universalisme abstrait qui ne préserve pas l’identité ethnique.

5) CONTRADICTIONS PERSONNELLES

« Neque enim disputari sine reprehensione potest ». (Il ne peut y avoir discussion sans contradiction. Cicéron).

Ce critique obsessionnel de la féminisation doit beaucoup aux femmes. Son père ayant été absorbé par ses occupations professionnelles, le petit Eric a été élevé par sa mère et sa grand-mère dont il reconnaît « qu’elles lui ont appris à être un homme. » Dans « Le Point » du 2 octobre 2014, on en apprend de belles. «Dès qu’il est arrivé, je l’ai envoyé dans la galerie des Glaces aux trousses de Jack Lang, se souvient la critique de théâtre du Figaro, Armelle Héliot, qui l’avait pris sous son aile. Ensuite, il fait un bref passage à L’Express. «J’en sais gré à Christine Ockrent. Nous ne pensions vraiment pas la même chose et elle m’avait pourtant recruté.»

Ce critique obsessionnel du matriarcat est très « moderne » en couple. On sait que son épouse exerce un métier d’autorité (juriste libérale) qui était fermé aux dames aux temps jadis dont est nostalgique notre militant masculiniste. Dans « C’est à vous », sur France 5, le 6 octobre 2014, Anne-Elisabeth Lemoine demande à l’écrivain s’il domine socialement sa femme puisque selon lui ”la domination sociale a un fort pouvoir érotique chez la femme”. « On est très heureuse pour madame Zemmour, mais qu’est-ce que cela veut dire ?’ », lance-t-elle. Déstabilisé, Eric Zemmour rétorque : ”La personnalisation a laquelle vous vous prêtez est stupide. Je ne vous permets de pas de parler ainsi de ma femme”.
 Autrement dit, ce que je dis et pense n’a aucune incidence dans mes actes et comportements.

Ce féroce déconstructeur de Mai 68, avoue ce qu’il doit à cette époque: « Biberonné à la culture 68, je lisais Charlie Hebdo, écoutais les Rolling Stones, portais les cheveux longs et bouclés. On m’appelait Rocheteau [du nom de la star bouclée de l’AS Saint-Etienne dans les années 1970]”, confiait-il le 22 avril 2006 à Libération. Il valorise certaines œuvres (le film “Vincent, François, Paul et les autres”, la chanson “La folle du régiment”) pratiquant la “séparation des sexes”. Surpris, en juin 2014, chantant et se trémoussant au concert des Rolling Stones, il assume : « Je suis complètement imprégné par la pensée des années 70 que je dénonce. On peut être distancié par rapport à soi-même. Je constate la destruction que ça a apporté. » Sur Figarovox, le 7 novembre 2014, il insiste: « Ma critique en bloc de Mai 68 est idéologique. Cela ne veut pas dire que je déteste tout dans la génération 68. Par exemple, je suis fan des Rolling Stones! Ma chanson préférée est Sympathy for the Devil, l’incarnation même de l’esprit des années 1960-1970. Il y a beaucoup de choses que j’adore dans l’explosion juvénile de cette génération, en particulier la musique et le cinéma. »

Cet adversaire patenté du politiquement correct est devenu un « rebellocrate » comme aurait dit Philippe Muray, adepte de la « dissidence caviar » intégrée au système, permettant de vivre par procuration une révolte de salon. A Jean Sévilla qui demande: Peut-on contester la pensée médiatique en étant soi-même un élément de ce système ? «C’est une contradiction, mais je n’ai pas la solution , répond-il. (Le Figaro, le 28 février 2010). Ce qui fait dire à Henri de Lesquen, fondateur du Club de l’Horloge, le 3 novembre 2014 sur Radio Courtoisie: « Zemmour est l’adversaire que le système s’est choisi. (…) Zemmour, c’est la stratégie du leurre.(…) Zemmour est un charognard qui affirme: la France est morte ».

