Deux événements politiques à venir pourraient déclencher une nouvelle, et plus dangereuse que jamais, phase de la crise des dettes souveraines en Europe.
Article publié par The American, la webrevue de l’American Enterprise Institute, et traduit de l’anglais par Philippe Deswel avec l’aimable autorisation de l’auteur. Titre original : The Next and More Serious Phase of the European Crisis.
Par Desmond Lachman* – Les marchés sont de nouveau obsédés, et à juste titre, par les perspectives médiocres de croissance économique de l’Italie et de l’Espagne, comme en témoignent les rendements nettement plus élevés des obligations d’État pour ces deux pays. Ils semblent pourtant avoir occulté deux événements politiques à venir qui pourraient ouvrir la voie à une nouvelle étape préoccupante pour la crise de la zone euro. Le premier est l’élection présidentielle française, dont le second tour aura lieu le 6 mai. Le second correspond aux prochaines élections législatives en Grèce, qui auront lieu le même jour, et qui pourraient entraîner la formation du plus faible des gouvernements grecs.
Cette semaine, le FMI a révisé ses prévisions économiques pour l’Italie et l’Espagne d’une manière qui ne fera qu’accroître la pression des marchés, en reflétant une profonde préoccupation quant aux perspectives de rétablissement à long terme du caractère soutenable de la dépense publique dans ces deux pays. Dans la version révisée de ses Perspectives économiques mondiales (le World Economic Outlook), le FMI s’attend maintenant à ce que les politiques d’austérité aujourd’hui mises en place dans ces deux pays se traduisent par une baisse de près de 2% de leur PIB en 2012.
« La dernière chose dont la crise de la dette européenne a besoin maintenant, ce sont des événements politiques déstabilisants. Pourtant, c’est ce qui est bien susceptible de se produire en France et en Grèce dans les prochaines semaines »
Pire encore, le FMI prédit que la récession économique, qui s’aggrave en Espagne, pourrait saper les efforts du gouvernement espagnol pour réduire le déficit budgétaire, dont le FMI s’attend à ce qu’il reste aux alentours de 6% du PIB en 2012 et 2013. De même, le FMI estime que le ralentissement de l’économie italienne est susceptible d’empêcher ce pays de stabiliser son ratio de dette publique/PIB, que le FMI prévoit maintenant en progression à 124% du PIB en 2013.
Dans ce contexte économique morose pour la troisième et la quatrième économie d’Europe, la dernière chose dont la crise de la dette européenne a besoin maintenant, ce sont des événements politiques déstabilisants. Pourtant, c’est ce qui est bien susceptible de se produire en France et en Grèce dans les prochaines semaines.
En France, François Hollande, candidat du Parti socialiste, consolide son avance dans les sondages contre le Président sortant, Nicolas Sarkozy. Pendant ce temps en Grèce, les sondages suggèrent que le Nouveau Parti Démocratique et le PASOK, qui forment la coalition actuellement au pouvoir, auraient de la chance de conserver la plus mince des majorités avec un Parlement nouvellement élu. Dans le même temps, les partis politiques rattachés à la gauche dure recueillent presque autant de voix que leurs rivaux centristes, tandis que le nombre de partis politiques représentés dans le Parlement grec pourrait passer de 5 aujourd’hui à 9. Des partis d’extrême-droite et d’extrême-gauche sont susceptibles de dépasser le seuil minimum fixé à 3% pour être éligible à la représentation parlementaire.
« L’aspect significatif d’une élection de François Hollande en France ne devrait pas être sous-estimé »
L’aspect significatif d’une élection de François Hollande en France ne devrait pas être sous-estimé, notamment pour la trajectoire à venir de la crise de la zone euro. Et pas seulement parce qu’il existe un risque de collision avec la politique européenne de la chancelière allemande Angela Merkel. Le candidat socialiste insiste en effet lourdement pour qu’en Europe, les politiques économiques soient davantage axées sur la croissance. Aussi, le pacte fiscal européen récemment adopté devrait être, selon lui, ré-ouvert aux négociations. Au contraire, l’insistance de François Hollande sur un impôt sur le revenu de 75% dans la tranche d’imposition la plus élevée et sa guerre déclarée contre le système financier sont peu susceptibles d’être bien accueillies par les marchés. Dans ce contexte, Hollande se rappellera peut-être comment les marchés ont sauvagement puni François Mitterrand en 1981-82 pour ses politiques économiques et financières peu orthodoxes.
De même, la mise en place d’un gouvernement faible en Grèce aurait un effet non négligeable sur la crise des dettes souveraines. Elle ne ferait que renforcer l’intuition des marchés selon laquelle la Grèce ne serait tout simplement pas capable d’apporter des résultats sur le respect des conditions du second plan de sauvetage fraîchement négocié avec la Troïka, et en particulier dans le scénario d’un effondrement de l’économie grecque. En particulier, les marchés sont susceptibles, et à raison, d’être sceptiques quant à la capacité du nouveau gouvernement grec à procéder à hauteur de 5,5% du PIB en coupes budgétaires pour 2013 et 2014, qui sont censées recueillir l’approbation du Parlement d’ici… Juin !
Les marchés risquent aussi de fortement douter que la Grèce puisse mettre en œuvre les réformes structurelles radicales et douloureuses sur lesquelles ses partenaires européens et le FMI se montrent insistants. Et si le gouvernement grec ne peut pas tenir ses promesses, ce ne sera plus qu’une question de temps avant que la Grèce fasse défaut sur ses emprunts contractés auprès du FMI et de la BCE. Un tel évènement pourrait déclencher un nouveau cycle de contagion s’étendant au reste de la périphérie européenne.
Tous ces éléments doivent être très déconcertants pour l’administration Obama, qui, jusqu’à récemment, avait espéré, avec les gouvernements européens, que l’intervention forte en décembre dernier de la BCE, à travers son opération de refinancement à long terme (LTRO), avait endormi la crise européenne. Au lieu de cela, les récessions économiques s’amplifient à travers les pays périphériques, et l’incertitude politique grandit dans plusieurs grands pays européens, avec de graves conséquences systémiques pour l’économie mondiale. Le président Obama est sur le point de comprendre à quel point six mois peuvent être longs.
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*Desmond Lachman a rejoint l’American Enterprise Institute après avoir servi comme Directeur chez Salomon Smith Barney. Il a auparavant été Directeur adjoint au FMI, Professeur à l’Université de Georgetown et à l’Université John Hopkins. Il est diplômé d’un doctorat (Ph.D.) en économie de Cambridge.
Cet article a été publié en partenariat avec Le Bulletin d’Amérique.
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