Alors que les élections européennes se rapprochent à grands pas et que sont louangées dans les chœurs baroques de listes électorales bigarrées les Grandes Valeurs Humanistes de nos démocraties occidentales, deux faits divers récents entrent vigoureusement en collision l’un dans l’autre et nous fournissent ainsi une excellente illustration de l’état de déliquescence avancé de plusieurs piliers régulièrement mis en avant par la République Française.
Le premier fait divers est celui qui agite actuellement une bonne partie des réseaux sociaux ainsi que cette frange la plus agaçante de la classe politique jacassante dont le niveau de décibels est largement supérieur à sa capacité d’action réelle : un facétieux rappeur, au talent visiblement très surestimé, a trouvé un habile moyen de faire parler de lui en multipliant les provocations d’adolescent faussement rebelle dans ses dernières productions sonores et vidéos.
Nick Conrad (attention aux typos dans la dernière syllabe, l’impair est vite arrivé) a décidé cette fois-ci de « baiser la France jusqu’à l’agonie », ce qui n’a pas manqué de faire partir en émois outrés plusieurs politiciens, comme Castaner ou Bellamy, dont la solidité argumentative permet d’immédiatement relever le niveau.
Par retour de flammes, cela a évidemment entraîné la contre-réaction d’une partie des médias et d’autres politiciens du bord politique opposé, candidats malheureux et inaudibles à une élection sans intérêt, qui se sont trouvés trop heureux d’utiliser cette polémique grotesque pour enfin faire parler d’eux, entre l’ingurgitation d’un ou deux kebabs festifs.
L’indignation devant les textes pourtant indigents du rappeur ne vient pas de nulle part : ce dernier était auparavant l’auteur d’une autre bouillie artistique où il recommandait chaudement de « pendre les Blancs » dans ce qu’on pourrait aisément qualifier de tentative désespérée d’enfin sortir d’un anonymat aussi minable que peu rémunérateur. Cette tentative lui vaudra d’ailleurs des poursuites en justice qui se traduiront par une amende de 5000 euros avec sursis.
Il n’est donc pas étonnant que nos habituels outrés en viennent à réclamer, d’urgence, l’intervention de la justice pour enfin faire fermer son clapet au piètre prosateur.
Parallèlement et dans un tout autre domaine, on apprend que la CGT a trouvé intelligent d’empêcher cette semaine la parution de plusieurs hebdomadaires, dont le Point, dans les kiosques du pays. Bien que le syndicat s’en défende officiellement, beaucoup ont vu dans cette démarche une façon sinon subtile au moins efficace de saboter la couverture médiatique fournie par le magazine au dirigeant italien, Matteo Salvini. S’ensuivent les inévitables démentis des uns et des autres, finement fact-checkés par la fine troupe de journalistes de terrain que la presse, pas du tout acquise aux thèses gauchistes, produit avec une cadence et une précision quasi-industrielle.
Il n’en reste pas moins que la CGT a bel et bien empêché la parution de plusieurs hebdomadaires. Que ce soit pour des raisons éditoriales ou pour une lutte prétendue contre une réforme dans la distribution de la presse, le résultat reste le même : la liberté de la presse plie devant celle d’un syndicat que rien ni personne ne semble pouvoir empêcher de nuire.
Comme je le laissais entrevoir en introduction, la juxtaposition de ces deux faits divers franco-français donne, dans cette collision amusante de l’actualité, une idée assez précise de ce que valent vraiment « Les Valeurs de la République », ou ces fondements démocratiques des sociétés modernes dont on nous tympanise régulièrement sur toutes les ondes, notamment à l’approche d’un défouloir électoral.
Ainsi, parmi ces valeurs, on trouve assez naturellement cette notion d’égalité qui a bien vite tourné à l’aigre de l’égalitarisme et causé tant de mal dans le pays. Ici, cependant, pas question d’en avoir trop : si, bien sûr, on s’offusque bruyamment des saillies de Conrad, rares sont les pépiements outrés contre la CGT. Encore une fois, la CGT bénéficie ici d’une mansuétude typique des régimes corrompus qui s’accommodent fort bien de traitements privilégiés pour certains des siens dont ils savent qu’ils ne sont pas dangereux (au contraire, même).
Les valeurs démocratiques encensaient jadis la liberté d’expression. On se gardera bien de rappeler ce principe lorsqu’il s’agira de faire taire le mauvais artiste. Et si Benoît Hamon en appellera quand même à des comparaisons franchement hardies entre Conrad et Brassens, c’est pour tenter de camoufler son nanisme politique et grappiller ainsi quelques secondes d’attention médiatique dans une campagne qui l’en a lourdement dépourvu. La notion même de liberté d’expression n’est pas évoquée. Quant à la liberté d’expression du Point ou des autres magazines interdits de fait par la CGT, on pourra s’asseoir dessus.
Dans ce fatras, on ne s’étonnera pas non plus du silence compact de toute la joyeuse troupe des féministes de combat qui sont pourtant toujours promptes à monter au combat lorsqu’un mâle blanc cis de 40 ans vient à déraper malencontreusement dans l’un ou l’autre de ses propos. Las. Le rappeur, malgré sa mise en scène de viol et de meurtre, semble échapper à toute rodomontade des hordes habituelles. Le CRAN, la LICRA ou les myriades d’associations lucratives sans but papillonnant autour de ces thèmes comme des lucioles autour de l’argent du contribuable cramé dans un grand feu de joie ne sont semble-t-il pas du tout concernées par la question. Peut-être Nick Conrad n’est-il pas de la bonne couleur ?
Au passage, notons encore une fois la magnifique illustration de l’effet Streisand par la droite et l’extrême-droite, qui, croyant faire pour quelques politiciens pas trop malins un bel affichage vertuel bien démagogique, fournit surtout à ce médiocre rappeur une visibilité démesurée : l’intelligence n’a jamais fait officiellement partie des piliers d’une démocratie moderne, mais sa disparition n’est jamais bon signe et on peut garantir avec ce genre d’excitations populistes qu’elle ne reviendra pas de sitôt.
Enfin, un pays ne serait pas vraiment foutu s’il avait, quoi qu’il arrive, un système de Justice fort, solide et équitable. Rassurez-vous : ce n’est plus le cas depuis un moment en France et là encore, ces deux tristes affaires le montrent au-delà de tout doute raisonnable : les écarts à la liberté d’expression, maintenant fort (trop ?) encadrée, ne semblent pas conduire à la moindre peine ferme ou au moins dissuasive ; la liberté de la presse est normalement bien fixée, mais personne ne saisira la justice pour les exactions syndicales. Syndicalisme qui, lui aussi, s’entend pourtant dans un cadre bien défini qui semble lui aussi être passé par la fenêtre dans l’indifférence générale.
Jamais dans le monde occidental les libertés civiles n’ont été à ce point attaquées, tant par ceux qui prétendent les représenter et les protéger que par ceux qui font leur commerce de leur cracher au visage. Dans ces attaques, la France ne semble plus du tout à l’arrière, observatrice, mais a pris une place active, au premier rang.
Sans l’ombre d’un doute, ce pays est foutu.
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