Désignée onze fois « femme la plus puissante du monde » par Forbes, Angela Merkel est actuellement en chute libre. Sa sérénité légendaire lui fait dire qu’elle n’a peur de rien et qu’elle ne renonce pas au pouvoir. A la suite des dernières élections fédérales, et des résultats décevants de son parti, la CDU alliée traditionnellement à sa version bavaroise de la CSU, la Chancelière a échoué à bâtir une coalition « jamaïque » en associant aux chrétiens-démocrates les libéraux du FDP et les Verts, les divergences entre les deux formations d’appoint étant trop fortes. Sa préférence est clairement de retrouver la grande coalition avec les sociaux-démocrates, après de nouvelles élections. Si le Président fédéral M. Steinmeier, issu du SPD, peut jouer un rôle décisif en ce sens, le parti n’est pas très favorable à ce scénario, car en son sein beaucoup pensent que l’association avec les chrétiens-démocrates en position de bon second est mortelle pour leur avenir. Mais c’est sans doute cette préférence de Mme Merkel qui doit retenir l’attention parce qu’elle illustre son parcours et sa personnalité politique. Celle-ci est caractérisée par la prudence et l’ambiguïté. A ce titre, Madame Merkel est le modèle parfait de la fausse droite au pouvoir dans plusieurs pays, et notamment en France, avec Giscard d’Estaing, Chirac et Sarkozy. Certes, elle n’a jamais eu, comme les deux derniers des bouffées de populisme électoral vite calmées une fois aux commandes du pays, mais elle a tout comme eux mis son maintien au pouvoir au-dessus de tout autre objectif, et distendu au maximum ses choix par rapport aux préférences de nombre de ses électeurs.
La Fausse droite est celle qui cultive la tactique politicienne plutôt que la stratégie politique. Angela Merkel préfère les sociaux-démocrates aux libéraux et repousse avec horreur l’AfD, le parti réputé d’extrême-droite qui a fait une entrée fracassante au Bundestag en 2017. Nicolas Sarkozy, élu Président de la République après une campagne nettement droitière, avait nommé des ministres de gauche en croyant séduire un électorat qui le détestait. L’idée qui parcourt la fausse droite française de Giscard à Juppé, c’est celle de la grande coalition, tellement lourde qu’elle est indétrônable. Par un beau renversement, celle-ci est peut-être en train d’être instaurée, mais par un homme venu de la gauche, Emmanuel Macron, qui fait oublier en ce moment d’où il vient et qui l’entoure, en multipliant les oeillades en direction des électeurs de droite, par exemple sur l’immigration. L’avantage du Français est qu’il a « son » parti, certes dominé par d’ex-socialistes, tant le président du groupe à l’Assemblée, M. Ferrand, que le Délégué général Castaner, mais qui aura sa propre logique électorale, alors que les autres formations ou les partis allemands ont des stratégies liées à leur avenir. Le SPD n’est pas idéologiquement opposé à la CDU. Simplement, il pense que sa survie et son rebond passent nécessairement par une cure d’opposition.
La vraie droite a une vision de la politique économique et sociale fondée sur la liberté, l’efficacité et le mérite. Une dépense publique limitée, des prélèvements obligatoires les plus faibles possibles, des inégalités proportionnées, et une intervention de l’Etat quand l’intérêt national le réclame : tels sont ses points d’appui essentiels. La droite est libérale et conservatrice en général. Elle est plus nettement conservatrice et patriote sur certaines questions. Pour elle, l’intérêt économique de l’immigration, pour autant qu’il soit vérifié, ne l’emporte pas sur la préservation de l’identité et de la cohésion nationales. Elle est assez insensible aux peurs suscitées par les « verts » et comprend mal leur opposition au nucléaire qui ne produit pas de CO2. Pour elle, il est paradoxal qu’on puisse s’opposer à une énergie qui n’a donné lieu qu’à de très rares accidents, quand on développe par ailleurs tout un discours qui menace directement une population par son effondrement démographique ou par le remplacement migratoire. C’est la raison pour laquelle elle est le plus souvent portée à soutenir des politiques familiales et à s’opposer à l’instauration d’aberrations anthropologiques.
Mme Merkel a coché toutes les cases de la fausse droite. Elle a d’abord considéré que la politique se limitait au domaine économique, comme si d’ailleurs les gouvernants avaient une pleine maîtrise du sujet. L’Allemagne jouit d’une situation triplement privilégiée qui tient d’abord à ce que l’Euro soit une monnaie plus favorable à ses exportations que ne le serait le Mark. Le déséquilibre des échanges entre la France et l’Allemagne est révélateur. Elle bénéficie d’une tradition industrielle réputée pour sa qualité. Elle a enfin eu le courage de procéder à des réformes structurelles initiées par le Chancelier précédent, Gerhard Schröder, qu’elle a poursuivies notamment par une hausse de la TVA compensant la baisse des charges en 2005. Sur ce point, la droite française présente une similitude et une différence : elle privilégie l’économie, mais est incapable de mettre en oeuvre les mesures qui s’imposent, avec une couardise méprisable.
En revanche, Mme Merkel a commis deux fautes magistrales qui trahissent son tropisme de gauche : elle a très rapidement, à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, fait fermer les centrales nucléaires allemandes pour les remplacer par un retour au charbon. C’est évidemment un double non-sens puisque les contextes géographiques allemands et japonais sont très différents, et parce que le charbon produit beaucoup de CO2. Mais il s’agissait de séduire les Verts ! Ensuite, elle a, avec une totale irresponsabilité, appelé les migrants à se ruer en Allemagne, sans mesurer les effets calamiteux de cet appel dont les milliers d’agressions sexuelles ont été le signe le plus médiatisé. Ces choix absurdes expliquent le résultat électoral décevant de la CDU et la progression du FDP comme de l’Afd. Cerise sur le gâteau qui a dû lui aliéner nombre de voix conservatrices : avec une bien décevante hypocrisie, elle a autorisé le vote en faveur du mariage unisexe, tout en votant contre à titre personnel. L’apparente sérénité peut cacher la plus grande duplicité. Madame Merkel est l’exemple à ne pas suivre !