« L’Histoire se répète, d’abord comme une tragédie, ensuite comme une farce ». Cette phrase de Marx illustre aujourd’hui parfaitement la signature par Mme Merkel et M. Macron du traité d’Aix-la Chapelle. La date ne doit rien au hasard. C’est le 22 Janvier 1963, que Charles de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer signèrent le Traité de l’Elysée destiné à établir une coopération accrue entre la France et l’Allemagne. Il est manifeste que le choix de ce jour a été dicté par la volonté des deux dirigeants de se placer dans la perspective de leurs illustres prédécesseurs. Chacun aura reconnu le sens de la mise en scène du président français, et les références théâtrales de Marx tombent juste. La première signature a été doublement une tragédie. D’abord parce que les personnages, tous deux acteurs de la vie de leurs nations plongées dans la tourmente, confrontés au nazisme, et attachés au redressement de leurs pays, avaient une stature de tragédie, et qu’ensuite, ce qu’on omet de dire, c’est que la fin ne fut pas heureuse. Le Général de Gaulle, qui venait d’en finir avec le drame algérien, se tournait vers l’Europe et comptait sur la réconciliation franco-allemande pour refaire du continent une puissance mondiale à travers laquelle la France pourrait à nouveau tenir un rôle de premier plan sur la scène mondiale, lestée du poids économique de la République Fédérale, mais entraînant celle-ci sur le chemin de l’indépendance notamment par rapport aux Anglo-saxons. Lorsque le Bundestag ratifia le texte, il le fit précéder d’un protocole qui rappelait tout ce que de Gaulle voulait dépasser : l’appartenance à l’Otan, l’association avec les Etats-Unis, et l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne. Pour de Gaulle, cet additif faisait du traité une coquille vide, un texte inutile, en tout cas vidé de son objectif essentiel.
Le contexte historique justifiait l’ambition de Général. Certes le miracle économique avait redressé l’Allemagne, mais celle-ci était toujours divisée et occupée, tenue à une grande modestie à l’international en raison du poids du nazisme. La France, puissance nucléaire et détentrice d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, délivrée de son fardeau colonial, pouvait prendre l’Allemagne par la main, en profitant d’une supériorité politique qui compensait largement son déficit économique. Ce dernier n’était pas joué. Au début des années 1970, des prévisionnistes comme Herman Khan pronostiquaient que la France, si elle prolongeait sa croissance, dépasserait sa voisine d’Outre-Rhin. Le couple franco-allemand pouvait donc s’émanciper de toute tutelle et réunir des atouts suffisants pour mener une politique indépendante des blocs.
On mesure la distance qui sépare cette époque de la nôtre. Se référer à 1963 est une mauvaise farce dont les objectifs ne sont plus à la hauteur de l’Histoire et du monde, mais au niveau des intérêts de deux dirigeants en perte de vitesse qui veulent ne pas perdre les élections européennes. C’est pourquoi, il s’attribuent une grandeur qu’ils n’ont pas, et répètent un geste susceptible d’émouvoir les foules des deux pays et de réveiller le rêve européen. Que la France et l’Allemagne approfondissent leur coopération et avancent vers une improbable fusion est, soit l’expression d’une volonté sans grande importance, pour faciliter les échanges, pour harmoniser les textes, soit l’annonce d’un projet fumeux qui aura surtout pour effet de braquer les autres Etats européens, choqués d’être mis à l’écart et qui pourront s’appuyer sur le Traité de Lisbonne pour rappeler que celui-ci soumet les coopérations renforcées entre membres à l’aval des autres.
Il ne serait pas outrancier de parler de forfaiture et de trahison dans cette démarche inutile et dangereuse du Président français. La référence à de Gaulle est d’autant plus scandaleuse qu’il s’agit ici d’exactement le contraire de ce qu’il entendait réaliser. Le rapport de forces entre les deux pays n’est plus le même. Les complexes allemands ont disparu. Nous le savons depuis l’aide apportée aux Croates dans l’ex-Yougoslavie. L’Allemagne domine l’économie européenne grâce à sa puissance industrielle appuyée désormais sur une monnaie qui lui est favorable, alors qu’elle ne l’est pas pour les pays du Sud. L’Europe du Nord et de l’Est vit autour d’elle. Ses excédents commerciaux et budgétaires, son chômage inexistant dressent un tableau humiliant pour notre pays dont tous les signaux économiques sont au rouge, et qui voit, jour après jour se démanteler ses fleurons industriels, comme Alstom, par exemple.
Cette fois encore la France signe un traité inégal dans lequel elle donne ce qu’elle a sans en recevoir la contrepartie. La France a un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle fera désormais de l’admission de l’Allemagne, elle-aussi comme membre permanent, une priorité de sa diplomatie. Autrement dit, elle s’engage à se priver d’un avantage comparatif sans aucun bénéfice, bien au contraire. Comme il y a d’autres candidats sans doute plus légitimes que l’Allemagne, tels que l’Inde, on se dit qu’il s’agit d’une promesse de Gascon… Sauf que l’Allemagne pourra demander de partager ce siège avec la France. Après tout, s’il y a échange de ministres aux conseils des deux pays, et chambre commune pour une centaine de députés, ne sera-ce pas naturel ? De même, un Conseil de défense et de sécurité franco-allemand, une coopération plus étroite pour l’industrie et la technologie militaires, y compris nucléaire, une unité d’intervention commune en vue d’opérations dans des pays tiers, une collaboration soutenue entre les deux diplomaties sont autant d’exemples, et malheureusement pas les seuls, qui montrent que la France offre à l’Allemagne ce qu’elle possède dans certains domaines, et se prive au total de sa souveraineté, et de son influence, au profit d’un pays qui ne lui donne rien en échange, et n’aura pas nécessairement les mêmes objectifs qu’elle. Non, le mot trahison n’est pas trop fort !
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