Rejet de la pétition de la «Manif pour Tous». Déni de droit ?

Tribune libre de Gabriel Privat*

Coup d’État de Bonaparte, le 18 brumaire An VIII.

Il est heureux que le ridicule n’ait encore jamais tué personne. Dans le cas contraire, le communiqué publié par le Conseil économique et social ce 26 février aurait bien pu mettre fin à la brillante carrière des membres de son bureau.

Ce jour, en effet, le Conseil a déclaré irrecevable la pétition déposée par les membres du collectif “La manif pour tous » demandant un avis sur le projet de loi ouvrant l’institution du mariage à deux personnes de sexe identique. Pourtant, les conditions formelles de la saisine étaient réunies, comme le rappelle le communiqué avec honnêteté. Avec 700 000 signatures et une procédure contrôlée par un huissier, l’inverse aurait été surprenant.

C’est donc sur le fond que le Conseil a rejeté la saisine. En effet, d’après lui, le Conseil ne peut être saisi par voie de pétition sur un projet de loi. Il cite l’article 69 de notre Constitution, dont voici les dispositions :

« Le Conseil économique, social et environnemental, saisi par le Gouvernement, donne son avis sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de lois qui lui sont soumis.

Un membre du Conseil économique, social et environnemental peut être désigné par celui-ci pour exposer devant les assemblées parlementaires l’avis du Conseil sur les projets ou propositions qui lui ont été soumis.

Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition dans les conditions fixées par une loi organique. Après examen de la pétition, il fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner. »

L’article dispose en effet que le Gouvernement peut saisir le Conseil sur les projets de loi et ne le précise pas pour les pétitions. Mais il n’y a pas non plus de disposition contraire à cette voie de saisine. La lecture de l’article fut donc extrêmement restrictive. On devine bien que cette décision fut politique et que l’argument de droit n’était que l’heureux prétexte.

L’article 69 renvoie à une loi organique pour plus de précisions. Mais la loi organique en question, du 29 juin 2010, ne précise rien de plus dans le domaine de la saisine populaire.

“Ainsi, alors que tous les éléments concordaient pour permettre de vivre un réel moment de démocratie participative souhaité par cette institution ; alors qu’une occasion s’offrait à lui d’affirmer un poids réel qu’il n’a jamais eu, le Conseil économique et social a choisi de laisser passer l’occasion, fidèle à ses maîtres, infidèle à ses ambitions proclamées.”

Nous sommes donc dans le flou. Flou que le Conseil a décidé d’utiliser dans le sens qui complaisait au gouvernement. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de déni de droit.

Par contre, peut-être peut-on parler de déni de démocratie. En effet, tous les éléments sont rassemblés pour que l’on puisse parler d’une situation relevant de la démocratie. Il s’agit d’une saisine citoyenne. Le seuil fixé, 500 000 signatures, a été largement dépassé avec près de 700 000. Il s’agit de l’usage d’une opportunité nouvelle ouverte par la révision constitutionnelle de juillet 2008 et dont le but était d’élargir la vie démocratique en France par la participation des citoyens. Cette saisine était par ailleurs une première, donc un grand moment de vie démocratique, en ce sens qu’il s’agissait d’un phénomène inédit de participation populaire. Cette opportunité correspondait au souhait du Président Hollande d’affermir le poids du Conseil économique et social. Cette opportunité offerte, le Conseil aurait d’autant plus dû la saisir que, dans son communiqué de presse, il se qualifie, avec outrance et sans peur de l’exagération, de « troisième assemblée de la République », lui qui n’est pas élu et dont la voix est consultative…

Ainsi, alors que tous les éléments concordaient pour permettre de vivre un réel moment de démocratie participative souhaité par cette institution ; alors qu’une occasion s’offrait à lui d’affirmer un poids réel qu’il n’a jamais eu, le Conseil économique et social a choisi de laisser passer l’occasion, fidèle à ses maîtres, infidèle à ses ambitions proclamées.

La pilule serait simplement amère à avaler si par ailleurs le Conseil ne s’était pas couvert de ridicule en envisageant, au terme de son communiqué, la possibilité d’une auto-saisine. Il faut pourtant choisir ; la saisine populaire est-elle irrecevable ? Si oui, pourquoi le Conseil envisage-t-il une auto-saisine ? Sans doute sera-t-elle d’ordre général sur les questions de famille, mais dès lors elle ne pourra se faire qu’après le vote du projet de loi. Quelle sera son utilité ? Nulle.

Non content de bafouer la démocratie dont il prétend être un représentant, le Conseil économique et social prend les Français pour des imbéciles.

Mais au-delà de la question de ce projet de loi, le problème est bien plus grave ; quelle valeur a ce Conseil ? Quelle valeur a la participation citoyenne à la vie démocratique en France ? Elle compte pour bien peu de choses à la vérité, lorsqu’elle n’est plus dans la ligne attendue par les élites qui gouvernent le peuple.

*Gabriel Privat est professeur d’Histoire. Il anime un blog.