Ce contempteur des médias profite de l’audimat. Dans le Figaro du 26 septembre 2014, le troll explique: «Je comprends l’utilisation de la télévision dite de divertissement faite par la gauche depuis toujours pour endoctriner les masses. Je décide d’utiliser le système contre le système.» Depuis le retour de son idole en 1958, la gauche n’a régné que 10 ans seule et 9 ans en cohabitation sur 56 ans. Mais bien sûr, pour Zemmour, la droite n’endoctrine personne. La « voix de son maître » radio-télévisée de 1958 à 1981, par exemple, n’a pas existé. D’ailleurs notre éditocrate est odieusement interdit d’antenne et n’intervient que sur RTL où il éditorialise deux matins par semaine, sur Paris première chaque vendredi avec Eric Naulleau. Il a débatu pendant 11 ans sur iTélé le vendredi soir dans Ca se dispute. Il signe au Figaro et pige à la chaîne Histoire, et, il y a peu, a été élu sur RMC “Grande Gueule de l’année 2014”. On l’a vu parader durant deux mois sur toutes les chaînes télé et radio, développer sa pensée dans toutes les émissions littéraires et politiques. Il est édité par une grande maison française, Albin Michel. Ce grand critique du « système médiatique » fait semblant de ne pas comprendre que ce n’est pas les médias qui font l’opinion mais l’opinion qui fait les médias. Autrement dit les médias sont soumis au marché, comme la politique avec les élections et l’économie avec le consommateur-roi. S’il est présent dans les médias, c’est parce qu’il a un public (environ 30% de la population d’après deux sondages récents d’Odoxa et de l’Ifop). Ajoutons que notre « dissident » a fait partie, en 2006, du jury du troisième concours d’entrée à l’ENA (réservé aux salariés du secteur privé ou aux personnes exerçant un mandat électif national ou local).

Cet adversaire résolu du colonialisme en est directement bénéficiaire: « Moi, je ne suis pas exactement un immigré, moi, je suis un peu comme un Martiniquais ou un Alsacien, c’est à dire que c’est la France qui est venue chez moi et qui m’a conquis et je la bénis, moi, de m’avoir colonisé. » (Ça se Dispute sur iTélé, le 18 avril 2014). Mais le 16 octobre 2014, à Béziers, notre Juif berbère assène: « Moi j’ai toujours pensé que l’ingérence était un nouveau colonialisme. » En 1830, l’ingérence française était bénie. Mais aujourd’hui, à bas le néo-colonialisme! Tempora mutantur et nos mutamur in illis.

Ce critique impénitent de « l’ultracapitalisme » profite de l’informatisation généralisée. Ce qui ne l’empêche pas d’indiquer: « L’économie informatisée ultracapitalistique redonne au capitalisme sa vocation meurtrière de pousse-au-crime, un système « qui porte la guerre comme la nuée porte l’orage », disait Jaurès ». Qu’il profite de ces progrès technologiques permis par le système capitaliste honni ne semble pas l’effleurer.

Ce juif observant est en fait agnostique. Il mange kacher à la maison, prie à la synagogue et observe les grandes fêtes religieuses. Il a célébré la bar-mitsva de ses fils. Curieusement, il pratique mais se définit contradictoirement comme agnostique: « Si je rationalise, je n’y crois pas », tout en recommandant: « Même si Dieu n’existe pas, il faut un monde avec Dieu ». En fait, il est face à la contradiction entre son enracinement juif (ethnique et non religieux puisqu’il est agnostique) et son universalisme abstrait romano-impérial bien français. Cette schizophrénie était patente le 30 octobre 2014, dans un entretien au journal italien Corriere della Sera (qui lui a coûté son intervention sur iTélé). Il explique que les musulmans doivent vivre à la française: « cela signifie donner des noms français à ses enfants, être monogame, s’habiller à la française, manger à la française, du fromage par exemple». Zemmour voudrait donc que les musulmans mangent « à la française ». De la côte de porc ? Vous n’y êtes pas: du fromage ! Comme si les musulmans ne mangeaient pas de fromage. En revanche, ils ne mangent pas de porc. Comme lui.

Ce dénonciateur de l’avachissement intellectuel des élites françaises participe de ce déclin, de ce déferlement des incultes. Ce qui est décrit ci-dessus, les erreurs, les contradictions, les fantasmes, démontre à l’envie qu’Eric Zemmour et ses adulateurs sont le pur produit de la débâcle éducative des quarante dernières années.

6) L’ART DE L’ESQUIVE AFIN DE FEDERER

Notre courageux déconstructeur, qui tient à sa notoriété au sein des courants anti-système très hétérogènes, se trouve contraint à certaines pirouettes pour éviter de décevoir tel ou tel.

Eric Zemmour n’hésite pas à contester « l’irréductible singularité de la Shoah », au motif que l’histoire a connu d’autres génocides, notamment le stalinien. Sauf que les massacres de Staline, de Mao ou de Pol Pot ne sont pas des génocides puisque s’appliquant aux soviétiques, aux Chinois et aux Cambodgiens eux-mêmes et non à des ethnies stigmatisées. Dans « Causeur » du 6 novembre 2014, Alain Finkielkraut remarque: « Zemmour ne sait pas faire la différence entre la religion de la Shoah et le tourment d’Auschwitz lui-même ». Le couplet sur le philosémitisme supposé de Vichy relève du même procédé: éviter à tout prix de froisser ses nombreux amis antijuifs. En fait Léa Salamé, qui apostrophe notre polémiste sur Fr2 le 4 octobre 2014, a flairé l’explication: « Vous aimez tellement la France, vous voulez tellement vous, le Juif, vous faire plus goy que les goys… ».

