C’est un petit rien qui s’est introduit subrepticement dans les nouvelles du jour, un petit droit de plus qui témoigne des progrès, des avancées constantes de notre société, cette cachottière qui en avançant sans cesse nous donne pourtant l’impression de reculer. Le droit de retrait permet d’arrêter le travail sans faire grève. Avec la bonne conscience du devoir accompli, la mine grave, et le front haut, les salariés cessent le travail après avoir prévenu l’employeur, les représentants du personnel ou le… Comité d’Hygiène, de Sécurité et Conditions du Travail. Même dans la fonction publique, il n’est pas nécessaire d’émettre un préavis. Aucune retenue sur salaire ne peut être exercée. Un mauvais esprit y verrait une grève surprise sans risque…
En fait, ce droit défini par un décret de 1982, modifié en 2011, paraît pleinement justifié. C’est son usage et l’abus éventuel qui font question. La notion qui le fonde est le danger, un danger grave et imminent. Lorsqu’un employé estime que ses conditions de travail font peser sur lui un risque pour sa sécurité ou sa santé, il peut logiquement se mettre à l’abri en attendant que son employeur fasse cesser la menace. Il s’agit donc avant tout d’un droit individuel, qui peut être étendu à ceux qui subissent également le même danger. Récemment, des cessations de travail inopinées ont eu lieu au Louvre et à la Tour Eiffel. Les professeurs d’un établissement scolaire dont un élève était menacé en tant que rédacteur du journal lycéen ont également exercé leur « droit de retrait ». Même si la subjectivité est largement admise au profit des salariés, les professeurs n’étaient pas directement visés, les pickpockets qui sévissent aux alentours des sites touristiques parisiens ont proféré des menaces à l’encontre du personnel mais sans aller au-delà. La gravité et l’imminence du danger semblent donc très hypothétiques. Il ne s’agit pas d’un risque d’effondrement, d’une menace d’attentat ni d’une pollution persistante. L’usage du droit de retrait dans ces conditions paraît excessif, mais il témoigne en fait d’un péril véritable : celui des dysfonctionnements de la société française qui la minent en profondeur.
Le tourisme est un des atouts les plus importants de notre pays. Il devrait faire l’objet d’une véritable mobilisation nationale pour l’entretenir, améliorer son accueil, et promouvoir une image positive de notre pays. La fermeture du Louvre et de la Tour Eiffel au nez des visiteurs qui sont parfois venus de très loin et ont payé très cher ce plaisir frustré témoigne d’une indifférence, voire d’un mépris à leur encontre. Elle montre aussi l’insouciance envers la réputation de la France. Mais ce jugement risque d’être contagieux. Pourquoi les salariés utilisent-ils cette procédure ? Pour interpeller leur employeur et plus généralement le pouvoir sur une situation qui est inacceptable. Car l’absence de motivation et de réactivité se situe bien à ce niveau. Les employeurs se contentent d’alerter les clients ou les usagers. La police enregistre des mains courantes. Bref les visiteurs chinois auront pour certains le souvenir d’avoir été dépouillés par un bande de voyous, et pour d’autres d’avoir admiré la Tour Eiffel d’en-bas. Aucune politique cohérente et volontariste n’est mise en oeuvre pour lutter contre ce fléau, parce que chacun est déjà « en retrait » dans le fonctionnement mécanique de la corporation qui est la sienne. L’idée qu’on puisse, au nom de l’intérêt national, mobiliser les énergies et déployer des mesures cohérentes paraît à la fois épuisante et illusoire. Une telle inertie révèle la fatigue d’un pays qu’un choc salutaire doit absolument réveiller.
Actuellement, la chaîne de l’énergie nationale est rompue. Chaque maillon songe à lui d’abord. Rétablir l’unité et la cohérence de l’action publique en matière de sécurité doit être une priorité. Toutefois, cette perspective, qui semble une exigence du bon sens, réclame un bouleversement des habitudes prises, des pratiques dans lesquelles notre pays s’est fourvoyé, notamment en soumettant la volonté politique aux mailles de plus en plus serrées d’édifices juridiques qui paralysent son action. L’Etat de droit ne doit pas conduire à une impuissance de l’Etat et à une prolifération des situations illégales. Dans une démocratie véritable, le peuple doit être souverain et doit pouvoir décider par ses représentants élus, qui peut séjourner sur son territoire, quelles peines simples ou doubles encourent ceux qui y pénètrent illégalement ou y commettent des méfaits. La Justice doit appliquer la Loi nationale qui résulte de la volonté populaire. L’administration devrait pouvoir directement rendre les faits conformes au droit. L’expulsion systématique et l’interdiction du territoire pour les réseaux bien connus de pickpockets étrangers, européens ou non, la punition sévère des nationaux, y compris mineurs sont des mesures indispensables. Elles justifieraient des actions policières actuellement découragées par la vanité de leurs résultats.
En quelques lignes, c’est d’une révolution dont il s’agit. Mais sans elle, notre pays n’en finira pas de descendre les marches d’un passé dont les étrangers viennent avec gourmandise visiter les vestiges encore resplendissants : Versailles, le Louvre, la Tour Eiffel…
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