Du même auteur :
> Armes et libertés

Lire aussi :
> Dénaturation du mariage : Peu d’espoir du côté du CESE. Mais du Sénat ?
> Saisine du CESE : Ne pas se faire d’illusions

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99 Comments

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  • Hugues , 27 février 2013 @ 10 h 10 min

    Ce pouvoir occulte existe depuis bien plus longtemps que vous ne l’imaginez. Elle remonte au minimum à l’époque de la confrérie du Serpent et a traversé les siècles.

    Mais voilà; il ne faut pas tout mélanger. Il y a chez les trois points, comme partout ailleurs, ceux qui oeuvrent pour l’évolution de l’humanité et ceux qui oeuvrent pour son involution. Ces derniers sont extrêmement dangereux. Le drame est qu’ils sont de plus en plus nombreux et donc de plus en plus influents…

  • François2 , 27 février 2013 @ 10 h 22 min

    Les manifestations de Novembre, Janvier (plus d 1 million), Mars, la pétition (700.000), tout est utile. Cela justifiera pleinement le recours au référendum dès que cela sera possible

  • Charly , 27 février 2013 @ 10 h 23 min

    En Italie, le résultat des élections fait beaucoup plus trembler l’oligarchie merdiatique que deux millions de marcheurs.

  • François2 , 27 février 2013 @ 10 h 30 min

    Oui, si l’UMP reste l UMPS. Cela confirmera ce que disait l académicien Maurice Druon : “En France il ya deux grands partis de gauche ; l un d eux s appelle, par convenance, la droite”. Il faut que les Français qui votent UMP refusent un jour de voter pour un parti qui n est pas de droite. Et c est malhonnête pour l UMP de faire croire qu il est à droite. Il doit se présenter comme centriste. Un centre mou : un coup à droite, un coup à gauche, sans convictions.

  • Komdab , 27 février 2013 @ 10 h 31 min

    Cher Jean Marc, je tiens à vous faire partager mon avis car beaucoup de vos affirmations sont fausses.

    MLP n’a certainement rien de Jeanne d’Arc, néanmoins sur le mariage homo sa position et la position officielle du FN a été très claire et nette dès le début : très fermement opposé au projet de loi. Il y a même eu de nombreux communiqués, des communiqués de membres du parti s’exprimant à titre personnel et des communiqués officiels du parti (rappelons au passage que l’UMP, en tant que parti, n’a pas exprimée son opposition de manière officielle).

    Ce qui a été dit également par MLP c’est que ce projet de loi est le fait d’une minorité pour une minorité et que le gouvernement s’en sert pour enfumer les Français et faire oublier les autres sujets qui les préoccupent. Je suis également très opposé au projet de loi et j’étais présent à toutes les manifs, mais je suis entièrement d’accord avec MLP, cela reste de l’enfumage de la part du gouvernement. Tout le monde ne s’en rend pas compte.

    Si vous ne l’avez pas beaucoup entendu c’est sans doute pour 2 raisons : Elle n’a pas accès au médias en claquant des doigts comme peuvent le faire les gens des Copé ou des Fillons. Certes d’avantage que son père mais c’est pas encore ça. Du coup il faut aller à la pêche aux informations, sur le site du FN vous trouverez moult vidéos et communiqués et là vous pourrez l’entendre.

    “MLP copine de Mélenchon..” comme le dit l’auteur de la tribune, heureusement que le ridicule ne tue pas. Ils sont opposés sur tous les sujets, immigration, économie, famille, écologie et surtout l’idéologie n’a rien à voir. Même au sujet de l’anti-capitalisme ils s’echarpent, Mélenchon est un gars du système, c’est un agitateur, un pantin qui finira toujours par voter PS au 2ème tour.

    Pour finir vous utilisez l’argument choc de “l’héritière”, d’ailleurs c’est amusant, c’est l’argument préféré de Mélenchon ! Non Jean-Marc, ce n’est pas parce qu’elle est la fille de son père qu’elle a hérité du parti. Elle a été élue à 70% par les adhérents du parti. Que faut-il qu’elle fasse de plus ? Je comprends que ce soit agaçant de voir une élection interne se passer aussi bien, surtout quand on compare avec le spectacle affligeant de Copé et Fillon.
    C’est TOUT.

  • Charly , 27 février 2013 @ 10 h 33 min

    Il faudrait d’abord qu’elle explique comment elle compte s’y prendre pour supprimer cette loi, et ce qu’elle compte faire des “mariages civils” célébrés dans les mairies durant la période 2013-2017, des adoptions par les couples homosexuels, des enfants nés par PMA et GPA, comment elle compte faire en cas de condamnation de la France par la cour européenne, etc.
    Le sait-elle seulement ? Sur tous ces points précis, on reste dans le flou le plus complet.
    Affirmer “Moi présidente, je ferais ci ou çà”, on en voit ces temps-ci les limites.

  • François2 , 27 février 2013 @ 10 h 35 min

    La démocratie de toutes façons n’existe pas : c est un fantasme. Taubira l a bien précisé à la téléviosion le lendemain du 13 Janvier : “Nous sommes en démocratie encadrée”.

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