Comme prévu, cette semaine sera consacrée en Europe aux petits soubresauts politiques grecs. Encore une fois, l’Union Européenne va devoir s’adapter à une nouvelle donne plutôt hostile, en se tortillant pour ne pas trop bouleverser l’opinion publique, les marchés, les médias et les institutions elles-mêmes. Et encore une fois, les leçons ne seront pas tirées de ce qui se passe.
Le peuple grec a donc choisi Syriza comme grand vainqueur des élections législatives. Les différents sites d’information épluchent les estimations et résultats au fur et à mesure qu’ils tombent, en insistant au passage sur la nature historique du vote qui vient de se dérouler en Grèce : ni le parti socialiste du cru (PASOK), ni la droite démocrate locale n’ont réussi à réunir assez de voix pour constituer une majorité, même relative, alors que Syriza, d’extrême-gauche, emporte la timbale et s’approche très près de la majorité absolue.
On ne s’étonnera pas de la gêne moite du parti socialiste français à la nouvelle que l’extrême-gauche a remporté les élections grecques, gêne camouflée par les périphrases niaises d’un Cambadélis toujours affûté comme du beurre chaud, « inconditionnellement pour la victoire de la gauche rassemblée », c’est-à-dire pas comme là-bas où avoir sa carte du PASOK doit s’apparenter à une vexation honteuse ou un gage de pilier de bistrot.
On s’étonnera plus du peu de commentaires sur la place du parti nationaliste, Aube Dorée, qui dépasse tout de même de façon sensible le score du PASOK, ce qui donne une bonne idée de l’ampleur de la branlée qu’il a ramassée. Peut-être serait-il inconvenant pour nos journalistes français d’enfoncer à ce point le couteau dans une plaie aussi douloureuse (et puis, Cambadélis est probablement à court d’ellipses enrobantes, je suppose).
Mais finalement, peu importe : le pays va maintenant avoir une ligne claire, un programme limpide, un chef évident (Alexis Tsipras, le leader de Syriza), et va se sortir de l’ornière dans laquelle il était tombé en 2010 suite à la crise de la zone euro, en faisant de petits bonds comme un jeune cabri sur les pentes rocailleuses et léchées par le soleil méditerranéen des paisibles îles grecques. C’est évident. Youpi, l’austérité, c’est fini.
Mais si, voyons. Rappelez-vous : l’austérité, qui a essentiellement consisté à tabasser les classes moyennes d’impôts et à faire des petites coupes cosmétiques dans les services sociaux et les dépenses des administrations pour donner le change aux institutions internationales, va laisser la place à un beau programme flambant neuf, très peu servi et franchement innovant, grossièrement basé sur l’ouverture de nouveaux sprinklers à pognon.
Plus en détail, le parti Syriza (une coalition de partis divers et variés, en réalité, mais tous délicieusement marxistes, collectivistes ou assimilés, hein, n’oublions pas nos fondamentaux) envisage d’appliquer les propositions suivantes.
D’une part, une coupe franche d’une partie des remboursements de la dette grecque, sur le mode « On devait de l’argent ? Eh bien on refuse, et puis c’est tout. » Notez que ce n’est pas tout à fait nouveau en Grèce, c’est même plutôt une habitude. Inutile de dire que cette excellente idée va donner de jolis frissons aux détenteurs de bons grecs. Ne rigolez pas trop, les banques et institutions françaises ouallemandes en ont gobé un bon paquet, et même si elles se sont départies d’une grosse partie (sur la BCE, notamment), il reste encore pas mal de cadavres dans pas mal de placards. Des remous financiers sont donc à prévoir.
D’autre part, un programme de gauche ne serait pas vraiment un programme de gauche sans la distribution automatique et gratuite de bonbons divers et variés. C’est le cas avec Syriza (qui a une réputation à tenir en matière de populisme, zut alors) qui ajoute à son package financier un volet « électricité gratuite », une annulation de certains prêts bancaires pour les plus modestes, des aides étatiques pour les dépenses alimentaires ou de loyers, le retour aux douces années d’assurance maladie « gratuite » (payée par les autres, européens surtout), des créations massives de jobs publics, et — bien sûr — l’augmentation des pensions versées afin de rattraper les coupes actées depuis 2010.
Tout ceci sera financé grâce aux énormes excédents budgétaires qui… que… enfin bon, disons, pour innover, qu’on va taxer les riches (je vous le rappelle, c’est un programme tout nouveau, jamais vu à la télé, inédit, mérite l’essai, etc.). Bref : ça va forcément bien marcher.
À présent, le chemin est tracé, et il est d’une épuisante banalité.
La première hypothèse — fort hardie — est bien sûr que les nouveaux dirigeants grecs, pas complètement dépourvus de toute lucidité, renoncent à leurs lubies électoralistes et populistes (je vous avais dit qu’elle était hardie) ; un « bon » vent de sociale-démocratie molle souffle alors sur la Grèce qui continuera donc de vivoter aux crochets de l’Europe en faisant semblant d’appliquer un programme inabordable. La situation ne s’améliorera évidemment pas pour les Grecs, qui pourront continuer à accuser l’ultra-turbo-libéralisme, mais permettra de faire durer un statu quo douloureux mais gérable pour pas mal d’autres pays européens. Évidemment, ce chemin n’a rien d’enviable, mais il ménage un peu tout le monde, autour du pays. Hollande pourra s’en inspirer, quand le tour de la France sera venu… En fait, rassurez-vous : même hardie, cette hypothèse reste la plus probable, sur le papier en tout cas.
La seconde hypothèse, un peu moins joyeuse et un tantinet plus rocailleuse dans le parcours, est que les nouveaux arrivants décident qu’après tout, foutus pour foutus, autant y aller carrément. Ils appliquent alors les « bonnes » recettes proposées en amont de l’élection. Le communisme en mélange plein-riche est alors injecté dans le puissant moteur de l’économie grecque qui, immédiatement, vrombit de plaisir. Et explose en vol, comme il se doit : après tout, il s’agit de faire à peu près comme les exemples vénézuéliens ou argentins, mais sans le pétrole de l’un ou les terres arables de l’autre. La situation, déjà pas brillante, passe au carrément sinistre. Sans étonnement, l’ultra-turbo-libéralisme est accusé.
À partir de là, tous les paris sont possibles mais l’hypothèse d’une sortie en catastrophe du pays pour éviter que l’euro ne soit emporté dans le délire collectiviste grec reste une hypothèse relativement raisonnable face aux autres possibilités, au rang desquelles on trouve la fuite de l’Allemagne hors de la zone euro avant son explosion, ou toute autre solution intermédiaire à base de cris (pour 34,5%) et de grincements de dents (pour 53,6%) – excipients à base de fuite en avant, inflation galopante et bank-runs rigolos, q.s.p. pour 100%.
Mais ne vous inquiétez pas puisque de toute façon, Le Communisme, C’est Magique™.
> H16 anime un blog.
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