Le Grand Maître du Grand Orient appelle au « Front républicain » en demandant aux « républicains » et aux socialistes de faire barrage au second tour des élections régionales au Front National en sacrifiant leurs « idées » sur l’autel de l’intérêt général. Cet appel au refus a peu de chances d’être entendu. Jamais sans doute les raisons qu’il le soit n’ont été aussi faibles. L’argument principal repose sur l’intérêt général. Pour qu’il porte, il faudrait qu’une majorité de Français considère que leurs intérêts et celui du pays soient menacés par la victoire du FN dans quelques Régions de la Métropole, et que les deux partis qui alternent au pouvoir les incarnent. Or, le pouvoir détenu dans les collectivités locales ne menace ni les institutions, ni les libertés. Il n’écrit pas la loi, et ne peut donc pas s’opposer à la République, sauf à en subir les conséquences légales. En revanche, l’idée d’interdire à tout prix l’accès aux exécutifs à un parti qui représente un quart des Français affaiblit la démocratie. Sa sous-représentation est déjà révoltante pour ses électeurs, qui se sentent discriminés. La gestion d’une collectivité territoriale est d’ailleurs un banc d’essai pour tester la capacité d’un parti à assumer la responsabilité du pouvoir.
Est-il établi que les « intérêts » des Régions, puis celui de la Nation, coïncident avec la gestion et les projets des socialistes et des « républicains » et seront crucifiés par le Front National ? On peut en douter pour trois raisons. D’abord, les majorités au pouvoir par alternance n’ont pas servi l’intérêt général d’une manière évidente. Globalement, la situation du pays s’est dégradée dans le domaine économique comme dans celui de la sécurité. De l’aventure libyenne à l’aveuglement syrien, assortis d’un soutien marqué à des pays sunnites peu enclins à la paix et à la démocratie, la place de la France dans le monde a reculé. L’idée que nos respectables démocrates socialistes et républicains mentent, trompent le peuple et obéissent à des calculs, liés à des intérêts qui n’ont rien de général, fait son chemin dans les esprits les moins soupçonneux. La France n’a pas inversé la courbe de son déclin plus que celle de son chômage. Elle subit une montée de la violence qui a pour corollaire le sentiment d’une impuissance publique grandissante, ce qui est insupportable pour les Français attachés à la forme régalienne de l’Etat. Nombre d’entre eux ressentent une dilution de l’identité nationale en raison de l’arrivée de nombreux immigrants non-européens dont le comportement et les exigences sont communautaristes, et de l’étrange séduction que suscite chez beaucoup d’élus cette diversité de plus en plus envahissante. C’est là une menace pour la République et pour la Nation qui ont partie liée : les valeurs de la première sont remises en cause par des comportements, religieux notamment. L’unité et la fierté de la seconde sont ébranlées par la pénalisation de la légitime préférence nationale et par une culture pathologique de la repentance.
En second lieu, pour justifier une alliance de circonstance entre le PS et l’ex-UMP, il faudrait que quelque chose les rassemblât qui les opposerait du même coup au FN. Or, aussi bien sur les questions économiques que sociétales en passant par la sécurité, la majorité et son opposition parlementaire ne partagent rien et se combattent avec âpreté. Quelques carriéristes qui se trouvent « à droite » par héritage affichent parfois des idées « avancées » sur la famille et les problèmes de société. Mais les gros bataillons des électeurs ne les suivent pas. Il y a, de plus, au sein des « républicains » un courant conservateur. Le souverainisme y est d’autant plus motivé que la construction européenne va d’échec en échec. Sur l’autorité de l’Etat et la sécurité intérieure et extérieure, les deux partis sont en en totale confrontation. Si on élude l’évolution sociale et économique récente du Front National, il demeure plus facile d’envisager une alliance des nationaux et des « républicains »qu’entre ces derniers et les socialistes. L’interdit chiraquien puis sarkoziste a un fondement verbal, l’âme (?) et les valeurs (?), et un autre plus réel, la sauvegarde des places par une entente avec cet adversaire-partenaire qu’est le PS. Certains élus de part et d’autre se retrouvent dans les mêmes coteries.
Enfin, passant des « valeurs » à la tactique, qui est le vrai sujet, le Grand Maître se plaint qu’un tapis rouge soit déroulé sous les pieds de Marine Le Pen. On peut naïvement croire que les médias soient plus ouverts devant la fille, et son entourage, qu’il ne le furent devant le père, en raison d’un discours plus politiquement correct, plus conforme à l’idéologie dominante dans le microcosme sur les questions de société. On peut aussi imaginer la stratégie qui consisterait à favoriser le Front National pour qu’il soit présent au second tour des Présidentielles face à un candidat de gauche. L’impuissance du pouvoir tiendrait alors du calcul. Le développement d’une violence et d’une délinquance communautaires, sa capacité à régner dans certains quartiers le temps d’une émeute ou en permanence, sans que les réactions policières et judiciaires soient proportionnées, soulèvent l’inquiétude. Le surcroît d’attention donnée aux migrants et à leurs croyances, l’empressement à les accueillir, l’incapacité à les expulser, malgré les décisions de justice scandalisent. Certaines situations comme celles de Calais, d’où l’on éloigne quelques migrants en avion, pour un coût prohibitif, révoltent. Autant de chiffons rouges pour nombre d’électeurs. Mais les sondages actuels semblent démentir cette hypothèse puisqu’ils prévoient une élimination de la gauche et un retour du balancier. L’appel au « Front républicain » tout drapé qu’il est de hauteur morale n’est donc qu’une supercherie de plus dans le jeu qui remplace la politique. On s’attache à qui va gouverner plus qu’à ce qu’il fera, tout en sachant que l’élu ne tiendra pas les promesses du candidat. Il est pourtant plus important pour la France de savoir ce dont elle a impérativement besoin que de savoir qui va la gouverner. Le Front Républicain, comme le « ni-ni » écartent à l’évidence cette question. C’est le plus sûr moyen de pérenniser le déclin avec ceux qui en sont les instruments.
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