Sachant que la position pro-israëlienne est très minoritaire dans les milieux anti-système, Zemmour choisit de ne pas choisir, le 27 septembre 2011 sur Radio Courtoisie: « Je ne supporte pas ces citoyens français de religion juive qui parce qu’ils sont juifs se croient autorisés à avoir un avis péremptoire et définitif sur le conflit israélo-arabe. Moi, je ne suis pas un citoyen israélien, je suis un citoyen français, un patriote français, pas un patriote israélien, donc je n’ai pas à prendre parti sur le conflit israélo arabe plus que sur la guerre en Somalie ou sur l’Amérique du Sud. » Cette position d’indifférence est très surprenante pour quelqu’un qui a justement une opinion sur tout, notamment sur les événements ou personnages internationaux. D’autre part, personne ne trouve déplacé que les chrétiens français (et les Etats de civilisation chrétienne) s’inquiètent de telle ou telle persécution ou épuration de chrétiens au Moyen-Orient ou ailleurs.

Le 13 octobre 2014, sur BFMTV, quand Jean-Jacques Bourdin demande au polémiste si l’islam est compatible avec la France, il répond: « l’islam salafiste n’est pas compatible avec la République ». Ce qui revient à dire que l’islam l’est.

Sans aller jusqu’à une assertion définitive, il pourrait au moins émettre l’hypothèse que l’étrange mollesse du gros des organisations dites « laïques » envers l’islam s’explique par le fait qu’elles considèrent la religion de Mahomet comme un cheval de Troie pour liquider le judéo-christianisme, seul ennemi réel pour ces « anti-cléricaux ». Bien sûr, notre troll sait bien que dans un pays comme la France, se mettre à dos la sphère laïcarde s’apparente à un suicide intellectuel à défaut d’être français.

S’agissant du lobby homosexuel, pourquoi ne parle-t-il pas de ce manifeste du Front homosexuel d’Action révolutionnaire (FAHR) qui proclamait: « Nous sommes plus de 343 salopes. Nous nous sommes faits enculer par des Arabes. Nous en sommes fiers et nous recommencerons. » (Tout, n°12, le 25 avril 1971). Il s’agit de la première référence parodique au manifeste des 343 avortées paru 10 jours avant dans le Nouvel Observateur, totalement occultée aujourd’hui. Le lien entre arabophilie et homosexualité n’interpelle visiblement pas notre « dissident ». De très nombreux arabophiles et souvent propagandistes du panarabisme étaient ou sont homosexuels: Daniel Guérin, Jean Genêt, Jacques Benoist-Méchin, le maréchal Lyautey, Louis Massignon, Lawrence d’Arabie, Henri de Montherlant, André Gide, Gabriel Matzneff, Thierry Meyssan. Mais cette réalité met à mal sa thèse sur la virilité des Arabes.

Dans « On n’est pas couché », 12 septembre 2009, il évite habilement de choisir: « J’ai encore envie de défendre la peine de mort. (…) On peut discuter ». Quel courage intellectuel!

Sur RTL, le 9 octobre 2014, avec Alain Duhamel, il déclare ainsi au sujet de la loi sur l’avortement: « Je comprends très bien Simone Veil. Je ne préfère pas avant, mais depuis ça ne me rend pas fou de joie ». De l’art de vouloir faire plaisir à tout le monde!

Il est difficile, en l’état, de savoir pourquoi Eric Zemmour refuse de livrer ses propositions. Est-ce par pessimisme foncier sur l’avenir de la France, ou plutôt par souci de ménager sa popularité auprès d’admirateurs aux idées politiques disparates pour ne pas dire contradictoires? Interpellé à plusieurs reprises, il n’en démord pas. « Si je suis ma raison, l’état dans lequel est la France est irréversible. Si je suis mon espoir et si je considère l’histoire de France, faite de chutes et de sommets, je me dis qu’on va toucher le fond si durement qu’il s’ensuivra un rebond. Raisonnablement, je ne crois pas à un relèvement, mais la raison n’a pas toujours raison. » (Présent, le 9 octobre 2014). « Les maux sont tels qu’il n’y a plus de solutions pacifiques et raisonnables envisageables. Je ne vois plus d’issue. » (Figarovox le 7 novembre 2014).

