L’annonce de la candidature d’Alain Juppé à la primaire UMP pour les présidentielles peut ne pas surprendre. Une telle position paraît normale dans le jeu subtil qui oppose les grands barons du parti. Il n’en demeure pas moins que la déclaration rabat les cartes et tend à rendre plus délicate la rentrée de Nicokas Sarkozy. Avec le temps, ce dernier fait de moins en moins figure de candidat « naturel » incontestable. Pire : l’annonce d’Alain Juppé pousse à marginaliser celui qui ne cherche pas à contourner les primaires de l’UMP. Pour Nicolas Sarkozy, 2014 ne pourra être un remake de 2004. Entre-temps, il y eut un quinquennat, l’usure du pouvoir et une défaite qui sonne le glas des espérances de 2007… Nicolas Sarkozy n’est plus une nouveauté dans le marché politique. Ses électeurs le connaissent bien. Ils l’avaient élu sur des qualités supposées : ils ont eu l’occasion de voir ses défauts. En long, en large et en travers.
Inversement, en tout point, Alain Juppé a suivi une trajectoire inverse à celle de Nicolas Sarkozy. Alors qu’il a commencé par des affaires judiciaires, par une contestation de sa figure de candidat naturelle de la droite, il termine la décennie 2004-2014 par l’image du sage que les épreuves ont renforcé. Les Français ont tellement vu les défauts du personnage qu’ils veulent aussi reconnaître ses qualités. Alain Juppé à suivi un parcours difficile : en 2004, il était l’homme malmené et écarté, traînant le boulet du personnage rigide et têtu. Il devait alors se résoudre à l’ascension de Nicolas Sarkozy. Or, c’est ce dernier qui termine difficilement : affaires judiciaires, image écornée par l’usure d’un quinquennat cacophonique, caractère « naturel » de la candidature fortement contesté, etc. Nicolas Sarkozy a cessé d’être un produit neuf.
Si Alain Juppé est l’homme des grèves de 1995, l’infortuné Premier ministre qui réduisit le premier mandat de Jacques Chirac a deux années effectives, mais aussi le dauphin écarté par des affaires judiciaires, il n’en reste pas moins que sa popularité et sa notoriété font de lui une figure incontournable à défaut d’être incontestable.
“Il n’y a plus de candidat de droit divin à l’UMP. François Fillon ne semble pas complètement l’avoir compris. Nicolas Sarkozy risque de le vivre à ses dépens.”
Autre aspect qu’il convient de noter : Alain Juppé a compris qu’il ne fallait pas s’endormir sur des sondages flatteurs, atout que le temps peut transformer en redoutable épine. C’est bien ce qui arriva à François Fillon. L’échec de novembre 2012, sa contestation de la courte victoire de Jean-François Copé, puis ses rancœurs à l’égard d’une élection jugée volée sont proportionnelles à cette confiance initiale causée par la popularité médiatique. Le résultat est que cette bonne image endormit l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy qui n’a cessé de ruminer sur cette victoire perdue. Alain Juppé a compris l’inverse : la popularité ne doit pas conduire à l’inaction et le temps peut devenir un boulet. Il n’y a plus de candidat de droit divin à l’UMP. François Fillon ne semble pas complètement l’avoir compris. Nicolas Sarkozy risque de le vivre à ses dépens.
Il est difficile de dire de qu’il adviendra de cette candidature, ni même si Alain Juppé sera effectivement le candidat de l’UMP aux présidentielles. Il est encore plus difficile de savoir si Alain Juppé sera, en fin de compte, élu président de la République en 2017. Mais il n’empêche que cette annonce fragilise Nicolas Sarkozy qui devra se battre sur plusieurs fronts, alors qu’il pensait déterminer librement les conditions de son retour en politique. Or, à plus un égard, cette rentrée lui a été dicté sous l’effet de circonstances indépendantes de sa volonté : garde à vue, puis candidature d’Alain Juppé, sans parler de la distance prise dans son camp (contestations de Xavier Bertrand, etc.). Plus elles se multiplieront, plus elles fragiliseront Nicolas Sarkozy. Dans le pire des cas, il risque de terminer avec le dernier carré de fidèles composé de sarkozystes historiques, de jeunes loups ambitieux et de militants nostalgiques plus aptes à applaudir sans retenue qu’à réfléchir sur un quinquennat dont les conséquences sont loin d’avoir été tirées (si dans sa bonhomie Hollande renoue avec Chirac, dans sa manière d’exercer sa fonction, il est bien le successeur de Nicolas Sarkozy : immixtion directe dans la scène politique, méthodes clivantes, maladresses courantes, etc.).
