par Jean-Marie Couteau
Depuis mercredi, cadres et élus de l’UMP se déchirent. À coups de phrases et de révélations complaisamment relayées par les médias. En réalité, il n’existe plus tellement de règles destinées à réguler : c’est le temps du pur rapport de forces. C’est l’affrontement total, celui où il faut tirer le plus vite, sous peine de laisser l’adversaire prendre le dessus. Néanmoins, la rapidité du flux médiatique ne permet pas toujours une juste perception de ce qui s’est réellement passé. La première raison est que les médias simplifient outrancièrement des choses qui, en réalité, sont un amalgame la conséquence de différents facteurs. La deuxième est qu’une vue partisane fausse, par essence, toute analyse de la situation. Il est difficile d’imaginer qu’un perdant ne cherche pas le moindre argument susceptible d’infirmer sa défaite. Un avocat qui plaide recherchera forcément l’élément susceptible de défendre son client : l’inverse serait plutôt étonnant.
Des résultats mal comptés ? On parle d’élections truquées, de fraudes et d’irrégularités. Les élections seraient sciemment bâclées… La première chose est de rappeler que les partis politiques, concernant l’organisation d’une l’élection interne, ne disposent pas d’une administration conséquente. L’UMP, c’est au mieux une centaine de permanents, plusieurs milliers de bénévoles, mais pas de services municipaux ou préfectoraux pour centraliser les résultats; pas de représentants des forces de l’ordre ou de magistrats pour surveiller le scrutin; enfin, pas de lieux officiels (écoles, etc.) pour accueillir les bureaux de vote, mais des permanences, voire des commerces loués. Les huissiers dépêchés coûtent bien plus chers que les magistrats qui font le tour des bureaux de vote : c’est une prestation que l’on paye, alors que la surveillance des bureaux de vote officiels entrent dans les prérogatives normales de l’administration, judiciaire ou non. À cela s’ajoutent que ceux qui font campagne pour Copé ou Fillon sont, en même temps, ceux qui ont été chargés de l’organisation de l’élection. Pour organiser une élection, l’UMP ne dispose pas de moyens comparables à ceux mis en œuvre pour des élections officielles. Ce constat devrait rappeler qu’un traçage absolument fiable des résultats est délicat. Et forcément soumis à caution.
Fraudes ou irrégularités ? La fraude, c’est forcément une manœuvre délibérée destinée à obtenir un résultat. Je ne m’étends pas sur une notion juridique, qui suppose une intention avérée et un résultat délibéré. C’est effectivement un acte grave. Mais, en revanche, l’irrégularité est plus large et ne vise pas forcément que des comportements intentionnels. Ainsi, des adhérents ont pu, de bonne foi, ne pas signer le cahier d’émargement, parfois après plusieurs heures d’attente : on peut, en effet, être énervé et peu empressé à obéi à des formalités supplémentaires… On ne sait pas non plus si les assesseurs sont formés à ces tâches. En revanche, attendre toute la journée dans un bureau n’est pas une tâche prisée ! Quant aux trois enveloppes (direction, motions et charte des valeurs) soumises aux militants, elles ont pu entraîner la confusion. Des listes ont été incomplètes. Le matériel a certainement été en nombre insuffisant.