En fait, Zemmour est très populaire car il fédère et flatte diverses sensibilités parfois très éloignées, voire adversaires. Rares sont ses disciples qui adhèrent à l’ensemble de ses idées. C’est le secret de la formule zemmourienne: frapper fort tous azimuths et accrocher les différentes clientèles qui oublieront opportunément leurs désaccords sur tel ou tel point.

Ainsi, il synergise:

les anti-féministes contre les femmes,

les anti-immigrationnistes contre les catho-tradis pro islam conservateur,

les anti-libéraux contre les entrepreneurs,

les anti-européens contre les tenants de « l’Europe Puissance »,

les anti-Mai 68 contre les cadres moyens hédonistes sans être forcément bobos.

Ainsi, on peut trouver de nombreuses femmes, de nombreux catho-tradis, entrepreneurs, adeptes d’une Europe Empire et cadres moyens hédonistes, fans du polémiste le plus invité dans nos médias. Prenons l’exemple d’une femme catho-tradi et chef d’entreprise. Elle va détester l’anti-féminisme zemmourien, son anti-islamisme sans nuance, son anti-libéralisme rabbique. En revanche, elle adorera sa critique de fond de Mai 68 et de l’Union européenne. Ces deux derniers items suffiront à cette dame pour être fan de Zemmour.

Le ouistiti (surnom affectueux attribué par Philippe Tesson) a un grand avenir devant lui!

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72 Comments

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  • 0 / 10
  • Brice de Nice , 27 janvier 2015 @ 18 h 50 min

    J”ai compris : t as écrit un long article avec plein de mots clés pour que ton article soit bien référencé par Google

    Tu vois,, Eric Zemmour, avec seulement 3 mots, “le suicide français”, il vend plus de livre que toi !

  • Observateur , 27 janvier 2015 @ 19 h 03 min

    Indochine guerre inutile ? Non, au minimum elle bloquait l’expansion communiste.
    Algérie, guerre inutile ? Non, un des buts de guerre du FLN était la renaissance de l’Islam

  • Myriam , 27 janvier 2015 @ 19 h 29 min

    Nul! On travaille pour qui????

    Vive Zemmour
    Bravo
    On en voudrait encore !!!

  • Alam , 27 janvier 2015 @ 19 h 54 min

    Petit torchon qui sent le graillon et la sueur, travail de besogneux sodomiseur de mouches, de traqueur de virgules oubliées : que d’efforts pour démolir un ouvrage qu’on n’arrive pas à enterrer. Les erreurs, les raccourcis, les exagérations de Zemmour, on s’en fout. Nous lui sommes tous reconnaissant d’avoir osé dire ce que les bien-pensants nous interdisent même de voir. On comprend que ça puisse gêner les apôtres du “vivre ensemble”, les thuriféraires des “chances pour la France”, les hérauts” du “pas-d’amalgames”, les anesthésistes stipendiés pour euthanasier la France, sans cris surtout sinon sans douleur. Pour faire bref, camarade, on vous emmerde. Vive Zemmour!

  • Tolosan , 27 janvier 2015 @ 19 h 59 min

    Exactement, un article de merde ! Il n’y rien d’autre à dire. La seule chose importante est que les textes de Zemmour traduisent ce que l’on subit au quotidien.

  • Observateur , 27 janvier 2015 @ 20 h 04 min

    Le comportement de Vichy par rapport aux Juifs doit être comparé à la Belgique et aux Pays Bas.
    Vichy protège les juifs dans la zone libre au moins jusqu’en novembre 1942.
    Pasqua très proche d’Israël, lui compare Vichy à l’Italie qui ne sera occupée par les Allemands qu’à partir de septembre 1943. et ensuite disons que les Allemands avaient l’esprit ailleurs…

  • PM de Montamat , 27 janvier 2015 @ 20 h 33 min

    Je n’ai pas le temps de lire l’intégralité ce soir, mais pour ce que j’ai parcouru, la critique est parfaitement justifiée: Zemmour fait des citations souvent très approximatives, parfois tordant le sens, et utilise souvent des chiffres approximatifs ou partiels. En fait, c’est le plus souvent à l’oral.
    Je me réserve un avis sur le fonds, mais je suis étonné de la plupart des réactions. On dirait qu’on a touché au dieu de ces gens-là. Si je comprends leur attachement à la personne de Zemmour, homme lucide sur bien des points et bien courageux, il ne faut pas pousser trop loin. La fin justifierait-elle les moyens ?

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