On peut aussi ironiser sur l’âge d’Alain Juppé (69 ans aujourd’hui et 72 ans et 2017). On rappellera que Ronald Reagan fut élu président des États-unis d’Amérique a l’âge de 69 ans ou que Mitterrand le fut à 65 ans. Inversement, comme Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy a beau être arrivé jeune a la magistrature suprême – qui plus est du premier coup -, il ne put éviter une défaite qui risque de sonner le glas des ambitions futures. Inversement, Ronald Reagan fut réélu en 1984 et Mitterrand, tout comme Chirac, ne fut élu Président qu’après deux premières tentatives infructueuses (au passage, on peut rappeler que si Alain Juppé ne s’est jamais présenté aux présidentielles, la dissolution ratée de 1997 et la relégation de 2004 due aux démêlés judiciaires peuvent s’apparenter à ces « tentatives infructueuses », ces embûches qui font du Président un homme aguerri ; le maire de Bordeaux a bien mangé son pain noir à travers ces épreuves).
“Ne nous leurrons pas : si elle était retenue par l’UMP, la candidature d’Alain Juppé serait celle d’un système aux abois qui ne peut jurer que par des figures consensuelles et modérées.”
Sur le fond, Alain Juppé incarne une figure centriste qui interviendrait après l’expérience de deux quinquennats clivants : celui de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande. Elle correspondrait à une solution idéale pour une élite qui redoute la progression continue du Front national, s’interrogeant sur un système de « grande coalition » similaire à ce qui a été pratiqué en Allemagne.
Ne nous leurrons pas : si elle était retenue par l’UMP, la candidature d’Alain Juppé serait celle d’un système aux abois qui ne peut jurer que par des figures consensuelles et modérées. Alain Juppé rassemblerait les centristes de l’UMP et les sociaux-démocrates déçus du quinquennat Hollande qui ne veulent pas des extrêmes et subissent l’implosion molle de leur formation politique. Au passage, ce serait même la concrétisation post-mortem du rêve de François Bayrou visant à dépasser l’opposition entre le PS et l’UMP. Si la candidature de manuel Valls est, à gauche, la candidature la plus « UMP-compatible », celle d’Alain Juppé serait la plus « PS-compatible ». Cela constituerait donc la fin du faux clivage idéologique PS-UMP et le début d’une configuration opposant non plus la droite à la gauche, mais les modérés aux extrêmes. Un clivage sociologique et géographique opposant ainsi les centres urbains aux périphéries délaissés, les cadres bien portants aux ouvriers abandonnés, etc.
Ce faisant, le système de la Ve République quitterait la perspective de la bipolarisation pour épouser une configuration digne de la IVe République : celle de la Troisième force. Troisième force qui a signifié le choix du MRP, des radicaux et de la SFIO de défendre la République face aux extrêmes que furent alors les gaullistes et les communistes. Troisième force qui pourrait signifier, cette fois-ci, l’alliance des centristes de gauche, du centre et de droite pour barrer la route au FN, au Front de gauche et autres partisans d’une alternative économique et sociale C’est à mon avis sur cette perspective présidentielle que devraient réfléchir les analystes les plus critiques. Le système gouverne mal, mais il se défend bien. Son discrédit ne l’empêchera pas de trouver des solutions inédites pour se maintenir quitte à verrouiller davantage. Alain Juppé pourrait être une figure idéale.
19 Comments
Comments are closed.