Un système de procurations encore peu ordonné. Enfin, le système des procurations complique les choses en produisant forcément un décalage entre le nombre effectifs de votants et le nombre réel de suffrages. Par ailleurs, ce n’est qu’à la fin, deux jours avant l’élection, que l’on a apporté des précisions sur les conditions de signature des procurations (exigence d’une signature manuscrite authentique !). Paradoxalement, ces procurations pouvaient même être établies le jour de l’élection, alors que, dans une élection officielle, elles doivent être établies à l’avance, en passant dans un commissariat de police. La procédure, malgré des simplifications récentes, apporte quelques garanties. On pouvait très bien imaginer des militants voter plusieurs fois, sachant que leur procuration n’a pas été comptabilisée. Avec l’affluence, il est même possible d’oublier certains visages… Ce ne sont que des hypothèses, mais une chose est certaine : l’UMP n’était pas habituée à un scrutin aussi massif (plus de 176 000 votants !) dans son histoire, mais surtout à un scrutin où l’incertitude régnait. L’élection d’Alain Juppé à la tête de l’UMP (en novembre 2002) et celle de Nicolas Sarkozy (en novembre 2004) ont quasiment été des plébiscités : il n’y avait pas de surprise quant à l’issue du résultat, les candidats étant confrontés à des « petits » (Christine Boutin, Nicolas Dupont-Aignan ou Rachid Kaci), dont la candidature relevait plus du témoignage. Enfin, le vague précédent de 1999 (élection à la tête du RPR) n’a impliqué que 70 000 adhérents. Pas le double, alors même qu’il y avait plus de militants au RPR. Pour revenir sur le caractère aléatoire des procurations, on comprend que le PS ne pratique plus depuis belle lurette ce système…
Vrais défauts et réelles zones d’ombre. Dans les défauts incontestables, on peut relever que ni Jean-François Copé, ni François Fillon n’a pris la peine d’attendre le résultat final, préférant chacun annoncer sa victoire. Il a fallu attendre le lundi 19 novembre, à 22h45, pour que le résultat final soit proclamé. Cet empressement n’est certainement pas glorieux et témoigne aussi d’une volonté de créer une vague médiatique susceptible de désarçonner l’adversaire. Il est aussi surprenant que les représentants des deux candidats, présents lors de la centralisation des résultats à l’UMP, n’aient pas soulevé la question des fédérations manquantes d’outre-mer. L’absence des résultats des trois fédérations n’a été révélée que tardivement, lors de la proclamation des résultats des motions. Comment cette omission a pu être faite ? Est-elle intentionnelle ? Révélée tardivement, elle a pu constituer du pain-béni pour les contempteurs du résultat. Qu’aurait donné sa prise en compte. Les fédérations d’outre-mer auraient-elles donné un avantage à Jean-François Copé ou à François Fillon ?
Une crise latente : les derniers mois tendus. La crise soudaine n’est pas une surprise. Depuis l’installation de Jean-François Copé à l’UMP, il y a toute une guerre larvée et sournoise, avec quelquefois des évènements brutaux. C’est surtout en mars 2011 qu’une première passe d’armes a eu lieu entre Jean-François Copé et François Fillon, lors du débat organisé par l’UMP sur les cultes. Cela a laissé des traces. En septembre 2011, Jean-François Copé est soupçonné de faire élire certains dissidents aux sénatoriales. Les élections présidentielles 2012 se sont faites dans des conditions de tension lors de l’organisation des différents meetings. François Fillon rassemblant ses militants, Jean-François Copé interrompant ses adversaires par la sono… La tension a été d’autant plus vive que les deux adversaires ont guetté l’après-Sarkozy, prévoyant probablement la défaite de Nicolas Sarkozy. Dans un sens, les divisions à l’UMP sont peut-être un juste retour des choses : l’ancien président de la République sait qu’il n’y a pas de leader susceptible de tourner la page « Sarkozy ». Mais des prétendants capables, même involontairement, de hâter son retour.
Incertitudes quant à l’avenir. Le spectre de la scission est brandi. C’est la vraie question : de facto, il y a deux UMP, deux blocs distincts… D’un côté, la division pourrait être désastreuse, aussi bien sur le plan financier que sur le plan électoral ; de l’autre, elle risque d’être inévitable étant donné certains points de non-retour (accusations publiques de fraude, existence de deux blocs consistants, etc.). Rappelons que la date-limite des parlementaires pour déclarer leur affiliation à un parti politique est le 30 novembre 2012. Des groupes parlementaires dissidents seraient en préparation, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Il ne manque plus qu’un feu vert. Sous quelle forme ? On sait que la crise de l’UMP, latente depuis des années, s’est manifestée dans l’élection de son Président. Réponse dans les jours à venir.
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